Un petit feuilleton pour égayer les lundis...

La suite...
Le Chapitre 25.
On retrouve notre camarade Yboulados, qu'on découvre sous un nouveau jour. C'est nettement moins folklorique mais guère plus plaisant.
Et toujours, si vous avez des idées pour la suite de l'histoire, je suis preneur.
Si vous avez raté un chapitre, pas de panique : vous pourrez le retrouver dans les archives du blog (tout en bas, en cliquant sur "messages plus anciens", ou ici : le 1, le 2, le 3, les 4 et 5 , le 6, le 7 et le 8, le 9, le 10, le 11 et le 12, le 13, le 14 ...). Vous pouvez aussi trouver la liste sur le côté de la page.
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Bonne lecture...

lundi 14 mars 2011

Chapitre 13 (et non 14 comme je l'ai écrit hier par erreur)

Le ciel était maussade le lendemain matin, tout comme l’était la figure de Karine lorsque Louise et Pascal la retrouvèrent pour le petit déjeuner. Elle semblait préoccupée et n’affichait plus le sourire enjôleur qui avait tant agacé Louise les premiers jours. Cette dernière mit le changement d’attitude de la rousse sur le compte de son caractère de "mauvaise perdante".

- Salut ! lui lança joyeusement Louise, qui venait de passer une belle nuit et avait bien l’intention de le lui faire sentir.

- Salut… répondit-elle d’un air morose, en se tassant davantage sur sa chaise.

- Dis donc ! Tu as l'air bien fatiguée ! dit Pascal, tout aussi rayonnant.

- J’ai pas assez dormi… passé une nuit horrible… j'ai fait plein de cauchemars. Mais… ça va aller, ne vous en faites pas pour moi !

Louise se retint de dire qu’elle non plus n’avait pas beaucoup dormi. Il ne fallait quand même pas pousser la férocité trop loin !

- Tu as pris quoi, pour le petit déj ? demanda Pascal.

- Café… l’est pas mal avec du sucre et du lait. Les brioches sont bien aussi, mais le pain est moyen. Les confiotes, ça peut aller…

La serveuse arrivait justement pour prendre leur commande. Elle en profita pour annoncer aux deux nouveaux arrivants qu’il allait sans doute neiger, et s’enquit de leur programme de la journée.

- Vous n’aviez pas prévu une balade en montagne, j’espère ?

- Non, non, répondit Louise, nous avions l’intention d’aller à La Grande Chartreuse.

- Ah ! Vous allez voir le musée de la Correrie ? Vous verrez, c'est magnifique ! Et puis si vous voulez faire quelques achats à la boutique, je vous conseille de goûter la liqueur que font les moines. C’est une recette secrète qu’ils ont depuis plusieurs siècles ! Vous savez qu’il n’y en a aucun d’entre eux qui connaisse la recette complète ? Ils ne sont que deux ou trois à connaître chacun une partie des herbes qu’ils mettent dedans et…

- C'est gentil, l’interrompit Louise, mais nous allons surtout consulter les archives.

- Les Archives ? Ah, bon ! Excusez-moi, dit la serveuse en regardant la main de Louise posée sur celle de Pascal. Je… je ne savais pas que vous faisiez partie du clergé.

- Mais nous n'en faisons pas partie, objecta Pascal, cela pose-t-il un problème ?

La jeune femme ne savait plus trop que dire.

- C’est que… enfin, en principe, pour consulter les archives des Chartreux, il faut faire partie d’une congrégation, et d’ailleurs je croyais que les religieuses avaient réservé leur accès en exclusivité en ce moment. Mais… vous avez peut-être une autorisation spéciale ? s'empressa-t-elle d’ajouter en rougissant.

Louise lui sourit gentiment

- Oui, c'est ça, nous en avons une, lui répondit-elle. Puis, pour mettre un terme à la discussion, elle récapitula leur commande de petit déjeuner : un café et un thé… avec du lait, s’il vous plaît.

