Le lendemain matin, la pluie avait fait place à une neige tardive qui était tombée dru tout au long de la nuit, recouvrant la campagne d'un épais manteau blanc. Louise sentit une odeur de chocolat chaud (et aussi de maté) arrivant de la cuisine, tandis que des bribes de paroles lui parvenaient.
Mamie-Lu était là, assise sur une chaise devant le vieux fourneau Gaudin. Elle discutait avec Yvonne adossée à un coin de la grande table campagnarde blanche. La calebasse circulait entre les deux femmes, qui ne semblaient pas s’intéresser outre mesure au chocolat : celui-ci avait visiblement été préparé à l’intention de Louise.
Yvonne était une « jeune » cousine de Mamie-Lu ; cousine éloignée, certes, mais Louise avait cependant pris l'habitude, depuis qu'elle était petite, de l'appeler Tata.
Plus grande que Lucienne, plus massive aussi, toujours affublée de son sempiternel tablier en Vichy, elle affichait une sorte de bonhomie naturelle dans le regard, bonhomie que d’occasionnelles fleurs de cannabis renforçaient davantage. Les deux vieilles dames s'étaient toujours bien entendues et lorsque, cinq ans plus tôt, à presque soixante ans, Yvonne s'était retrouvée veuve, elle était tout naturellement venue s'installer « à la maison ».
Tata Yvonne était une brave femme, gentille, attentionnée, et Louise était plutôt contente qu'elle soit là pour s'occuper de sa grand-mère. La Mamie ne manquait pas d'agilité, bien sûr, mais à 87 ans il y avait quelques tâches que même les plus alertes ne pouvaient plus accomplir, d’autant que la maison était assez à l’écart du village.
Louise s'étira en bâillant longuement. Sa nuit avait été agitée de rêves étranges et elle s'était réveillée plusieurs fois. Elle embrassa les deux femmes.
- Tu devrais t'habiller un peu plus, ma Louisette, il a fait froid cette nuit. Louise frissonna, jeta un coup d’œil rapide sur cette pièce qui lui rappelait tant de souvenirs : les poutres apparentes, le plafond bas, le grand bahut en pin, plein de vaisselle.
Elle saisit un poncho rose fuchsia de sa grand-mère qui pendait au portemanteau et s'en couvrit. Le même geste qu'elle avait tant fait étant petite, sauf qu’à l’époque, c’était avec une robe de chambre bleu pâle.
- Ne t'inquiète pas, Mamie-Lu, je fais attention, lui dit-elle avec un clin d'œil. La mamie lui sourit, semblant heureuse de retrouver « sa petite Louise ».
Louise jeta un regard dehors. Elle avait toujours aimé la neige. Le soleil brillait à travers les derniers nuages, donnant à la campagne un air de Noël au mois de mars, mais elle ne s’attarda pas à la fenêtre : elle était bien décidée à s'occuper des affaires de son oncle au plus tôt.
Elle avala rapidement un petit déjeuner, trempant ses épaisses tartines de pain beurré dans son bol de cacao et remonta s'habiller en hâte.
Elle troqua son poncho contre un jean noir et un large pull en laine ayant appartenu à son grand père et qui lui descendait plus bas que les fesses. Un fichu noué dans les cheveux, on l'aurait volontiers crue attifée pour un grand ménage de printemps. Elle monta le long de l'échelle de meunier et souleva la grande trappe de bois. La lumière qui filtrait par les minuscules vitres couvertes de poussière laissait passer une clarté blanchâtre. Le plancher grinça sous ses pas, comme réveillé d'un trop long sommeil. Tout ici semblait endormi, un voile blanc et poussiéreux en guise de couverture.
Elle chercha des yeux cette fameuse malle qui contenait les trésors de l’oncle Germain. Elle se souvenait peu des rares visites de celui-ci à la maison familiale. Pourtant, à travers le prisme de son imagination, elle revoyait l’oncle Germain comme un explorateur audacieux qui avait parcouru en long et en large tous les continents, une machette à la main, construisant des ponts de lianes ou des radeaux pour traverser des fleuves infestés de piranhas, fumant d’étranges calumets avec des tribus indiennes qui l’avaient adopté, dormant dans des lits de branchages suspendus à des baobabs…
Une fois, quelqu’un avait même projeté un film qu’on disait avoir été tourné par l’oncle Germain : un film d’amateur en super-8, mais dont les images, muettes, avaient un parfum d’aventure. On y voyait un radeau, ou alors un genre de pirogue, qui descendait un fleuve aux eaux tumultueuses. Louise pensait avoir aperçu des crocodiles, mais comme personne d’autre n’en avait jamais parlé, elle finit par supposer qu’elle les avait imaginés.
