Louise était époustouflée par ce qu'elle venait d'entendre.
- Tu ne crois pas qu'il pète un peu les plombs, ton copain ? demanda-t-elle à Pascal. Un métal inconnu sur terre : c’est du grand délire !
Celui-ci restait songeur.
- Non, je ne pense pas, et c'est bien ce qui m'intrigue ! Sylvain n'est pas quelqu'un qui s'emballe pour rien !
Puis il regarda plus profondément son amie.
- Je pensais bien que ce médaillon était bizarre : ces caractères, ce centre qui tourne toujours dans le même sens, cet aspect neuf… mais à ce point ! En fait je m'attendais à ce qu'il puisse me dire d'où il venait, d’après la composition de son alliage, la pureté des matériaux, ou je ne sais trop quoi. Mais là ! Je dois avouer que c’est bizarre.
Louise ne savait plus quoi penser. Son esprit cartésien s'embrouillait. Pouvait-elle croire ce gars ? Après tout, elle ne le connaissait pratiquement pas ! Et ce qu'il leur annonçait était tellement aberrant !
- Et son appareil, là, son spectro bidule, il ne pourrait pas être en panne et dire n'importe quoi ? tenta-t-elle.
- Je ne pense pas, Louise. Je t'assure, Sylvain n'est pas un farfelu et j'imagine qu'il a dû recouper ses conclusions avant de nous prévenir.
- Mais alors d'où vient-il ce pendentif ? Ce n'est quand même pas un extraterrestre qui l’a perdu de sa soucoupe volante ! dit-elle en éclatant de rire.
Mais la plaisanterie ne fit pas rire son ami.
- Je ne sais pas, se contenta-t-il de répondre.
Louise le dévisagea, agacée. Il avait l'air grave.
- Non mais arrête, Pascal, là tu déconnes à fond toi aussi ! Allez, je suis sûr que ton pote va rappeler cet après-midi en se confondant en excuses et en t'expliquant qu'un gloubiboulscope à pointe ou un autre truc du même tonneau a mal fonctionné. Ou alors qu'il a fait une erreur énorme, une erreur de gamin, du genre oublier de brancher une prise, ça arrive parfois, des trucs comme ça.
Pascal la regarda, avec l'air de ne pas savoir s'il devait le prendre mal ou pas.
- Tu as peut-être raison, admit-il, mais ça parait tellement peu probable.
- Dis, au fait : ton copain, emporté dans son élan, il ne faudrait pas qu'il lui vienne l'envie de couper en deux mon médaillon ! C’est tout ce qui me reste de mon oncle, après tout !
Pascal fit une grimace : le ton surexcité qu’avait eu Sylvain l’instant d’avant laissait supposer que la chose était possible.
- Tu as raison. Je lui envoie un texto tout de suite ! dit-il en saisissant son téléphone portable, on ne sait jamais !
La réponse suivit presque immédiatement, faisant vibrer le petit combiné de Pascal.
- Ne t'inquiète pas, il avait bien pensé que tu y tenais. Le pendentif n'a subi aucun dégât. Il me le fait rapporter par coursier tout à l'heure afin de te rassurer, en attendant de te rencontrer ce soir.
Louise se sentit un peu soulagée.
Finalement, ce Sylvain avait l'air d'être plutôt un type bien. Penser à la valeur sentimentale qu'elle pouvait attacher au médaillon alors qu'il était persuadé d'avoir fait la découverte du siècle prouvait qu'il avait une grande part d'humanité. Sylvain lui parut tout de suite plus sympathique et elle cessa de se moquer de lui.
Dans l’après midi, Louise s’octroya une pause dans ses lectures pour aller faire quelques courses. Le frigo était presque vide, et les placards ne valaient guère mieux.
Chargée d’un sac dont la poignée trop mince lui faisait mal aux doigts, elle décida de rentrer chez elle en bus. Il n’y avait que deux stations, mais au moins, elle ne serait pas obligée de porter le sac sur tout le trajet.
Lorsque le bus arriva, elle monta et se serra entre les passagers. Le véhicule s'ébranla doucement et commença le retour. Louise regardait la route qui défilait au dehors. Elle s’amusait de voir à quel point le simple fait de ne pas être dans son véhicule habituel pouvait changer sa perception de ce quartier pourtant familier. Il lui fallait presque faire un effort pour reconnaître les lieux par où elle passait.
