Un petit feuilleton pour égayer les lundis...

La suite...
Le Chapitre 25.
On retrouve notre camarade Yboulados, qu'on découvre sous un nouveau jour. C'est nettement moins folklorique mais guère plus plaisant.
Et toujours, si vous avez des idées pour la suite de l'histoire, je suis preneur.
Si vous avez raté un chapitre, pas de panique : vous pourrez le retrouver dans les archives du blog (tout en bas, en cliquant sur "messages plus anciens", ou ici : le 1, le 2, le 3, les 4 et 5 , le 6, le 7 et le 8, le 9, le 10, le 11 et le 12, le 13, le 14 ...). Vous pouvez aussi trouver la liste sur le côté de la page.
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Bonne lecture...

mercredi 1 juin 2011

Chapitre 23

Le quartier où habitait Maria-Alba était effectivement très calme. Ce n’étaient qu’immeubles cossus et vastes demeures, ceintes de hauts murs, et sur lesquelles de vénérables palmiers dispensaient une ombre bienfaisants mais parcimonieuse. Çà et là, quelques bâtiments à l’aspect plus officiel étaient gardés par des militaires qui semblaient s’ennuyer ferme.

Des ambassades, probablement, pensa la jeune femme.

Ils passèrent d’agréables instants dans les jardins de l’église Santa Sabina, d’où ils purent découvrir un magnifique panorama sur le Tibre et sur les toits de la capitale italienne, puis le Professeur guida le petit groupe dans la rue qui descendait la colline de l’Aventin.

La voie, en sens unique, était peu fréquentée, et les rares voitures qu’ils rencontraient roulaient au pas, si bien qu’un instant, Louise et Pascal doutèrent d’être encore en Italie. À travers d’épaisses haies, on apercevait parfois de paisibles propriétés, tandis que d’autres restaient bien cachées derrière de hauts murs.

Une grosse berline aux vitres fumées les croisa, tout aussi lentement que les autres véhicules et sans qu’ils y prêtassent attention. Louise se retourna pourtant lorsqu’elle entendit le moteur de la voiture qui ralentissait. Son cœur se mit à battre plus vite en voyant que le véhicule s’était arrêté à une centaine de mètres derrière eux et entamait un demi-tour.

- La rue n’est pas en sens unique ? demanda-t-elle au Professeur.

- Si, répondit-il d’un air distrait, mais les conducteurs italiens ne font pas toujours très attention à ces choses là. Il veut peut-être nous demander son chemin.

- Ça, je n’en suis pas si sûr ! s’exclama Pascal.

La lourde voiture était à présent en train d’accélérer et se dirigeait à vive allure vers le petit groupe. Les vitres, toujours fermées, ne laissaient rien entrevoir des occupants du véhicule. Ça ne ressemblait pas du tout à quelqu’un qui s’apprête à demander son chemin !

- Là-dessus, vite ! cria le jeune homme en empoignant le Professeur pour le hisser sur le mur à côté d’eux. Derrière celui-ci, une abondante végétation formait une haie compacte. Le Professeur Campagnolo disparut à travers le feuillage.

Louise se précipita elle aussi sur le muret, suivie de peu par son compagnon. Alors qu’ils traversaient la haie, un bruit de raclement se fit entendre, suivi du tintement d’un morceau de métal qui tombait. Ils entendirent la voiture qui s’éloignait en faisant rugir son moteur, puis le silence revint.

Reprenant ses esprits, Louise regarda autour d’elle. Ils se trouvaient à l’intérieur d’une propriété qui semblait déserte. Le gazon, soigneusement entretenu, s’étendait jusqu’à une piscine, encore bâchée en ce tout début de printemps.

- Rien de cassé, Professeur ? demanda la jeune femme.

- Non… tout va bien, je crois, répondit celui-ci en se relevant lentement.

- Pascal, ça va ?

- Je pense, oui. Je me suis un peu égratigné en traversant la haie, mais rien de bien grave, on dirait.