La serveuse acquiesça, tourna le dos et s'en retourna aux cuisines.

- Bon sang ! s'exclama Pascal en se penchant vers les filles ! Qu'est-ce que nous sommes bêtes ! Comment avons-nous pu penser que nous pourrions accéder aussi facilement à tout ça ?

- Oui, j’ai bien l’impression que nous avons agi avec précipitation, ajouta Karine. Les Chartreux ont la réputation d’être des moines excessivement discrets : ils ne vont sûrement pas ouvrir leurs archives aux premiers venus.

- Ne vous inquiétez pas : je crois avoir une solution à ce petit problème ! intervint Louise d’un air énigmatique.

- Et tu comptes t’y prendre comment ? demanda la rousse. Tu l'as entendue, non ? En fait, il n’y a que les religieux qui aient accès aux livres. Quant à avoir une autorisation spéciale, je n’ai aucune idée de la façon de procéder !

Louise éclata de rire :

- Moi, oui ! Rejoignez-moi dans la chambre d'ici une dizaine de minutes.

Et elle quitta la table sans en dire davantage.

- Et ton petit-déjeuner ? demanda Pascal. Tu n’as encore rien mangé !

- Prépare-moi quelques tartines… tu me monteras un doggy-bag dans la chambre, lui répondit-elle en lui donnant un petit baiser dans le cou.

Louise se dirigea vers l’escalier de bois et monta rapidement les marches. Son cœur battait à tout rompre, mais elle était bien décidée à ne pas se laisser arrêter par de simples formalités administratives.

Arrivée dans le couloir de l’étage, Louise jeta un regard autour d’elle : personne n'était présent, mais il fallait faire vite !

Elle tira le médaillon de son décolleté et pressa le disque central. La même lueur que la première fois se propagea autour d'elle, sembla trembloter un instant puis la fit disparaître. S’étant assurée dans un petit miroir accroché là qu’elle était bien devenue invisible, elle avança à pas feutrés dans le couloir. A quelques mètres d’elle, une porte s'entrouvrit et Louise saisit des bribes de conversation.

- Je descends déjeuner, sœur Marie-Sophie, vous me rejoignez tout à l'heure ?

- Oui bien sûr : je termine et j'arrive, répondit une autre voix de femme.

C’était l’occasion qu'attendait Louise : dès que la porte fut suffisamment ouverte, elle s'engouffra dans la pièce, bousculant légèrement la religieuse qui en sortait. Celle-ci, étonnée, se retourna, cherchant à apercevoir dans quoi elle s’était cognée, mais ne voyant rien, elle haussa les épaules pensant probablement avoir mal évalué l’espace dont elle disposait pour passer. La sœur referma la porte derrière elle.

La chambre était, à peu de choses prés, identique à celle qu’elle occupait avec Pascal, si ce n’est qu’elle comprenait deux paires de lits superposés. Elle était certainement occupée par quatre bonnes sœurs, trois d’entre elles étant déjà en train de déjeuner. Des valises ouvertes étaient posées sur une petite table basse, laissant dépasser des robes grises de nonnes.

Elle jeta un rapide coup d'œil en direction de la salle de bain : les bruits en provenance de la douche indiquaient que la personne qui s’y trouvait n'était pas encore prête à en sortir.

Louise s'approcha des valises. Son plan était des plus simples : s’emparer, pour un moment tout au moins, de trois panoplies de bonne sœur !

Elle espérait qu'en prenant les robes en mains, elles disparaîtraient avec elle, comme le faisaient ses propres vêtements. Elle saisit une robe, mais rien ne se passa. Le halo tremblotant qui la protégeait des regards ne s'étendit pas à sa nouvelle prise. Voilà qui allait sérieusement compliquer les choses !