Soudain une silhouette surgit devant le bus. Le chauffeur eut juste le temps de pousser un cri de frayeur et d'appuyer de toutes ses forces sur la pédale de frein. Le bus vibra sous l'effort et se tassa sur l'essieu avant, projetant les passagers les uns sur les autres.
L'homme sembla tout de même percuter le capot, mais il continua tout de même sa course en boitant.
- Non mais quel malade celui-là ! hurla le chauffeur. Qu'est ce qu'il a, à courir comme ça ?
Louise n'avait pas vu tout ce qui s'était passé, mais l'avait compris aux invectives du chauffeur. Elle tourna la tête pour voir, mais l'homme n'était déjà plus là. Les autres passagers y allaient tous de leurs commentaires.
Son arrêt arriva et elle descendit. Quelle drôle de journée ! Elle marcha un peu, la tête dans ses pensées, passa la grille de la résidence et monta les escaliers menant chez elle. Elle allait ouvrir la porte lorsqu’elle sentit une présence derrière elle. Elle se retourna vivement, prête à utiliser les cours de self défense que Mamie-Lu l’avait presque obligé à suivre, parce qu'une fois elle s'était fait voler son sac à main. Mais elle ne vit rien. Le couloir était vide.
- Houlà, un peu trop nerveuse ce soir ma vieille, faut te calmer ! dit-elle tout haut comme pour mieux se rassurer.
Elle pénétra dans son petit appartement et verrouilla la porte derrière elle. Elle se sentait tendue.
Un bain ! Prendre un bon bain chaud, voilà qui devrait faire baisser tout ce stress. Elle passa par la cuisine, mordit machinalement dans un croissant dont elle n’avait pas vraiment envie, le reposa et fila vers la salle de bain.
En passant devant le salon, elle vit le petit globe en bois de son oncle posé sur la table. Elle le trouvait magnifique et l'emporta avec elle dans la salle d'eau pensant le regarder de plus près.
Elle ouvrit les robinets, versa un bouchon de bain moussant et la baignoire ne tarda pas à être pleine d'une eau chaude et parfumée. Louise se dévêtit et se glissa dans la mousse épaisse. Ses muscles se relâchèrent.
Les vapeurs enivrantes de pêche finirent de lui détendre l'esprit. Elle récupéra la petite sphère de bois et la fit tourner entre ses mains. Les continents étaient dessinés à l'ancienne, les pays d'Afrique portant encore le nom des anciennes colonies européennes. De fins pointillés partaient des ports et matérialisaient les principales routes maritimes. La Russie, quant à elle, était désignée sous le nom de « Saint Empire de Russie ».
Ce globe était sûrement bien plus vieux que la date inscrite sur la photo ! Postérieur aux grandes vagues de colonisation, mais plus ancien que la révolution russe. Louise estima qu’il avait dû être façonné au début du XXème siècle, peut être à la fin du XIXème.
Elle jeta machinalement un coup d’œil sur la France, dont la surface était à peine celle d’une pièce de cinquante centimes. Malgré la taille excessivement réduite, la précision du tracé était absolument remarquable !
Ses doigts effleuraient la surface lisse du bois poli, lorsqu'ils rencontrèrent une petite aspérité. Elle regarda de plus près, il s'agissait en fait d'un trou ! Il n'était pas plus gros qu'une pointe d’aiguille et ses yeux ne l'auraient sans doute jamais vu si elle ne l'avait pas d'abord senti sous ses doigts. Une petite croix était dessinée juste au-dessus, mais aucun nom n'était inscrit. Il était situé dans le sud-est de la France, un peu plus bas que Lyon, dans les environs de ce que Louise estima être Grenoble ou quelque chose comme ça. Quelque chose à voir avec le Vercors ? La Résistance ? Probablement pas : le globe semblait beaucoup plus ancien. Et puis pourquoi ces marques ? Elle n'en avait aucune idée !
Ce trou aurait pu être fortuit s’il avait été seul : un défaut du bois, par exemple, ou l’œuvre d’un quelconque insecte, mais la croix au dessus semblait indiquer le contraire. Cela avait-il un rapport avec le pendentif ? Possible, mais finalement peu probable : le message ne disait rien sur un quelconque lieu dans le sud-est. Elle pensa regarder sur une carte de France à quoi pouvait correspondre cet emplacement… ou mieux : en agrandissant une photo de cette partie du globe et en la superposant avec une carte…
- Oh, zut ! Le pendentif, le rendez-vous avec Pascal et Sylvain, il faut que je me dépêche.