Allait-elle retrouver ce film ? Et le projecteur, aussi…
Louise s'approcha de la malle. C'était une cantine en fer, peinte en vert foncé, toute simple ! Pas vraiment de quoi faire rêver, pensa-t-elle. Elle retira la longue tige métallique qui tenait les verrous et souleva le couvercle, ne sachant pas trop à quels trésors elle devait s’attendre. Avec la vie que l’oncle avait menée, tout était possible.
Louise fut déçue par ce qu’elle vit : la cantine était presque vide.
Elle ne contenait qu’une vieille soutane froissée, un casque colonial et un petit livre à couverture rigide, qu’elle pensa tout d’abord être un bréviaire ou un livre de messe, rédigé dans une langue inconnue, mais qui, au vu des illustrations, se révéla être beaucoup plus profane. Elle trouva aussi quelques autres livres dans un sac en plastique de supermarché : des livres de poche, mais guère plus catholiques que le premier, et puis un vieux globe terrestre en bois de la taille d’une petite pastèque.
Sous la soutane, elle découvrit une carte topographique, représentant une contrée qu’elle ne reconnut pas, mais qu’elle jugea être dans un pays hispanophone, d’après les noms qui y étaient inscrits. Un endroit plutôt montagneux, apparemment.
- Hé bien, il n’a pas laissé grand-chose, le brave tonton !
Elle saisit la carte et la déplia complètement. Une photo carrée, en noir et blanc, en tomba. C’était un de ces clichés typiques des années soixante, à l’époque où Kodak inondait le marché de la photo avec ses Instamatics. On pouvait y reconnaître Germain, beaucoup plus jeune. Il était avec un autre garçon, à la barbe fournie, et tous les deux tenaient une jeune fille, par les épaules pour l’un, par les hanches pour l’autre. Les trois personnages riaient et aucun ne semblait véritablement confit en dévotion.
Louise retourna la photo. Une vague inscription griffonnée au stylo bille mentionnait la date : y avait presque quarante ans ! Et des initiales : GIPJ, suivies du mot "Cuneocardium". La sonorité évoquait quelque chose comme l’antiquité romaine, ou peut-être la ville de Cuneo, en Italie. Ça paraissait vraisemblable avec ce qu’elle connaissait du passé de l’oncle Germain. Elle pensa aussi à « cunéiforme » : une écriture en forme de clous… et "cardium" évoquait peut-être le cœur, mais qu’est-ce que le cœur avait à voir là dedans ? Des clous dans le cœur ? Un cœur en forme de clou ? Tout ça n’avait pas vraiment de sens.
Elle pourrait toujours mettre la photo dans l'album de Mamie Lucienne, en souvenir.
Elle déplia la soutane : elle la donnerait au curé du village. Qui d’autre qu’un curé pourrait avoir besoin d’une soutane ? Et les livres aussi, elle les lui donnerait pour la bibliothèque paroissiale… ça lui ferait sûrement plaisir.
Le casque, elle l'offrirait à Pascal, il adorait tous les objets dans ce genre, surtout un casque comme celui-ci : ça lui rappellerait la couverture de Tintin au Congo : il était fan de Tintin.
Pascal Fontanel, c'était un ami de longue date, presque un ami d'enfance. Un gars qu'elle aimait beaucoup… peut être un peu trop, puisqu’il ne semblait pas s’intéresser à elle autrement que comme une bonne camarade !
Quant au petit globe, elle le garderait pour elle, il lui plaisait bien : le contact satiné du bois, les teintes brunes, les dessins à l'ancienne des continents, il y avait quelque chose de chaleureux et de rassurant.
Maintenant la question qui se posait, c’était comment elle allait s’y prendre pour descendre tout ça. La cantine était trop encombrante pour qu'elle pût la passer seule par la trappe du grenier sans risquer de tomber. Elle resterait donc ici !