Son cœur battit plus vite : la douche venait de s'arrêter ! Impossible de sortir comme ça, en emportant son butin encore visible : la vue de robes de religieuses voletant toutes seules à travers les couloirs de l’hôtel ne manquerait certainement pas d’exciter la curiosité des premières nonnes qu’elle croiserait. On crierait peut être au sortilège ; on appellerait l’évêque, des exorcistes, des désenvoûteurs ou quelque chose comme ça…

Une chanson guillerette venait de la salle de bains. Sœur Marie-Sophie devait être en train de se sécher… Il fallait trouver une solution, et rapidement !

Le souffle court, elle s'empara de trois robes grises, de trois cornettes blanches et pressa le disque central de son pendentif, annulant ainsi sa protection visuelle. Puis elle appuya une seconde fois. La manœuvre fonctionna : son butin était cette fois devenu invisible en même temps qu’elle.

Elle était sur le point de retourner vers la porte de la chambre lorsque Sœur Marie-Sophie sortit de la salle de bains.

Près de la fenêtre, Louise n’osait plus bouger, retenant sa respiration de peur que la nouvelle arrivante, une religieuse massive aux allures de walkyrie, ne l'entende.

- Oh ! Sainte Vierge, quelles coquines ! Elles ont encore remis ce fichu chauffage ! Je vois la chaleur qui monte le long de la fenêtre. On étouffe dans ces chambres !

Louise s’écarta précipitamment du radiateur sur lequel la walkyrie en tenue d’Eve se ruait pour l’éteindre. Celle-ci tourna la commande du thermostat dans un sens puis dans l’autre, s’étonna de constater que le radiateur était froid, et finit par hausser les épaules en signe d’incompréhension, avant de repartir vers la salle de bain.

Louise souffla silencieusement : elle l'avait échappé belle ! Elle s'approcha de la porte en silence, l'ouvrit délicatement et se glissa dans le couloir, puis jusqu’à sa chambre. Là, elle frappa à la porte pour s’assurer que Pascal et Karine n’étaient pas encore revenus. N’obtenant pas de réponse, elle entra, redevint visible et déposa deux robes grises sur le lit. Puis elle passa dans la salle de bains et revêtit la troisième, ainsi que la cornette. Le miroir lui confirma qu’elle était à peu près méconnaissable.

Pascal arriva quelques minutes plus tard, suivi de près par Karine. Surpris d’être accueilli par une religieuse en robe grise, il faillit laisser tomber les tartines qu’il avait rapportées.

- Oh… pardon ma sœur. Je crois que je me suis trompé de chambre…

- Le seigneur vous pardonne, mon enfant. Mais dépêche toi de me passer les nourritures terrestres : j’ai une dalle de nom de dieu !

- Louise ? C’est toi ? C’était ça, ton idée ? demanda Karine.

- Autorisations spéciales ! dit-elle en montrant les habits de religieuses. Vous n'avez plus qu'à faire comme moi : entrer dans les ordres ! On prend des inscriptions à l’essai.

Pascal la regarda, incrédule.

- Tu as piqué ça où ? demanda-t-il en rigolant.

- Oh, je crois qu’il y a eu quelques servantes du seigneur, par ici, dernièrement…

- Tu veux vraiment que je me déguise en bonne sœur ? s’étonna-t-il.

- Oui, s'esclaffa Louise en l'embrassant furtivement. Mais ne t'inquiète pas, mon chéri, je suis sûre que tu seras très mignon comme ça !

Pascal choisit la plus grande des deux robes qui restaient et l’enfila par-dessus ses vêtements. C’était probablement celle de Sœur Marie-Sophie, puisqu’elle était presque trop grande pour lui. Il chercha ensuite comment positionner la cornette, mais Louise l’arrêta :

- Attends ! Tu devrais aller te raser avant de mettre ce truc là : la barbe naissante, ça ne le fait pas vraiment !

Karine enfila la dernière robe et arrangea sa cornette. Louise la regarda et se dit que même ces vêtements austères ne parvenaient pas à l’enlaidir. Peu après, elle se fit la même réflexion pour Pascal, une fois qu’il fut revenu rasé de frais de la salle de bain et que les deux filles l’eurent aidé à ajuster sa cornette. Ca doit être ça qu’on entend habituellement par "les yeux de Chimène", pensa-t-elle.