En rêvassant dans son bain, Louise n'avait pas vu passer l'heure, mais il lui fallait maintenant ne pas perdre de temps si elle ne voulait pas être trop en retard. Elle reposa le globe sur une petite étagère en hauteur, au dessus de la baignoire, d’où elle jugea qu’il ne risquerait pas de tomber, sortit du bain et se sécha rapidement.
Elle enfila en hâte des vêtements propres et sortit en trombe.
Pas question cette fois-ci d'y aller à pied, Pascal habitait trop loin et les rues de Montpellier n'étaient quand même pas très rassurantes pour une jeune fille seule la nuit. D'un coup d'ascenseur, elle descendit jusqu'au parking où était garée sa Mini, mit le contact et démarra. Elle brancha son oreillette à son portable et composa le numéro de son ami.
- Allo Pascal ?
- Oui, Louise, tu es où ? demanda son ami
- Je suis en train de partir de chez moi, j’arrive dans cinq minutes.
- Ok ! Pas de problème ! Par contre, changement de programme : on a rendez-vous au Donegal, le nouveau pub derrière la préfecture. Sylvain ne peut pas venir jusqu'ici, sa voiture a un problème.
- Ah ? Elle est tombée en panne ? demanda Louise par simple curiosité.
- Pas exactement : un petit plaisantin lui a crevé les quatre roues ! Sylvain était furieux : il m'a raconté tout ça cet après-midi lorsqu'il m'a envoyé le coursier. J'ai ton médaillon d'ailleurs !
- Pas abimé ? Il ne l’a pas découpé en lamelles pour faire ses expériences ?
- Mais non, je te l’ai dit : il sait que tu y tiens. Il n’est d’ailleurs plus aussi sûr que ce soit la découverte du siècle. Il a une théorie très simple à son sujet, ça n’a rien à voir avec des extraterrestres ou des trucs dans ce genre là.
- J’aime autant ça. C’est quoi, cette théorie ?
- Je te dirai ça quand on se verra. Je suis en route pour le pub, on se retrouve dans cinq minutes.
- Ok ! Pas de problème pour moi, chez-toi ou là bas, ça revient au même, je vais me garer à la pref… Héé merde! Quel connard celui là ! Pardon…on vient de me griller une priorité. J’ai bien failli me le prendre, cet abruti ! Encore un de ces gominés débiles qui roulent comme des tarés ! Quand il aura fauché un piéton et qu'il l'aura foutu en fauteuil, il sera content ! Y’a vraiment qu’ici qu’on voit ça ! Bon, je raccroche, j’arrive au parking.
Elle trouva une place au deuxième sous-sol et sortit à pied du parking souterrain. Le pub n’était qu’à cinq minutes de marche ; Pascal l’attendait devant la porte.
- Excuse-moi, je n'aurais pas dû m'énerver tout à l’heure, c'est vrai que j'ai les nerfs un peu à fleur de peau en ce moment.
Pascal se pencha et l'embrassa sur la joue.
- Tout est oublié répondit-il avec le sourire. Bon ! On ne va pas tarder à être fixés sur ton bijou. Sylvain m'a bien fait passer les résultats de ses mesures, mais je n'ai pas encore eu le temps d'y jeter un coup d'œil.
Ouvert trois ou quatre mois auparavant, le Donegal n’était pas un pub très différent des autres : il se donnait un air irlandais, avec les trèfles et les farfadets traditionnels bien que le patron fut un montpelliérain pur jus. Louise et Pascal saluèrent deux ou trois connaissances et s'installèrent à une table.
- J'espère que Sylvain ne va pas être trop long ! J’aimerais bien qu’il nous en dise un peu plus long sur la suite, lâcha Pascal.
- Fais voir les documents s'il te plaît, dit Louise en tendant la main.
Elle prit les feuillets, les parcourut rapidement et, d'un air dubitatif, les repassa à Pascal.
- Pour moi, c’est du chinois, mais si on en croit sa conclusion, le pendentif n'est pas fait dans un métal connu, c’est tout ce qu’on peut affirmer.
