Un petit feuilleton pour égayer les lundis...

La suite...
Le Chapitre 25.
On retrouve notre camarade Yboulados, qu'on découvre sous un nouveau jour. C'est nettement moins folklorique mais guère plus plaisant.
Et toujours, si vous avez des idées pour la suite de l'histoire, je suis preneur.
Si vous avez raté un chapitre, pas de panique : vous pourrez le retrouver dans les archives du blog (tout en bas, en cliquant sur "messages plus anciens", ou ici : le 1, le 2, le 3, les 4 et 5 , le 6, le 7 et le 8, le 9, le 10, le 11 et le 12, le 13, le 14 ...). Vous pouvez aussi trouver la liste sur le côté de la page.
Je compte sur vos remarques et vos commentaires (constructifs) que vous ne manquerez pas de m'envoyer sur mon mail : jeanlouis.jabale@gmail.com ou sur la boite à messages de ce blog : il est configuré pour que tout un chacun puisse m'y déposer ce qu'il souhaite.
Bonne lecture...

lundi 21 février 2011

Chapitre 10

Louise jugea préférable de s’habiller complètement et de rejoindre Pascal.

Il était là, dans la pièce, mais une jeune femme rousse, d’ailleurs pas vilaine -Louise fut bien obligée de se l’avouer- était assise prés de lui et… il lui tenait la main : pas le genre d’attitude qu’on a habituellement avec les livreurs de pizzas.

Le dos légèrement courbé, elle semblait en détresse : ses yeux étaient humides et son maquillage semblait avoir coulé sur ses joues. Louise stoppa net ce qu'elle allait dire et regarda Pascal d'un air interrogateur.

- C'est Karine, expliqua-t-il en hâte, l'assistante de Sylvain. Elle aussi vient d'être agressée. Madame Jamin souhaiterait que tu l'héberges avec nous : elle n'a pas assez d'hommes pour faire surveiller deux appartements.

Louise sentit monter la fureur en elle :

- Punaise, mais c'est pas possible ça ! Cette fliquette commence à me gonfler sévèrement avec ses problèmes d'effectifs. Alors, elle ne peut pas assurer la protection de tout le monde et qu’est-ce qu’elle a trouvé de mieux à faire ? Entasser toutes les victimes chez moi ?

- Heu… je comprendrais très bien que tu n'accepte pas, excuse-moi d'être venue, dit la jeune femme en se levant pour partir. Je dois pouvoir me défendre toute seule, enfin…

Louise sentit que sa réaction avait peut être été excessive.

- Non ! Attends, je ne disais pas ça pour toi, excuse-moi, la rattrapa-t-elle. Bien sûr que tu peux rester. C'est juste que je trouve un peu léger la façon dont la police prend cette affaire. Et puis aussi qu'on va être un peu à l'étroit : je n'ai qu'un seul canapé, dit Louise qui cherchait une excuse à sa colère.

- Pas grave, répondit Pascal avec le sourire, je peux dormir par terre : je prendrai les coussins du canapé.

- Oh, on peut partager le clic-clac, ça ne me gêne pas du tout, dit Karine, en jetant à Pascal un regard de braise.

- Oui, ben moi un petit peu quand même ! répondit Louise agacée.

- Oups, excuse ! dit-elle. Je ne savais pas que vous étiez ensemble !

- Non, non, nous ne sommes pas ensemble, se défendit précipitamment Pascal.

L'estomac de Louise se contracta comme si elle avait reçu un coup de poing dans le ventre et grimaça un faux sourire. La simple façon que cette péronnelle avait de dire "oups, excuse !" l’irritait.

- Non, nous sommes juste amis, dit-elle dans un grincement peu convaincant. Je voulais simplement dire que…

Mais elle n'eut pas le temps de s'embrouiller plus dans des explications confuses que la sonnette retentit à nouveau.

- Ah ! Cette fois, ça doit être la pizza ! dit Louise soulagée de ne pas avoir à justifier son attitude devant Pascal. Après tout, la vérité était qu'ils n'étaient qu'amis. Elle s'était sûrement monté la tête toute seule à espérer mieux.

Elle alla ouvrir la porte, tendit un billet au livreur, un africain qui ne semblait pas dépressif du tout, et rapporta la pizza sur la table.

- Voilà. Tu as mangé, Karine ? demanda Louise.

- En fait, non, pas encore, répondit la rousse avec un sourire qui déplut à Louise, sans que cette dernière soit sûre de bien savoir pourquoi.

Ils s'installèrent autour de la table et partagèrent la pizza.

- Bon, alors raconte : qu’est ce qui t’est arrivé ? demanda Louise.

- Comme Pascal te l'a dit, j'étais l'assistante de Sylvain quand il a expertisé le pendentif. Je ne te raconte pas l'émotion que nous avons ressentie lorsque Sylvain s'est aperçu que ce métal était inconnu. Nous étions comme des fous dans le laboratoire. En fait, heureusement que nous étions seuls : on nous aurait pris pour des malades ! Puis la suite, vous la connaissez : Sylvain a voulu vous rencontrer, mais après que ses quatre pneus aient été crevés pour l’empêcher de partir, il s'est fait poignarder et tous les relevés de ses expériences ont disparu du labo.