- Peut être que l’habit ne fait pas le moine, rigola-t-elle, mais pour la bonne sœur, c’est à s’y tromper !

- Nous ne sommes tout de même pas venus jusqu’ici pour rien ! approuva Pascal.

Ils sortirent de la chambre, espérant tout de même ne pas rencontrer trop de leurs provisoires collègues, qui leur auraient probablement demandé qui ils étaient. Louise se voyait mal expliquer son geste s'ils se faisaient prendre. Mais la chance semblait leur sourire : le couloir était complètement désert. Louise vérifia dans sa poche qu’elle avait bien pris ses clés de voiture. Elle ne voyait pas d’autre façon pour se rendre au monastère que d’utiliser sa Mini, bien qu’elle fut un peu trop voyante pour la circonstance. C’était un risque à prendre…

Ils descendirent jusqu’à la réception, où une jeune femme, probablement la fille de la patronne, les interpella :

- Dépêchez vous, mes sœurs : votre navette va partir dans deux minutes ! Si vous courez un peu, vous devez pouvoir l’attraper : elle est encore sur la placette ! dit la jeune femme en pointant du doigt la direction à suivre.

- Merci, répondirent-ils en chœur.

Ils sortirent de l'hôtel en forçant le pas, autant que leur permettaient leurs robes étroites. Le petit bus refermait ses portes et commençait à partir. Louise eut juste le temps de faire de grands gestes pour attirer l'attention du conducteur. Celui-ci, les apercevant, s'arrêta et rouvrit les portes dans un chuintement pneumatique. Louise, Pascal et Karine se hâtèrent à petits pas pour le rejoindre.

- Hé ben dites donc, Mesdemoiselles, il était moins une ! s'esclaffa le chauffeur. Un large sourire dépassait sous son imposante moustache grise.

Le souffle court, ils s'assirent dans le bus.

- Merci mon fils, Dieu vous ait en sa sainte garde ! lui dit Karine en se laissant tomber dans son siège.

- Et cum spiritu tuo ! ajouta Pascal.

- N’en fais pas trop, tout de même ! lui souffla Louise d’un air sévère.

Elle parcourut des yeux l'intérieur du car, qui n'était pas très rempli. Parmi toutes les passagères, il n'y avait que deux nonnes grises assises au fond, les autres étaient des blanches, donc sans doute moins susceptibles de s’étonner de ne pas les reconnaître.

Le petit car prit la route du monastère, passa à travers des forêts enneigées, longea un ruisseau dont les eaux semblaient se précipiter contre les branches qui encombraient son lit, puis arriva en vue des imposants bâtiments de la Correrie. A la grande satisfaction de Louise, il contourna ces bâtiments, contenant le musée et que les touristes ne sont habituellement pas autorisés à dépasser. Puis il s’engagea sur une petite route privée qui menait au monastère proprement dit.

Louise, Pascal et Karine sortirent du petit bus en même temps que toutes les religieuses en blanc, évitant soigneusement de regarder dans la direction des grises.

Ils furent soulagés de constater que toutes n’allaient pas dans la même direction. Il était probable que différentes tâches les amenaient à la Grande Chartreuse, ce que confirmèrent divers panonceaux provisoires indiquant les salles et les activités qui étaient censés s’y dérouler. Des moines vêtus de blanc les croisaient, tête baissée, ne semblant prêter aucune attention à leur présence.

- Il faudrait essayer de trouver la bibliothèque, dit Louise, ou à défaut, le scriptorium : ils doivent être l’un à côté de l’autre.

- Je ne vois ni l’un ni l’autre, soupira Karine. Par contre, de ce côté-là, il y a le réfectoire et les cuisines… ça sent plutôt bon, d’ailleurs.

- Bonne pioche, s’exclama Pascal. Les cuisines, ça nous va tout à fait.