Le reste, elle pensait pouvoir s'en débrouiller en un seul voyage.
Elle chargea tout dans ses bras. La soutane dessous, les livres et la carte empilés dessus et le globe calé dans le casque.
Elle allait entreprendre la descente, lorsqu'une chose rapide et noire se faufila entre ses jambes, contrariant brusquement leur mouvement naturel au passage. Déstabilisée, elle parvint cependant à se rétablir juste à côté de la trappe, mais le globe, le chapeau et les livres dévalèrent l’échelle de meunier et atterrirent à l’étage du dessous. Louise se massait le dos avec une grimace. La chose noire était revenue et elle se frottait désormais contre ses jambes.
- Bon sang ! Sushi, tu essaies de me tuer ou quoi ? dit-elle sur un ton de reproche, en prenant la petite chatte dans ses bras pour la caresser.
Elle se blottit contre son cou en ronronnant.
- Tu sais que c'est avec des conneries comme ça que les gens sont devenus superstitieux ! continua-t-elle en lui grattant le dessous du menton, là où elle arborait une petite tache blanche. Mais c’est vrai que tu n’es pas noire, toi : marron très foncé, comme dit Mamie Lu.
Puis elle déposa la chatte, qui s'en alla fièrement, la queue en l'air.
Louise descendit prudemment le long de l’échelle de meunier et fit un rapide état des lieux : les bouquins étaient éparpillés partout, mais ne semblaient pas avoir trop souffert de la chute.
Par contre, le globe était coupé en deux.
Louise se pencha pour le ramasser. Dommage ! pensa-t-elle. Enfin, peut-être arriverait-elle à le réparer, après tout.
Mais en regardant la cassure de plus près, elle se rendit compte que l’objet s'était scindé en deux parties identiques : coupé net au niveau de l'équateur. C’était en réalité une ouverture qui avait été prévue par celui (ou peut être ceux) qui avait fabriqué le globe. Celui-ci était creux, et dans l'une des deux hémisphères était fiché un objet en métal argenté.
C’était une sorte de disque, ou plutôt deux disques concentriques : celui du centre était finement orné d’une sorte d’étoile au milieu de laquelle s’ouvrait un œil. Des caractères, que Louise ne reconnaissait pas, étaient gravés sur la partie centrale, au dessus et en dessous de l’œil. Un ensemble de caractères formant peut être une phrase était également visible sur la partie circulaire qui l’entourait.
Le tout avait l’air d’être serti dans une fine couronne, apparemment faite du même métal, et sur laquelle était fixée une boucle. Un lacet traversait cette boucle, faisant de ce disque un genre de pendentif.
- Qu’est ce que c’est que ce machin ? murmura-t-elle en saisissant l’objet. Qu'est-ce que Germain faisait avec un bijou comme celui-ci ?
Sous le médaillon, elle trouva un petit bout de papier plié en quatre, auquel elle ne fit pas trop attention : elle le fourra dans une de ses poches et observa plus attentivement le métal.
- Ça ressemble à de l'argent, murmura-t-elle, mais c'est bizarre : ça a l’air neuf ! Ce n’est pas de l’inox, quand même !
Cet aspect neuf était assez étonnant pour un médaillon qui était sans doute enfermé depuis longtemps dans ce curieux écrin ! Amatrice de bijoux, Louise savait bien que l'argent s'oxydait très vite, et qu’il prenait une teinte terne et grisâtre avec le temps. Elle fit tourner le disque dans ses doigts, son contact était agréable et, étrangement, le métal ne semblait pas froid.
C'était un bel objet, finement ouvragé. Sans qu’elle soit capable de s’expliquer d’où lui venait cette impression, elle eut la certitude que ce bijou devait être ancien : rien à voir avec les bijoux fantaisie qu’on peut voir dans toutes les vitrines des grandes villes. En le regardant de plus près, elle se rendit compte que le centre, légèrement renflé, semblait indépendant de la partie plus plane qui l’entourait. Elle essaya de faire tourner la partie intérieure, qui pivota sans effort dans le sens des aiguilles d'une montre, mais ne semblait pas pouvoir tourner dans l’autre sens. Ce mouvement devait avoir une signification, mais elle ne voyait pas laquelle.