- Quoi ! s'exclama Louise, tu veux dire qu’on lui a volé les résultats ?

- Ben oui… vous n'étiez pas au courant ? dit Karine qui paraissait étonnée.

- Non, répondit Pascal, tout aussi surpris. Et toi, alors ?

- En fait, je suis partie à midi chez des amis à Paris, et je ne suis rentrée que ce matin, où j'ai appris ce qui s'était passé. Et dans l’après-midi, une voiture m'a poussée dans le fossé, deux hommes en sont sortis. Ils m'ont fouillée entièrement, ils m'ont menacée d'un pistolet pour me faire avouer tout ce que je savais du pendentif et où il était. Je leur ai répondu que tout ce que je savais, c'était qu’il appartenait à Pascal.

- Quoi ! s'indigna Louise et tu ne t'es même pas souciée des risques que ça lui faisait prendre.

- Je sais… je suis désolée, j’avais trop peur : ils m'avaient menacée d'une arme, dit-elle en sanglotant. Excuse, Pascal…

- On dit "excuse-moi" ! l’interrompit Louise.

- Ca n’a pas d’importance, la rassura Pascal, de toute façon, ils le savaient déjà, puisqu'ils ont fouillé tout mon appartement. Finalement, tu ne leur as rien appris de plus.

- Oui… non, renifla la rousse, après j'ai couru porter plainte, et la commissaire ou l’inspectrice, je ne sais pas, m'a appris la suite : qu'elle soupçonnait ces hommes d'appartenir à une… heu, religion secrète : le Temple de Zaarm.

- Oui, elle nous a parlé du Temple de Zaarm, à nous aussi. Mais c'est quoi, exactement, ce truc là ? demanda Pascal.

- Je ne sais pas, dit Karine. J’ai cru comprendre que c’était un groupe de personnes qui étaient adeptes d’une vieille doctrine plus ou moins occulte...

- Ouais… une espèce de secte à la noix ! coupa Louise.

- Mais pourquoi est ce qu’ils s’intéresseraient à ce médaillon ? demanda Pascal.

- Oh, j’imagine que c’est toujours les mêmes salades, dit Louise : le gourou doit rêver que s’il récupère ce pendentif, il deviendra le maître du monde, ou quelque chose d’aussi débile.

- Et… vous l'avez toujours ce médaillon ? demanda Karine.

- Non ! s'empressa de répondre Louise.

Pascal lui jeta un regard étonné. Louise se sentit rougir, mais elle continua pourtant sur sa lancée :

- C'est le lieutenant Jamin qui l'a confisqué pour l'enquête. Il est désormais entre les mains de la justice ! dit-elle d’un ton un peu trop solennel.

Karine ne montra pas la moindre surprise.

- Ah oui, évidemment ! répondit-elle simplement.

- Bon, il est tard maintenant, nous devrions songer à nous coucher coupa Louise. Je dois avoir un lit de camp à la cave.

- Non, non, répondit la rousse, ne t'inquiète surtout pas pour nous : après tout tu es chez toi. C'est à nous de faire en sorte de ne pas te déranger. Je m'installerai dans le clic-clac avec Pascal, en bons copains, dit Karine. Enfin, si ça ne t'ennuie pas, Pascal, ajouta-t-elle.

- Heu… non, bien sûr, pas de problème, répondit Pascal, qui semblait tout de même un peu surpris.

Louise sentit à nouveau une vague de colère montait en elle. Mais celle-ci n'eut pas le temps d'éclater. Karine l'interpella :

- Excuse…-moi, Louise, est ce que ça t’embêterait de me prêter une chemise de nuit, s'il te plait ? En fait, d'habitude je dors toute nue, mais là, quand même…

Encore ce sourire hypocrite ! Louise aurait volontiers flanqué des baffes à cette petite garce ! Elle le ferait probablement si elle l’entendait encore une fois dire "en fait" !

- Je dois pouvoir te trouver quelque chose, dit Louise à contrecœur.

Elle passa dans sa chambre, ouvrit une commode et fouilla sous une pile. Ce qu’elle cherchait s’y trouvait effectivement, comme elle l’espérait.

Même si Pascal devait se laisser séduire cette nuit par l’autre punaise, elle était bien décidée à ne pas lui faciliter la tâche ! Elle sortit une espèce de barboteuse une pièce, avec des nounours roses, et des boutons-pressions sur tout le devant. Un véritable tue l'amour ! Un cadeau de copains de fac quelques années auparavant. Elle ne l’avait portée qu’une seule fois, le jour où elle l’avait reçu, mais ne s’était jamais décidée à s’en débarrasser. Contente de sa trouvaille, elle repassa dans le salon.

Karine était assise à côté de Pascal, les jambes croisées. Tous deux discutaient comme de vieux amis.

- Voilà, dit Louise en lui tendant l'habit de nuit qui sentait le renfermé.