- Ne me dis pas que tu as faim ! protesta Karine.

- Non, mais le scriptorium est certainement au dessus des cuisines, expliqua-t-il.

- Ah bon ? Ils se faisaient des petits casse-dalles quand ça leur prenait, les moines ?

- Mais non ! dit Louise qui avait compris. Dans les monastères, le scriptorium est au dessus des cuisines parce que c’était la pièce où les moines passaient la plupart de leur temps. Comme les cuisines étaient chauffées par les fourneaux, et puis aussi comme il y avait des cheminées qui étaient presque toujours allumées, ça permettait d’avoir une température à peu près vivable dans le lieu de travail des copistes.

Ils se mirent en quête d’un escalier qui les aurait menés au dessus des cuisines. Ils ne tardèrent pas à le découvrir dans un renfoncement.

Ils gravirent les marches de bois, raides et nombreuses, qui menaient à un palier sur lequel s’ouvraient trois portes, elles aussi en bois massif. L’une d’entre elles était munie d’un heurtoir. Pascal le saisit et frappa trois séries de deux coups brefs. Sans trop savoir pourquoi, il lui semblait que ce signal ajouterait à leur crédibilité comme religieuses.

Un moine vêtu d’une bure blanche, semblable à ceux qu’ils avaient déjà croisés, passa la tête par l’entrebâillement de la porte, les considéra un moment et finit par leur sourire.

Il ne prononça pas un mot, mais son haussement de sourcils interrogateur disait assez qu’il attendait une explication sur leurs intentions.

- Bonjour mon frère, dit Louise à mi-voix. Nous sommes chargés par Mère Marie-Bénédicte d'une mission très précise et très secrète et nous aurions besoin de votre aide.

Le moine resta silencieux, mais hocha la tête pour les inviter à en dire davantage : en quoi pourrait-il les aider ?

- Il faudrait que vous nous conduisiez aux archives. Mère Marie-Bénédicte nous a conseillé de nous adresser à vous pour ce service.

Le chartreux eut l’air étonné de cette dernière remarque, mais probablement habitué à des années de silence, il leur fit signe, toujours sans un mot, de le suivre.

Il les précéda dans un dédale de petits couloirs, de coursives ouvertes, d’escaliers si étroits qu'il eut été impossible d'y marcher à deux de front. Tout le parcours n’était que brusques tournants, montées, descentes… il n’y avait pratiquement jamais de grandes enfilades de couloirs comme Louise s’était attendue à en trouver. Seules les coursives extérieures avaient une certaine longueur.

Les trois fausses nonnes avaient l’impression que le Chartreux leur faisait parcourir la totalité des couloirs du monastère. Ils marchèrent plusieurs minutes sans dire un mot : les archives n’étaient visiblement pas au-dessus des cuisines. Ce n’était d’ailleurs pas nécessaire, puisqu’il semblait y avoir au moins un petit poêle dans chacune des pièces. L’étonnement dont le moine avait fait preuve tout à l’heure était bien compréhensible !

Arrivés près d’une porte en bois grossier qu’on aurait plutôt imaginée être celle d’une remise, le moine sortit une carte magnétique de sous sa bure, au grand étonnement des visiteurs, et la passa devant un capteur fixé au mur. Un cliquetis discret se fit entendre et le chartreux poussa la porte.

En leur souriant, il leur fit signe d’entrer. Pascal passa le premier suivi immédiatement des deux filles. Le chartreux referma la porte derrière eux.

L'endroit était à couper le souffle : immense en comparaison des étroits couloirs par lesquels ils étaient passés pour arriver jusque là. Louise n'en croyait pas ses yeux : la pièce était longue d'une quinzaine de mètres, large de dix, avec un plafond à caissons ornés, qui culminait à trois ou quatre mètres au dessus de leurs têtes. Les proportions n’avaient rien de gigantesque, mais après la succession de pièces minuscules qu’ils venaient de voir, celle-ci semblait aussi vaste qu’une cathédrale.