Pascal avait sorti le médaillon et l'observait, comme pour déceler la vérité.
- Il faut quand même reconnaître que c'est étrange qu'il paraisse aussi neuf.
Les études techniques de Pascal lui permettaient de lire plus facilement le compte rendu des mesures et chaque fois qu'il tournait une page, il hochait la tête avec un air de surprise.
Louise le regardait faire, attentive au moindre mouvement, avide de savoir.
- Alors ? dit-elle, c'est vrai ?
- Oui ! Aucun doute, Sylvain a fait tout ce qu'il fallait faire et même l'analyse spectroscopique…
- Et c'est quoi exactement, une analyse spectroscopique ?
- Eh bien, en gros, d’après ce que je sais, quand une matière est chauffée à haute température, elle émet une lumière particulière qui caractérise ses propres constituants atomiques...
- Attends : tu veux dire qu’il a chauffé mon médaillon à haute température ?
- Non, je ne crois pas. Je ne sais pas exactement comment ça marche, mais autant que je sache, il n’est pas nécessaire de chauffer la totalité de l’objet à analyser. Et pas besoin de prélever des échantillons non plus, ajouta-t-il en voyant l’air effaré que prenait Louise. Bref, en analysant cette lumière et les différentes longueurs d'ondes qui la constituent, on peut en tirer comme une sorte d’empreinte digitale de chaque atome. Par exemple, les phares de voitures, suivant leur constituant, ils seront jaunes, blancs, ou bleutés. Tu me suis ?
- Oui, oui, sans problème. Donc si je comprends bien, malgré ce test là, la matière du médaillon n'a pas pu être identifiée, et Sylvain en conclut donc que c’est une matière inconnue. C'est ça ? Ça lui suffit ?
- C’est ça, mais il a quand même pris la peine de faire, en plus, d'autres tests chimiques pour vérifier ses résultats et il a même contrôlé sa radioactivité, qui apparemment n'est pas plus importante que celle d'un mouchoir en papier.
- C’est quand même assez extraordinaire ! Mais alors d'où est-ce qu’il peut venir ? Comment mon oncle s'est-il approprié ce bijou ? Pourquoi l’avoir créé dans ce métal ? Et que va-t-on faire maintenant avec ce truc là ? Et puis…
Mais Pascal posa sa main sur la sienne et la coupa.
- Calme-toi, j'ai peut-être une idée là-dessus, enfin sourit-il, plusieurs !
Le cœur de Louise tressaillit en sentant la main de son ami contre la sienne. Le médaillon disparut de ses soucis en une fraction de seconde. Elle retourna sa main et serra celle de Pascal, dont les explications lui parvenaient comme une sorte de murmure qu’elle n’écoutait plus, toute entière à ce contact inespéré. Elle regardait leurs mains entrelacées, se demandant à quoi il pensait, lui, en cet instant précis, et s’il allait laisser sa main lorsqu’il aurait fini son exposé.
- Voilà ! Qu'en penses- tu ? demanda Pascal.
Louise rougit, gênée.
- Heu… ben… je ne sais pas… tu peux me la refaire version courte : je n'ai pas tout bien suivi, là.
Pascal ne se formalisa pas. Par contre, il retira sa main pour saisir les feuillets contenant les résultats des mesures.
- Je te disais que, d’après Sylvain, le métal proviendrait "tout simplement" d'une météorite qui aurait atterri quelque part. Un ancien peuple en aurait fait un bijou, ou peut être un instrument qui sert à quelque chose. Parce que je doute vraiment qu'il soit aussi élaboré pour rien !
- Tout simplement ? Il en a de bonnes, ton copain ! Je suppose que ce genre de météorite, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue !
- Ce qu’il voulait dire, c’est que la fabrication de l’objet était bien humaine, d’origine terrestre, et que ça ne prouvait en rien l’existence d’une forme de vie intelligente sur une autre planète.
- Admettons, mais alors quel peuple aurait créé ce bijou, et pour quoi faire ? Je n'ai jamais entendu dire qu'un quelconque peuple antique ait eu ce genre de truc. Les Égyptiens peut-être auraient pu, les Babyloniens aussi, une espèce de calendrier astral, ou un appareil servant de calculatrice pour déterminer la position des étoiles. Il parait que les Babyloniens étaient très forts en astronomie !