Elle observa plus attentivement ces signes qu'elle ne reconnaissait pas. Une écriture ancienne, probablement. La couronne qui enserrait le bijou était dépourvue de toute gravure et semblait n’avoir pour fonction que de permettre d’utiliser l’objet en pendentif.
À quoi tout cela pouvait-il bien servir ? Où son oncle s'était-il procuré ce médaillon ?
Soudain elle repensa à la photo de son oncle plus jeune. Elle la sortit de sa poche.
La fille sur la photo : elle portait le disque !
Quel était le rapport entre l’oncle et cette fille ?
Elle était plutôt jolie, très brune, de petites fossettes se dessinaient au coin de ses joues et elle semblait avoir beaucoup de charme. Aussitôt les hypothèses les plus extravagantes lui vinrent en tête : peut-être son oncle avait-il eu une relation amoureuse avec une fille ! Pas étonnant qu'il ait caché la photo : dans le monde de l'église, il ne fallait pas trop étaler ce genre d’histoires.
Elle repensa au petit bout de papier : peut être avait-elle eu tort de le négliger : il contenait probablement des indications sur le médaillon. Elle le sortit de sa poche et le déplia.
Il n'y était inscrit qu'une seule ligne : "Her.MMM- Illustre Artisan- temps premiers- Bruno.Cart.- OMMAGANOS"
- Bof ! Pas plus avancée !
Le mystère la piquait au vif. Elle décida de fouiller le reste des affaires. Le casque colonial ? Elle avait beau le tourner et le retourner, inspecter sa structure, le passer en transparence devant la lucarne du grenier… rien !
Les livres ? Elle les feuilleta tous rapidement, cherchant une annotation manuscrite, ou alors un feuillet glissé entre les pages,… mais rien là non plus! La carte ? Rien qui ne sauta aux yeux ! La soutane ? Elle plongea ses mains dans les poches, les fouilla méthodiquement, mais elles restaient désespérément vides, à part quelques débris textiles ou des miettes dont elle préféra ne pas savoir ce qu’elles étaient. Elle chercha même dans l’ourlet, palpa scrupuleusement les coutures, inspecta l’un après l’autre chacun des trente sept boutons, mais là aussi ce fut sans succès.
Le globe ? Apparemment rien de plus ! Les deux hémisphères s'emboîtaient parfaitement et se séparaient en les dévissant d’un huitième de tour... Il ne semblait pas y avoir d’autre secret que celui qu’elle avait déjà découvert.
Sa curiosité restait sur sa faim : pourquoi se serait-il donné autant de peine pour cacher ce pendentif et ce rouleau de papier s'ils n'avaient pas eu une quelconque importance ?
Mamie-Lu ! Elle allait lui en parler, elle saurait peut-être quelque chose.
Elle rassembla rapidement tout le fatras et l’enveloppa dans la soutane. Après tout, elle était déjà passablement froissée.
Elle arriva enfin dans la cuisine. Sa grand-mère était toujours là avec la tante Yvonne. Elles la regardèrent entrer avec tout son attirail.
Louise posa le tout sur la table.
- Je …heu…
Sa grand-mère lui sourit tendrement, semblant comprendre que quelque chose la travaillait.
- Oui ma Louise ? Dis- moi.
Louise ne savait pas trop par quoi commencer.
- J'ai fait comme tu m'as demandé, Mamie-Lu : je suis allé voir la grande malle de Germain et j'ai juste trouvé ça ! lui dit-elle en lui désignant le tas d'objets.
Mamie-Lu et Yvonne se penchèrent sur les rares reliques.
- Sa soutane, dit Yvonne avec un sourire amusé, voilà bien des années qu'il ne la portait plus, je ne savais même pas qu'il eut gardé ce machin.
- Oh, il devait se dire que ça pouvait toujours servir, supposa Lucienne.
- J'ai aussi trouvé ça! dit Louise en montrant le médaillon.
Les deux femmes regardèrent l'objet chacune à leur tour avec des mimiques d’appréciation, mais sans sembler reconnaître quoi que ce soit.
- Qu’est ce que ça peut bien être ? demanda Louise avec une excitation mal dissimulée dans la voix.