Les deux seules fenêtres étaient dans la partie la plus étroite, au fond de la pièce, laissant passer un peu de la lumière du jour. Les autres murs étaient intégralement recouverts d'étagères pleines de livres aux couvertures épaisses, mais aussi par endroits de boîtes d’archives, plus modernes, et dont l’aspect semblait incongru au milieu de ces vénérables ouvrages reliés de cuir. Entre les rangées étaient alignés des pupitres, au bois patiné par des années, voire des siècles, d’un usage studieux. Au fond de la pièce, près des fenêtres, un immense tableau aux teintes sombres représentait un moine portant une bure blanche. Un autre moine, en chair et en os celui-là mais également vêtu de blanc, était assis à un bureau juste en dessous.

- Alors, par quoi on commence ? demanda Pascal dans un murmure.

Louise eut un moment de vertige. Maintenant qu'ils étaient dans la place, elle se rendait compte qu'ils avaient agi de manière un peu précipitée et n'avaient jamais véritablement réfléchi à la façon de s'y prendre. Comment trouver ce qu'ils cherchaient au milieu de cette masse de documentation ? Et d’ailleurs, que cherchaient-ils au juste ? Il devait y avoir plusieurs milliers de livres sur ces rayonnages, et les consulter tous prendrait plusieurs années. Par ailleurs, Louise se trouvait face à un choix embarrassant : soit elle prétendait ne savoir du médaillon que ce dont les deux autres étaient déjà au courant, soit elle élargissait le champ des recherches en parlant de l’invisibilité qu’elle avait découverte. Elle écarta cette seconde possibilité, se sentant toujours réticente à en faire part, tout au moins à la grande rousse.

Pascal et Karine la regardaient, semblant attendre ses instructions.

- Si au moins je savais ce qu'on doit chercher ! chuchota-t-elle.

- Tu veux dire que tu ne sais pas ce qu’on fait ici ? Tu n’as pas la moindre idée de ce qu’il faut chercher ? s’indigna Karine à voix basse.

Louise se sentit vexée par la remarque de Karine.

- Parce que toi, tu sais, peut-être ? demanda-t-elle.

- Non mais quand même, je te trouve un peu gonflée ! Tu me fais faire trois heures et demie de route, pliée en quatre à l’arrière d’un pot de yaourt, et maintenant, tu viens me dire que tu ne sais pas pourquoi on est là ?

- Un pot de yaourt ? Quel pot de yaourt ? souffla Louise sur la défensive.

Une toux brève se fit entendre du côté des fenêtres : le bibliothécaire leur rappelait sa présence.

- Allons le voir, suggéra Louise. Il doit avoir un index général de tous les ouvrages qui sont conservés ici.

- Excuse-moi, pour tout à l’heure, chuchota Karine à l’adresse de Louise. Je n’aurais pas dû te dire ça.

Louise l’assura que ça n’avait pas d’importance.

- Pardon, mon frère, dit Louise au Chartreux assis derrière le bureau, Nous souhaiterions consulter le répertoire des ouvrages de cette bibliothèque. Est-ce que vous auriez des registres ou quelque chose comme ça ?

Le surveillant leur fit signe de s’installer à une table voisine, avec un ordinateur relié à un serveur interne, dans lequel les milliers de livres de la bibliothèque étaient référencés. Un bref aperçu du contenu de chacun des ouvrages était également disponible.

Ils se mirent au travail sans attendre. La classification n’avait rien à voir avec celle de Dewey, habituellement en vigueur dans pratiquement toutes les bibliothèques du monde, et Louise fut un peu déconcertée au début. Le moine bibliothécaire leur expliqua par gestes la signification des cotes et la manière de trouver rapidement un ouvrage dans les divers rayonnages : la bibliothèque était divisée en secteurs, nord, sud, est et ouest, puis en groupes d’étagères et enfin en rayonnages. Il les laissa libres d’aller eux-mêmes chercher les ouvrages, à condition bien évidemment qu’ils les remissent à la bonne place après les avoir consultés.