Il se remit sur ses deux pieds, mais une grimace déforma son visage au premier pas qu’il tenta de faire. Il tituba et s’accrocha comme il put à une branche de la haie.

- Et merde ! Ma cheville ! s’exclama-t-il. Je crois que je me suis cassé quelque chose.

- Essayez de vous asseoir quelques instants, suggéra le professeur. Ça va peut-être passer.

Mais au lieu de tenir compte de ce conseil, Pascal restait debout, comme pétrifié, fixant quelque chose à l’autre bout de la pelouse. Louise et le Professeur regardèrent dans cette direction, pour voir deux gros chiens, des dobermans, qui couraient vers eux en silence.

- Oh non ! s’écria louise, Voilà autre chose !

Les deux molosses n’étaient plus qu’à trois ou quatre mètres d’eux et lançaient maintenant des aboiements menaçants, entrecoupés de grondements guère plus amicaux.

- Laissez-moi faire, dit le Professeur. Ils n’ont pas l’air si terribles que ça.

- Vous trouvez ? gémit Pascal.

- Vous allez voir…

Il s’agenouilla devant les deux dobermans et prononça doucement un chapelet de paroles que ni Louise ni Pascal ne comprenaient. Les aboiements des chiens se firent moins furieux, puis se muèrent en jappements avant que les deux gardiens ne se taisent tout à fait et s’asseyent en regardant le Professeur avec des yeux presque tendres. L’un des chiens inclinait gentiment la tête tandis que l’autre remuait la queue, comme s’il était content de retrouver un vieil ami.

- Vous… vous les connaissez ? demanda Louise.

- Pas le moins du monde, mais j’ai déjà eu l’occasion de remarquer que les chiens étaient sensibles à certaines paroles. Je n’ai pas grand mérite, à vrai dire…

- Mais qu’est-ce que vous leur avez dit ? demanda Pascal. C’était quoi, ces formules ?

- Oh, ce ne sont pas des formules, répondit le Professeur en caressant la tête du doberman le plus proche de lui, certainement pas des formules magiques en tout cas. C’est un poème.

- Un poème ! Mais c’est quoi comme langue ?

- Eh bien c’est du sanskrit, une vieille langue indo-européenne. Je ne sais pas trop pourquoi, mais il semblerait que les chiens soient sensibles à ce poème en sanskrit. Ce sont peut être les sonorités, ou alors le rythme… enfin il semblerait qu’il y ait là dedans quelque chose qui leur plaise.

- C’est extraordinaire, ce truc là, dit Pascal. Vous êtes "l’homme qui murmure à l’oreille des chiens". Et ça parle de quoi, ce poème ?

- Oh, rien de bien intéressant pour les chiens : ce sont les peines de cœur d’un prince qui s’est entiché d’une jeune fille qui n’est pas de sa caste. Il décide de renier son rang et d’enlever sa bien-aimée pour partir vivre avec elle sur les hauts plateaux désertiques du Pamir. Je crois qu’en fait, comme je vous le disais, ce sont les sonorités qui plaisent aux chiens : le poème est en sanskrit védique, le plus ancien, et il est assez riche en fricatives palatales et en…

- C’est passionnant, Professeur, mais je crois qu’il vaudrait mieux que vous nous expliquiez tout ça plus tard. Pour le moment, je crois que le mieux serait que nous sortions d’ici et que Pascal puisse voir un médecin pour sa cheville.

- Peut être aussi qu’on pourrait signaler aux carabinieri qu’un chauffard a tenté de nous écraser, intervint le jeune homme. Je… je ne suis pas certain de pouvoir sauter encore une fois par-dessus ce mur.

La conversation en français sembla déplaire aux deux dobermans, qui commençaient à donner de nouveaux signes de nervosité : ils s’étaient levés et l’un d’eux commençait à gronder. Le Professeur reprit sa mélopée :

- Grithaman theina ni skinitagh, Shheïm shamstitha rhankth, Thrighita nidhhamda skighenim, Vhata sheïthom mithtagh… Vous pouvez marcher ? demanda-t-il à Pascal. Ces braves bêtes vont nous conduire jusqu’à leurs maîtres. Gharamtha throgharamda athagothim

Le trio se mit en route vers la maison, Louise soutenant Pascal qui clopinait à ses côtés, le Professeur psalmodiant son poème d’amour sanskrit à l’adresse des deux molosses.