La Mamie haussa les épaules :
- Aucune idée ! finit-elle par dire après avoir tourné le pendentif entre ses doigts. Tu sais, ton oncle a dû traverser pas mal de territoires, heu… exotiques, c'est probablement un bijou offert par une des innombrables peuplades qu'il a côtoyées.
- Non, je ne pense pas : ça ne ressemble pas vraiment à de l’art indigène. Et puis pourquoi le cacher dans ce globe ? reprit Louise.
- Il ne le cachait peut-être pas, il s'en servait simplement comme d'une boite, répondit Yvonne.
- Et la photo ? insista Louise.
- J’imagine que ce sont des amis à lui, tout simplement.
Louise baissa la tête, déçue. Se serait-elle un peu trop emportée ? N'y avait-il finalement aucun mystère ? Elle commençait à le penser. Elle s'était imaginé tout ça : probablement une façon de refuser que son oncle fut un banal curé noceur. C’était tellement plus amusant d’avoir un oncle fait du même bois qu’Henri de Monfreid ou Arthur Rimbaud…
Elle passa le pendentif autour de son cou.
- Je peux le garder, ça ne vous dérange pas ? demanda-t-elle aux deux femmes.
- Pffou ! Je t'ai dit que c’était pour toi : tu peux en faire ce que tu veux. Garde tout ce qui te plaît, ma grande. Et puis ce médaillon te va si bien ! Considère que c’est l’héritage de ton oncle Germain. C’est un peu maigre, mais ce qui compte, c’est le souvenir.
Louise les prit par le cou et les serra fort contre elle.
- Je vous aime bien, toutes les deux, dit-elle dans un souffle.
Puis elle relâcha son étreinte.
- Je vais préparer mes affaires : ça ne m’amuse pas, mais je dois partir en début d'après-midi, soupira-t-elle.
Ce n'était pas vraiment le moment, mais elle n'avait pas trop le choix. Elle devait regagner son petit appartement sur Montpellier : elle devait avoir une tonne de manuscrits en retard ! Lectrice pour une maison d’édition locale, elle pouvait organiser son temps comme elle le souhaitait, mais elle avait déjà laissé pas mal de travail s’accumuler, et comme elle tenait à justifier auprès des auteurs les décisions qu’elle prenait, elle souhaitait se donner le temps de rédiger un commentaire détaillé pour chacun des manuscrits qu’elle évaluait.
L'après-midi arriva vite. Louise avait chargé sa Mini des années 60 : une voiture à laquelle elle se sentait particulièrement attachée, peut-être en raison de ses ascendances britanniques du côté de son père. Son salaire aux éditions Bel-Air lui aurait sans doute permis de choisir un véhicule plus récent et plus confortable, mais elle n’avait jamais souhaité se séparer de sa vieille Austin au toit violemment décoré d’un damier. Elle avait calé les affaires de son oncle dans le minuscule coffre et était bien décidée à passer voir le curé de la paroisse. La tante Yvonne l’avait assurée de sa présence.
Non seulement elle lui laisserait la soutane et les livres de poche, mais elle voulait aussi essayer d’en savoir un peu plus. Peut-être Germain lui avait-il fait des confidences, même s’ils ne semblaient pas très proches, après tout, ils étaient collègues, et cette histoire d'utiliser un globe aussi peu ordinaire comme une simple boîte n’arrivait pas à la convaincre.
Comme d'habitude, Mamie Lucienne et Tante Yvonne l'accompagnèrent sur le pas de la porte. C'était à chaque fois un moment de nostalgie, pour Louise, tout au moins, bien qu'elle ne restât jamais bien longtemps sans revenir.
Comme le disait Tata Yvonne, « partir c'est mourir un peu », et cette fois-ci, Mamie Lucienne renchérit d’un air moqueur que « mourir, c’est partir tout à fait ».
La petite voiture jaune quitta la cour de gravier et prit la départementale, laissant derrière elle les deux bras qui s'agitaient en forme d'au revoir.
Quelques minutes plus tard, elle était dans le centre du village de Saint Gouzy, devant le presbytère.
Les bras chargés, Louise tendit la main tant bien que mal pour appuyer sur la sonnette et la grosse porte de chêne ne tarda pas à s'ouvrir sur la silhouette ronde et le visage rougeaud du père Bourret.
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