Louise se rendit vite compte que la bibliothèque des Chartreux contenait une gigantesque mine d'informations en tout genre. Tous les sujets de réflexion, du moyen-âge à nos jours, étaient évoqués ici : philosophie, religion, sciences, techniques, et même ésotérisme.

- Pratiques et rituels de magie simple au 16ème siècle ! Démonologie ! Guide des au-delàs des peuples païens ! Pas étonnant que les Chartreux n’aient pas envie de divulguer tout ça, murmura Louise.

Tout ce qui semblait avoir un rapport avec des bijoux anciens, des écritures primitives, avec Héphaïstos ou Vulcain, lui semblait valoir la peine d’être examiné. Elle pensa chercher aussi du côté des mythes d’invisibilité, mais ne trouva rien sur ce sujet. Peut être était-ce aussi bien ainsi pour l’instant : cela lui éviterait d’avoir à trop en dire sur les étonnantes propriétés du médaillon. Il lui semblait vaguement se souvenir qu’Hermès avait quelque chose pour devenir invisible, mais ses souvenirs sur la mythologie lui faisaient défaut pour le moment et elle était incapable de dire de quoi il s’agissait… pas d’un médaillon en tout cas !

Louise se réserva les ouvrages qui étaient rédigés en latin : bien que ne maitrisant pas cette langue aussi parfaitement que le Professeur Campagnolo, elle arrivait néanmoins à se faire une idée assez nette du contenu des ouvrages. Pascal et Karine s’en tinrent à ceux qui étaient rédigés en "langue profane", généralement des écrits plus récents.

La matinée ne leur apporta aucune piste digne d’être approfondie, pas plus qu’une bonne partie de l’après midi. Le petit déjeuner de l’hôtel Charmant Som était maintenant loin derrière eux, et la faim commençait à se faire sentir. Pourtant, aucun d’eux ne semblait vouloir suspendre les recherches.

Vers quatre heures et demie, le jour s’assombrissait et le bibliothécaire alluma les lumières électriques avant de sortir de la grande salle, non sans faire signe qu’il revenait bientôt.

Le découragement commençait à gagner les trois fausses nonnes. Louise murmura :

- Nom d’un chien ! Mais ce que j’ai pu être bête ! On se fourre le doigt dans l’œil depuis ce matin !

- Qu’est ce que tu veux dire ? souffla Pascal.

- Ça fait bientôt six heures qu’on cherche des bouquins sur les bijoux ou les vieux alphabets, alors que la réponse, nous l’avions depuis le début : ce qu’il faut essayer de trouver, ce sont des livres de Saint Bruno ! En tant que fondateur de ce monastère et aussi de l’ordre des Chartreux, ses écrits doivent certainement figurer en bonne place, ici.

Et elle se replongea dans l’index général, se servant cette fois des noms d’auteurs pour effectuer sa recherche. Il y avait trois ouvrages référencés comme étant des œuvres de Saint Bruno : "Epistolae primibus cartusianibus", "Ad augustam per silencium", dont Louise traduisit les titres pour ses deux comparses : Les lettres des premiers chartreux, et Vers le bonheur par la voie du silence. Mais ce fut le troisième qui attira tout particulièrement son attention : "De credentiae primii temporii".

Les croyances des premiers temps !

- Les premiers temps ! ou alors les temps premiers ! s’exclama-t-elle en se souvenant du message sur le bout de papier qui accompagnait le pendentif. C’est ça ! C’est dans celui-ci que se trouve la réponse !

Elle chercha dans la colonne correspondante dans quel secteur de la bibliothèque se situait le livre en question, mais au lieu des indications habituelles, quartier de mur, numéro de travée et d’étagère, elle ne trouva que des lettres : BAV – Inf.