- Les volets de la porte fenêtre tout à fait à droite ne sont pas fermés remarqua Louise. Il y a peut être quelqu’un.

En quelques pas, elle fut devant le carreau, sur lequel elle frappa quelques coups brefs. Ne recevant aucune réponse, elle frappa un peu plus fort.

Elle allait se retourner vers ses compagnons pour leur dire qu’il n’y avait personne, lorsqu’un jeune homme aux joues mal rasées et aux cheveux en bataille, vêtu seulement d’un caleçon décoré de poissons multicolores, passa la tête par l’ouverture.

- Qu’est-ce que vous fichez là ? demanda-t-il en italien, l’air passablement irrité.

Louise rassembla ses quelques connaissances dans cette langue pour tenter d’expliquer qu’on venait de leur foncer dessus en voiture et que son compagnon s’était foulé la cheville en passant par-dessus le muret.

- Qu’est ce que vous avez fait aux chiens ? demanda le jeune homme d’un air horrifié en voyant ceux-ci gambader joyeusement autour du Professeur Campagnolo, qui leur récitait pour la troisième fois le fabliau galant du Prince Mahalingham.

- Ne vous inquiétez pas pour eux, répondit le Professeur, qui venait d’arriver près de Louise. Ils ont décidé que nous n’étions pas dangereux. Après tout, ce sont eux, les gardiens de cette propriété. J’imagine que vous faites confiance à leur jugement.

- Vous êtes qui ? demanda le jeune romain d’un air soupçonneux.

- Nous sommes des voisins. Nous marchions tranquillement dans la rue pour aller vers le ghetto lorsqu’un chauffard a failli nous écraser. Nous avons eu la chance de pouvoir passer par-dessus votre mur et à travers la haie.

- Des voisins ? Je ne vous ai jamais vus…

- Je vous crois sans problème, mon jeune ami. L’habitude qu’ont les occupants de ce quartier de se calfeutrer derrière leurs volets n’est certes pas des plus propices à d’harmonieuses relations de voisinage.

- Hein ? demanda le jeune homme qui semblait déconcerté par le vocabulaire du Professeur.

- Je veux dire qu’on ne se voit pas beaucoup entre voisins, par ici.

- Ah ! Oui, c’est vrai, ça ! acquiesça l’autre, rassuré par des mots à sa portée.

- Ma sœur habite la grande maison ocre sur la Piazza Sant’Anselmo.

Comme l’autre ne semblait pas voir de quoi il s’agissait, il ajouta :

- Juste au dessus des couturiers.

- Ah, oui ! Bien sûr. J’ai été invité chez eux une fois. Mais votre sœur n’était pas là, je crois.

- Non, probablement pas : elle se couche tôt et peut être même qu’elle était sortie.

- Farfalino, c’est qui ? cria une voix féminine au timbre assez vulgaire depuis la salle de bain.

- Des voisins, répondit le surnommé Farfalino. Ils ont eu un petit problème… de circulation.

- Et alors ? Qu’est ce que ça a à voir avec nous ? T’es pas docteur.

- Non, circulation automobile…

- C’est pareil : t’es pas garagiste non plus.

- Justement, intervint le Professeur Campagnolo, nous souhaiterions aller rapporter cet incident au poste de police le plus proche…

- Bon, écoutez, coupa Farfalino, le plus simple serait que je vous appelle un taxi. Je crois que c’est aussi bien si vous allez voir les flics par vos propres moyens.

- Auriez-vous le numéro d’une compagnie de taxis ?