Louise se pencha sur le médaillon et continua.
- Ces caractères ne ressemblent pas à des hiéroglyphes, ni même à leurs précurseurs.
Elle essayait de se remémorer ses cours sur les premiers alphabets. Pascal restait pendu à ses lèvres, n'osant l'interrompre de peur qu'elle ne perde le fil de ses idées.
- On dirait des espèces de runes, mais je ne vois pas quelle pourrait être leur origine.
- Des runes ? Tu veux dire ces espèces de petites pierres gravées dont les sorciers marabouts se servent pour lire l'avenir ?
Louise éclata de rire:
- Tu connais des sorciers marabouts ? C’est quoi, cette connerie, encore ?
- Tu sais, tu as sûrement déjà vu ces petits prospectus qu’on trouve parfois dans les boites aux lettres : "Maître Zobiramolo, grand marabout ivoirien qui voit tout, résout tous vos problèmes d’envoûtement, retour de l’être aimé, haricots qui ne veulent pas cuire et factures impayées en tous genres".
- Non, répondit-elle en riant, à l'origine, les runes sont un alphabet du nord de l’Europe. Ce qui le différencie surtout de l'alphabet latin, c'est que ces lettres, ces runes, ont des noms et qu’elles sont dotées d'un sens propre. C'est l'alphabet qu'utilisaient les anciens peuples du nord de l'Europe pour écrire le germanique, le vieil anglais et même le scandinave ancien. Mais effectivement, on en retrouve aussi dans la culture africaine.
- Et tu saurais les déchiffrer ? demanda Pascal.
- Oh que non ! J'en suis bien incapable ! Il nous faudrait un spécialiste des langues primitives, comme… Ah zut ! Comment il s'appelait déjà ce prof que j'avais eu en première année de fac ?
Pascal reprit le pendentif dans ses mains pour essayer à son tour de comprendre.
- Regarde dit-il, on dirait des mots : on remarque bien les espaces entre eux ! Et même apparemment il n'y en a que deux sur le cercle intérieur, alors que sur le pourtour, ça ressemble plus à une espèce de phrase.
- Oui, dit Louise en regardant, tu as sûrement raison. Mais après, comment savoir ce qu'il y a d'écrit et à quoi peut servir ce bijou ? Même si on avait la correspondance des lettres, il faudrait en plus connaître la langue dans laquelle c’est écrit !
Puis Louise regarda sa montre.
- Dis donc, il fait quoi ton Sylvain là ? Ça fait presque une heure qu'on l'attend, tu devrais peut-être essayer de l'appeler pour voir.
Pascal décrocha son téléphone et composa le numéro. La sonnerie retentissait à l'autre bout. Deux, trois, quatre fois. Pascal s'attendait à tomber sur la messagerie lorsqu'une voix féminine répondit.
- Allo ! Qui est à l'appareil ? demanda-t-elle.
- Heu… Excusez-moi, j'ai dû me tromper de numéro, répondit Pascal.
- Non, non, ne raccrochez pas ! ordonna la voix. Je suis le lieutenant Jamin, de la brigade criminelle. Veuillez décliner votre identité, s'il vous plait.
Pascal eut une hésitation.
- Je m'appelle Pascal Fontanel et je suis un ami de Sylvain Delbarre. Nous avions rendez-vous ce soir dans le centre ville. Mais, que se passe-t-il ? Pourquoi avez-vous son téléphone ?
- Monsieur Fontanel, j’ai une assez mauvaise nouvelle à vous apprendre : Votre ami vient d'être admis aux urgences de l'hôpital Lapeyronie, il a été agressé en pleine rue, devant chez lui. Aussi, je souhaiterais vous rencontrer, au commissariat demain matin, si ça vous est possible : j'aimerais vous entendre.
- Agressé ! Mais c'est incompréhensible ! s'exclama Pascal, mais… comment ? Est-ce qu’on sait qui a fait ça ? Est-ce qu'il va s'en sortir ?
- Nous ne savons pas grand-chose pour l'instant : il a reçu plusieurs coups de couteau et il est encore inconscient, répondit le lieutenant. Nous aimerions en savoir plus, justement, c'est pourquoi je vous demande de bien vouloir venir demain jusqu’à l’hôtel de police. Vous demanderez le lieutenant Jamin. Ce… ce n’est pas une convocation, ajouta-t-elle d’un air conciliant, mais ça nous serait bien utile si vous pouviez nous aider à y voir clair.