- C’est curieux : les deux autres sont référencés comme tous les ouvrages de cette bibliothèque, mais on dirait que celui-ci est à part. Il s’agit probablement d’un écrit particulièrement important dans l’œuvre de Saint Bruno…

- Est-ce que par hasard, le "Inf" ne voudrait pas dire "inférieur" ? suggéra Karine. On pourrait regarder dans toutes les étagères du bas…

- J’en doute, mais tu peux toujours essayer si ça te chante. Ça pourrait aussi être une salle située plus bas que celle-ci, ou alors n’importe quelle autre explication. Et puis il y a ce V : est ce que c’est une lettre, ou un chiffre romain ?

- Le plus simple serait de demander au surveillant de bibliothèque, intervint Pascal. Il devrait bientôt revenir.

- De toute façon, décida louise, je crois qu’on a vu tout ce qu’il y avait à voir ici. On a quand même progressé : nous connaissons le titre du livre que nous cherchons, son auteur, et nous avons un début d’explication sur son référencement, même si nous n’avons aucune idée sur ce que ça veut dire.

- Et le Professeur Campagnolo ? Tu crois qu’il pourrait nous en dire davantage ?

- On peut toujours essayer.

Elle fouilla dans ses poches, mais ne trouva pas son téléphone.

- J’ai oublié mon portable à l’hôtel quand je me suis changée tout à l’heure !

- Prends le mien, suggéra Pascal.

- Le problème, c’est que je ne connais pas son numéro : il est dans la mémoire de mon téléphone. Et puis de toute façon, se souvint-elle, il ne doit pas être chez lui : il nous a dit qu’il partait à en Jordanie aujourd’hui : il est sans doute déjà parti, peut être même arrivé là bas. En plus, je ne sais même pas s’il a un portable…

- Bon, intervint Karine, si je comprends bien, on n’a plus qu’à partir d’ici. On pourra en profiter pour aller manger quelque chose : je vais finir par tomber d’inanition.

- Quand même, tu as déjeuné, ce matin : ça ne fait que huit heures sans manger. Si Saint Bruno t’entendait, ça le bien ferait rigoler, dit Pascal. Ça devait être le genre de religieux à jeûner pendant plusieurs jours.

Puis, se tournant vers les fenêtres, il continua :

- Mais au fait, j’y pense : Qui pensez-vous que ce soit, ce moine là bas, entre les deux fenêtres ?

Karine fit une moue d’ignorance, tandis que Louise répondait :

- Le fameux Bruno, probablement…

- Et si le livre que nous cherchons était caché derrière le tableau ?

Les trois fausses religieuses se précipitèrent ensemble vers le tableau, qu’elles commencèrent à palper, tapoter, examiner sous toutes les coutures, mais rien ne permettait de supposer qu’il put y avoir quoi que ce soit de caché derrière.

Une nouvelle fois, une petite toux brève se fit entendre à l’autre bout de la pièce : le bibliothécaire était de retour. L’expression qu’affichait son visage montrait assez que le moine n’approuvait pas qu’on posât aussi familièrement les mains sur le portrait de Saint Bruno.

- Ah ! Mon frère, lui demanda Louise sans se démonter, nous avons un petit problème de référencement. (haussement de sourcils du chartreux) Nous cherchons le livre intitulé "De credentiae primii temporii", mais il ne semble pas indiqué de la même façon que les autres…

Tout en disant ces mots, elle s’était rapprochée de l’écran de l’ordinateur montrant les références des ouvrages. Elle le montra au religieux.

- Voilà, regardez : les indications de cette colonne ne nous permettent pas de le retrouver dans cette salle. Est-ce que par hasard vous sauriez ce que veut dire " BAV – Inf" ?

Le moine regarda l’inscription, hocha la tête, puis sortit un crayon et un carnet d’un tiroir de son bureau. Louise le vit griffonner quelque chose, qu’il lui tendit.

"Bibliotheca Apostolica Vaticana – Inferno."

1 commentaire:

Marjo a dit…

j'aime j'aime j'aime !! à quand la suite ????????????