L’annuaire leur livra le renseignement qu’ils cherchaient, et quinze minutes plus tard, ils quittaient la propriété par la grande grille pour monter dans un taxi. Les chiens avaient été un peu mélancoliques de voir partir le Professeur. Farfalino, quant à lui, semblait soulagé de voir partir le petit groupe et de ne pas recevoir la visite des autorités.

Dans une pharmacie de la Via Giulia, Pascal fit examiner sa cheville et reçut l’assurance qu’il n’avait qu’une simple foulure. La pharmacienne lui vendit une pommade et quelques bandages qui étaient censés faire des miracles.

Les agents de permanence au poste de police ne se montrèrent pas d’un grand secours : sans le numéro de la voiture et avec une description approximative, ils déclarèrent qu’il n’y avait pas grand chose à faire. Louise essaya de faire valoir le fait que le véhicule en question avait probablement perdu une aile ou au moins un enjoliveur, le policier ne voulut rien entendre et déclara que la pièce en question avait probablement déjà été ramassée. Peut-être même repeinte et revendue, à l’heure qu’il était.

- En tout cas, affirma le policier, pas question de dépêcher une équipe sur place : avec le match qui va commencer… il faut être vigilants.

Pascal apercevait effectivement, dans une pièce attenante au bureau, quelques policiers qui avaient déjà commencé leur mission de surveillance : un téléviseur était allumé et le jeune homme crut reconnaître le logo de la RAI. Deux groupes de sportifs, les un en vert et les autres en rouge, semblaient sautiller sur une pelouse.

- Mais c’est important ! insista Louise. Ces gens ont déjà essayé de nous tuer lorsque nous étions en France, et nous avons de bonnes raisons de croire que ce sont les mêmes qui ont recommencé aujourd’hui.

- Les délits qui ont été commis à l’étranger ne sont pas de notre ressort, répondit l’agent. Je vous conseille de demander assistance à votre ambassade.

Comme les autres membres de la brigade appelaient leur collègue avec insistance, Louise comprit qu’il serait inutile de palabrer davantage. Elle remercia sèchement le policier et sortit du commissariat, accompagnée de ses deux amis.

- Tu crois que ça a quelque chose à voir avec Yboulados ? demanda-t-elle à Pascal lorsqu’ils furent dans la rue.

- Ça en a bien l’air. On ne peut être sûrs de rien, mais ce ne serait pas la première fois qu’ils agressent quelqu’un : d’abord Sylvain, puis cette voiture qui nous a poursuivis à Montpellier, sans compter l’enlèvement…

- J’ai bien envie d’appeler le Commandant Jamin, déclara la jeune fille.

- Tu es certaine que c’est ce qu’il faut faire ? Je croyais que tu avais des doutes sur elle.

- Justement, c’est peut être l’occasion d’être fixés. Maintenant qu’on sait que cette grosse pouffe de Karine est à Rome, je crois qu’on n’a pas grand-chose à perdre…

- Elle n’est pas grosse… voulut protester Pascal.

- C’est ça : défends là ! Je te rappelle tout de même que c’est à cause d’elle que nous sommes poursuivis par cette bande d’allumés, et encore à cause d’elle que nous avons été kidnappés…

- Bon, OK, j’ai eu tort de lui faire confiance la semaine dernière. Mais quand même : si la voiture de tout à l’heure n’avait rien à voir avec toute cette histoire ? Je veux dire si ceux qui sont à notre poursuite ne savaient pas encore que nous sommes ici ? Est-ce que ça ne serait pas leur donner une indication si on lui racontait ce qui s’est passé ?

- Tu rêves ! Les italiens conduisent un peu sec, mais pas au point de foncer sur les gens en faisant demi-tour dans des rues en sens interdit. Crois-moi, ça n’avait rien d’un hasard, tout à l’heure.

Elle composa le numéro du commissariat de Montpellier et demanda à parler au Commandant Jamin. Celle-ci prit la communication au bout de quelques secondes.

- Ah, Mademoiselle Robinson ! Ça faisait un moment que je n’avais plus de vos nouvelles. Je pensais ne plus entendre parler de vous !

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