Un petit feuilleton pour égayer les lundis...

La suite...
Le Chapitre 25.
On retrouve notre camarade Yboulados, qu'on découvre sous un nouveau jour. C'est nettement moins folklorique mais guère plus plaisant.
Et toujours, si vous avez des idées pour la suite de l'histoire, je suis preneur.
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Bonne lecture...

lundi 3 janvier 2011

Chapitre 1

Depuis plusieurs heures, la pluie dévalait en rideaux ininterrompus, conférant une ambiance plutôt morose à l’évènement. Pourtant, l’oncle Germain avait expressément souhaité que celui-ci fût joyeux : il s’agissait de son enterrement.

Ce n’était d’ailleurs pas à proprement parler un enterrement : l’oncle Germain avait tenu à être incinéré, et conformément aux dernières volontés qu’il avait laissées, ses cendres avaient été mélangées à de la purée de bananes, additionnée de fromage blanc et de miel. Une coutume indienne d’Amérique du sud, avait-il affirmé dans son dernier message.

Ses amis et connaissances avaient été conviés à ce « goûter d’adieu », au cours duquel ils avaient pu déguster ce qui, selon Mamie Lucienne, avait été le dessert préféré du défunt pendant toute sa vie.

Comme ce genre de rituel n’était pas prévu dans les prestations officielles des pompes funèbres, Mamie Lucienne avait, pour sa part, simplement oublié de préciser aux convives que les cendres de son fils avaient été incorporées au mélange, et c’est peut être en raison de cet oubli que tous s’étaient autant régalés. Il ne restait plus une goutte de la préparation lorsque le dernier invité sortit de la maison familiale.

Malgré les trois CD de musiques entraînantes que Germain avait gravés exprès pour l’occasion, personne n’avait dansé. Mamie Lucienne se disait que c’était sans aucun doute à cause de la pluie, qui n’allait pas bien avec la rumba, la salsa, le merengue et autres musiques tropicales.

Louise essuya une petite portion du carreau embué et jeta un regard par la fenêtre. De l’autre côté de la vallée, Saint Mérigot, le « village d’en face » comme on disait dans la famille, était invisible, bien que distant de seulement trois kilomètres.

Chaque bourrasque qui venait fouetter la vitre donnait à la jeune fille l’impression d’être transpercée par de des aiguilles glacées. Même si son oncle avait souhaité que cette occasion fut joyeuse, la météo n’y mettait pas vraiment du sien pour conférer à cette après midi un caractère allègre. De méchants nuages lourds écrasaient le ciel de leur noirceur hivernale et malgré l’heure encore précoce de l’après-midi, il était difficile de ne pas croire à l’arrivée imminente de la nuit sur le petit village.

L’oncle Germain était revenu dans ses Cévennes natales à peine deux ans plus tôt. Baroudeur, aventurier, toujours à la limite de la légalité, on disait qu’il avait parcouru le monde en tous sens, avant de partir passer de nombreuses années dans un monastère de la Cordillère des Andes, sans que personne ne soit vraiment sûr qu’il ait jamais été ordonné prêtre ou quoi que ce soit de ce genre.

Comme il excellait à faire pousser des aubergines, légume jusqu’alors presque inconnu dans ces contrées, on le laissait relativement tranquille et le père abbé fermait volontiers les yeux sur ses sorties nocturnes au « pueblo indio », distant d’une quinzaine de kilomètres, dont il revenait le plus souvent avec une inexplicable gueule de bois.

Heureusement, certaines jeunes filles du village avaient souvent l’obligeance de ramener « Padre German » à son monastère, et poussaient parfois le dévouement jusqu’à passer la nuit et une partie de la matinée avec lui dans sa cellule monacale, probablement pour s’assurer que tout allait bien.

Une maladie, sans doute exotique et certainement contractée bien des années plus tôt, s’était alors réveillée, et il avait été admis dans une communauté de son ordre (ou du moins de l’ordre qu’il affirmait être le sien) dans la cité du Vatican. Il put se rendre compte à cette occasion que les règles de l’ordre en question étaient nettement plus strictes à Rome que dans les montagnes d’Amérique du sud. Si de petites quantités de vin étaient admises au moment des offices, la présence de jeunes assistantes n’était pas encouragée, loin de là.

Rapidement, les autorités locales jugèrent opportun de mettre à distance cet ecclésiastique un peu trop noceur, et il fut gentiment convié à retourner dans le village qui l’avait vu naître. L’Eglise Catholique Romaine lui promettait même une pension plutôt décente s’il acceptait de partir dans les huit jours.