- Oui, je comprends. Alors à demain matin, dit Pascal. Et il raccrocha.
Louise, qui avait entendu des bribes de la conversation, était blême.
- Nom d’un chien, dit-elle, tu crois que ça a quelque chose à voir avec le médaillon ?
- Je ne pense pas, dit-il en se levant avec un air grave. Nous verrons bien. Pour l'instant, ne disons rien sur ce bijou, il risquerait d'être mis sous scellés. Nous n'en parlerons que si ça devient vraiment nécessaire.
Louise acquiesça et remit son manteau. Pascal était devant elle au comptoir et réglait leurs consommations.
- Je te ramène chez toi ? demanda Louise qui voulait prolonger la présence de Pascal à ses côtés. Je suis garée juste là, au parking de la préfecture.
- Si ça ne te fait pas faire un trop gros détour, je veux bien : il ne fait vraiment pas chaud !
Ils se hâtèrent jusqu’à l’entrée du parking, le temps s'était considérablement refroidi. Louise frissonna. La nuit semblait plus noire et plus profonde qu'habituellement. L’air dans le parking souterrain leur parût presque tiède par comparaison à celui du dehors.
- Tu n'es pas obligée de venir, demain : la… heu lieutenante… lieutenant, enfin la policière, quoi, ne m'a pas parlé de toi, dit soudain Pascal.
- Non je préfère t'accompagner, je ne veux pas te laisser seul et puis, moi aussi, j'avais rendez-vous avec Sylvain. Je me sens un peu responsable. Je… j’espère qu’il va s’en sortir.
- Elle n’a pas eu l’air de dire que son état était critique, dit Pascal pour se rassurer.
Il ne leur fallut guère plus de dix minutes pour arriver devant l’immeuble de Pascal. Louise n’avait pas envie de simplement le déposer devant sa porte et de repartir seule vers sa résidence. Pourtant, elle savait qu’il n’oserait probablement pas l’inviter : le coup du « dernier verre », ce n’était pas trop son genre.
Elle fut presque contente de voir de la lumière à toutes les fenêtres du deuxième étage :
- Dis donc : c’est chez toi qu’il y a toutes ces illuminations ?
- Oh zut ! C'est quoi ce truc ? J’aurais peut-être pu en oublier une en partant, mais certainement pas tout laisser allumé en grand avant de partir. On dirait bien que j’ai eu de la visite.
- Je monte avec toi : on ne sait jamais.
- Attends : s’ils sont encore là, ça risque d’être dangereux…
- Encore plus si tu y vas tout seul.
- Bon, voilà ce qu’on va faire : tu vas te garer dans la rue derrière : ta voiture manque un peu de discrétion pour la laisser juste en dessous. Après, on va revenir à pied sur le trottoir d’en face, d’où on pourra voir une bonne partie de l’appartement. Tu appelleras mon numéro de fixe, et on verra bien si quelque chose bouge.
Il leur fallut quelques minutes pour garer la Mini dans une petite rue perpendiculaire à celle de Pascal. Revenus en face de chez lui, ils se dissimulèrent derrière un fourgon qui était stationné là, pensant que c’était sans doute le meilleur poste d’observation qu’ils pourraient trouver. Louise sortit son téléphone et composa le numéro du domicile de son ami. Les sonneries se succédaient sans qu’aucun signe de vie ne se manifeste dans l’appartement.
- Je crois que c’est bon, dit Pascal, il n’y a personne… enfin plus personne.
- Je viens quand même avec toi !
Ils s’engagèrent dans l’entrée de l’immeuble et gravirent en silence les deux étages.
- Reste un peu en retrait, souffla Pascal. Et puis ne fais pas attention au désordre, continua-t-il d’un air gêné… je ne savais pas que tu viendrais.
A pas de loup, il entra dans son appartement.
Tout était saccagé. Les tiroirs vidés sur le sol, les placards ouverts, ses vêtements répandus dans la pièce, même la petite cuisine semblait avoir été fouillée sans ménagements : des pâtes et du sucre jonchaient le carrelage.