Il laissa donc sur place tous ses effets religieux, et partit profiter de sa sinécure sous le soleil de Saint Gouzy. Tout au moins quand il y avait du soleil, mais l’oncle Germain estimait qu’il n’y avait somme toute pas trop à se plaindre de ce côté-là.

Les habitants du village prirent l’habitude de l’appeler « le Père Germain » ou « l’Abbé Germain ». Les plus irrévérencieux, faisant référence à son récent passé romain, le surnommaient même « le Saint Père », mais aucun d’entre eux n’a jamais eu le privilège d’assister à une messe dite par lui, ni même de le rencontrer à l’église. Il préférait, et de loin, porter la parole divine sur sa moto et évangéliser tout en douceur et en subtilité les habitués du troquet local : aucun des poivrots qui fréquentaient l’établissement n’a jamais eu à se plaindre d’un Avé plus haut que l’autre, ni même d’un Avé chuchoté, d’ailleurs. Le Père Germain était un modèle de laïcité !

Louise gardait de son oncle l’image, vaguement féerique, d’un aventurier intrépide : coureur de brousse et pourfendeur d’anacondas. Un oncle amusant, bon vivant, et qui avait toujours pour elle un mot gentil lorsqu’il la voyait. Louise avait perdu ses parents quelques années plus tôt, et elle retrouvait chez l’oncle Germain un peu des expressions de sa propre mère.

Elle eut un moment de vague à l’âme en pensant à sa grand-mère qui venait de vivre les étranges funérailles de son fils, neuf ans après celles de sa fille, bouleversant l’ordre habituel de ce genre de choses. La vieille dame dût s’en rendre compte et elle sera dans sa main celle de sa petite fille.

- Ne pleure pas, ma Louisette, je suis sûre que, s’il est encore quelque part, il a déjà trouvé un moyen d’occuper son temps agréablement, et puis sinon, hé ben comme on dit, quand on est mort, on s’en fout. Tiens, il m’avait laissé un peu de maté. Tu partages une calebasse avec moi ?

- Merci, Mamie-Lu, mais je ne suis pas trop fana de ce truc : trop amer.

- Pas grave : je me la boirai toute seule ! Mais tu sais que c’est excellent pour la santé : bien meilleur que le thé ou le café, et ça protège d’un tas de maladies. En Argentine, ils appellent ça le "thé des jésuites". Ce sont eux qui en ont généralisé la culture.

- Mais l’Oncle Germain n’était pas jésuite…

- Non, je sais bien, mais quelle importance ?

Elle sortit du placard de la cuisine une boite en bois sombre d’où elle tira un sachet de papier, rempli de feuilles séchées.

- C’est quoi, cette boîte, Mamie-Lu ? demanda Louise, prise d’un doute en voyant les ornements argentés sur le bois vernis.

- Ça ? Oh, c’est l’urne dans laquelle ils m’ont donné les cendres mardi dernier. Quand elle a été vide, j’ai trouvé que ce serait plus joli qu’une boite en plastique pour mettre son "chimarrão". Il aurait sûrement apprécié.

Elle entreprit de préparer sa calebasse selon le rituel que lui avait enseigné son fils. Elle disposa des feuilles jusqu’à mi-hauteur, ajouta de l’eau chaude et secoua le récipient selon des mouvements bien précis. Elle le laissa reposer un instant sur le côté, puis le redressa et prit une gorgée de sa préparation à travers la "bombilla", la tige métallique servant à la fois de paille et de filtre.

- Louise, il y a une chose que ton oncle aurait voulu que tu fasses, commença Mamie Lucienne en rompant le silence.

- Qu’est ce que c’est ? demanda la jeune fille, un peu inquiète.

- Oh, rien de bien extraordinaire, rassure-toi ! plaisanta Mamie-Lu. Simplement, quand il a su qu’il… heu, n’en avait plus pour très longtemps, Germain a donné à peu près tout ce qu'il possédait à ses copains du troquet. Seule une vieille malle lui appartenant est restée au grenier. Il a écrit dans sa dernière lettre que le contenu était pour toi. Regarde ce qu’il y a dedans, conserve ce que tu veux, et puis pour le reste, tu trouveras bien quelque chose à en faire.

- Tu ne veux rien garder ?

- Pff ! Qu’est ce que tu veux que j’en fasse, maintenant ? J’ai tout ce qu’il faut là dedans, dit-elle en désignant sa tête.

Elle sembla pensive un instant, puis reprit :

- Fallait-y que je l’aime, mon Germain ! Je ne te raconte pas le mal que j’ai eu pour trouver cinq kilos de bananes en cette saison !

... à suivre

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