Louise, qui était entrée peu après, lui demanda :
- Tu veux dire ce désordre là ? Je crois qu’il faut prévenir la police : rappelle cette lieutenant Jamin et dis-lui de venir voir. Je suis sûre qu'il y a un rapport entre ton cambriolage et l'agression de Sylvain.
Il acquiesça et appela le commissariat. Une dizaine de minutes plus tard, une voiture de police était arrêtée devant l'entrée.
Deux hommes en uniforme et une femme en civil sortirent du véhicule. Ils n’eurent pas besoin de sonner en bas, et leurs pas retentirent dans l’escalier.
Ils frappèrent à la porte et Pascal ouvrit.
- Bonsoir. Lieutenant Jamin, dit-elle en lui montrant sa carte professionnelle. Vous êtes Monsieur Fontanel ?
C'était une femme d'environ quarante ans, plutôt athlétique mais belle, les cheveux châtain clair et lisses ; elle avait un visage sympathique, sur lequel on devinait pourtant une certaine autorité naturelle.
- Oui, c'est moi. Des nouvelles de Sylvain ?
La policière entra et fit signe aux deux gardiens de la paix de jeter un coup d’œil dans l'appartement et aux alentours.
- Son état est toujours préoccupant et il est toujours sans connaissance. D'après les témoins de l’agression, un homme se serait jeté sur lui, l'aurait poignardé avant de prendre la fuite en boitant.
- En boitant ? s’exclama Louise, malgré elle.
La commissaire la regarda :
- Oui ? Mademoiselle ?
- Louise Robinson, j'avais rendez-vous avec Sylvain Delbarre en même temps que Pascal. Quand je suis rentrée du supermarché tout à l'heure, un homme a été percuté par le bus dans lequel je me trouvais, c'est… enfin, c’est peut-être juste une coïncidence, mais il a pris la fuite en boitant.
- Pourriez-vous l'identifier ? demanda la commissaire.
- Non, je ne pense pas : il faisait sombre et je n'ai même pas vu son visage.
- Lieutenant ! Venez voir ! s'écria un policier qui était retourné dans le couloir.
Le lieutenant Jamin avança vers lui. Pascal et Louise voulurent la suivre, mais elle leur fit signe de rester où ils étaient. Le policier en tenue lui désigna un recoin près des armoires à compteurs électriques.
Le corps d'un homme était allongé là, inanimé.
- Il a l’air un peu mort, commenta le gardien de la paix.
- Bon ! Eh bien voilà qui complique sérieusement notre affaire ! Nous voici maintenant avec un cadavre sur les bras, ou en tout cas ce qui en a tout l’air. Appelez la section d'investigation et du renfort pour interroger les voisins et boucler le périmètre. Moi, je retourne m'occuper des deux autres.
- Lieutenant, en cherchant ses papiers, je n'ai trouvé que ça sur lui ! annonça le policier en lui tendant une photo qu'il avait déjà pris soin de glisser dans une petite pochette en plastique.
La policière la récupéra. Elle réfléchit un moment, fouilla dans son sac à main et sortit son appareil photo numérique afin de faire un cliché du visage de l'homme.
Elle retourna dans la pièce où étaient restés Pascal et son amie.
- Mademoiselle Robinson, reconnaissez-vous cet homme ? demanda-t-elle en lui montrant la photo tout juste prise.
Louise observa la photo. Ses jambes tremblèrent en comprenant tout à coup ce que les policiers venaient de trouver. Elle secoua la tête en signe de négation. Elle avait beau chercher, elle ne le connaissait pas et ne se rappelait pas l'avoir déjà vu. Elle détourna la tête.
- Alors comment pouvez-vous m'expliquer que la seule chose que nous venions de retrouver sur lui soit ce portrait de vous, lui dit-elle en lui montrant la photo découverte sur l’homme du couloir, enveloppée dans sa pochette en plastique.
Louise sentait le sol se dérober sous ses pieds. Elle ne savait pas dans quoi elle était tombée, mais elle savait désormais qu'elle risquait sa vie et celle de Pascal. Ça ne pouvait pas être de simples coïncidences : l’agression de Sylvain, la fouille chez Pascal, l'homme dans le couloir…
- Je crois bien que je vais devoir vous demander de me suivre tous les deux au commissariat dès maintenant, afin de recueillir votre déposition lâcha le lieutenant Jamin sur un ton qui ne permettait pas le moindre refus.
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