- Merci ! Ce sera parfait ! répondit Karine qui ne semblait pas du tout contrariée en découvrant la barboteuse. Est-ce que je peux utiliser ta salle de bain ?

- Oui, au fond à droite. Tu ne peux pas te tromper : c'est marqué dessus, lui lança-t-elle, rageuse mais bien contente de pouvoir s'expliquer avec Pascal.

Karine disparut et Louise se jeta sur son ami.

- Mais qui c'est, cette pétasse ? Tu la connais depuis longtemps ?

- Mais… non ! se défendit Pascal. Je l'ai juste rencontrée une seule fois avant aujourd’hui, je ne savais même pas qu'elle bossait avec Sylvain ! Pourquoi lui as-tu menti au sujet du pendentif ?

- Je ne sais pas… je ne la sens pas, cette fille. Sa façon de s'incruster ici…

- Je crois surtout qu’elle est un peu paumée, complètement paniquée par l’agression qu’elle a vécue cet après midi… je te trouve dure avec elle, reprocha Pascal, et puis je suppose qu'elle s'attache à nous parce qu'on est tous les trois dans la même galère.

- À nous ? Tu ne vois pas qu’elle t’allume ? Ce n’est quand même pas à côté de moi qu'elle va dormir ce soir ! répliqua Louise furieuse.

- Tu aurais préféré que ça soit le cas ? demanda Pascal avec un sourire.

Louise mourait d'envie de lui dire que c'était avec lui qu'elle aurait voulu passer la nuit et qu'elle ne supportait pas de le savoir au lit avec une autre, mais elle n'en fit rien. Après tout, elle n'en avait pas le droit : Pascal était libre de faire ce qu'il voulait ; ils n'étaient qu'amis et il l’avait bien confirmé à l'arrivée de Karine. Ce n’était peut être pas par hasard.

Elle ramassa le carton vide de la pizza, le déchira rageusement et partit vers la cuisine.

- Oui, tu as raison, fais ce que tu veux, amuse-toi bien ! dit-elle.

Elle jeta les débris du carton, retraversa le salon sans un mot et partit se coucher.

La tête enfoncée dans son oreiller, elle pleura, fâchée contre elle-même, fâchée de ne pas avoir su s'y prendre avec Pascal. Elle somnola un moment, sans véritablement s'endormir.

Il ne se passa pas longtemps avant que Louise entende une voix qui l'appelait timidement :

- Louise… Louise…

Elle leva la tête : Pascal était accroupi à côté d’elle.

- Quoi ? Qu’est ce que tu veux ? demanda-t-elle ?

- Est-ce que je peux venir dormir avec toi ?

Louise mit un moment à réaliser ce qu'elle venait d'entendre.

- Avec moi ? demanda-t-elle. Mais… Karine ?

- Arrête avec ça : c’est pas mon genre. Et puis elle ronfle ! C’est pire qu’un 747 : tiens, écoute un peu ça ! répondit Pascal.

Louise tendit l'oreille. Effectivement, Karine faisait un bruit de tous les diables. Comme quoi, on ne peut pas tout avoir : une plastique irréprochable et des voies respiratoires qui fonctionnent à merveille !

- Allez viens ! répondit Louise en pouffant de rire et en lui faisant de la place.

Pascal se glissa sous les draps. Louise sentit sa douce chaleur, elle se blottit discrètement un peu plus prés de lui et s'endormit.

lundi 14 février 2011

Chapitre 9

Louise et Pascal le regardèrent, avides d'en savoir plus. Le professeur Campagnolo sembla s'en apercevoir et se mit en devoir de satisfaire leur curiosité.

- L’ordre des Chartreux est sans doute l’un des plus anciens de la chrétienté : Il a été fondé en 1080 et quelque par un certain Bruno, originaire de Cologne, mais qui avait enseigné pendant plusieurs années à l’école cathédrale de Reims.

- Il enseignait quoi ? demanda Pascal, curieux.

- Pour autant que je sache, il avait été "précepteur de lettres séculières et divines", ce qui veut dire qu’il enseignait à peu près tout ce qu’on pouvait enseigner à cette époque. Puis, sans doute a-t-il souhaité se retirer du monde, toujours est-il que sur les conseils d’Hugues de Châteauneuf, l’évêque de Grenoble, il a choisi cet emplacement, perdu au fond d’une vallée, justement parce qu’il était à l’écart de tout. Il s’est installé là avec six compagnons, vous m’excuserez si je ne suis pas capable de vous citer leurs noms.

- Je crois qu’on ne vous en demande pas tant ! intervint Louise.

Le professeur se gratta le menton, assez fier de son exposé.

- Mais quel est le rapport avec votre médaillon ? demanda-t-il, voyant bien que la question était liée.

- J'ai trouvé un message de mon oncle avec le médaillon qui disait quelque chose comme : « Temps premiers, Bruno.Cart. ». Il était aussi question d’un « illustre artisan ».

- Oh ! Ça, c’est tout autre chose : celui qu’on appelait l’Illustre Artisan, c’était Héphaïstos, Vulcain, si vous préférez. Les grecs l’appelaient parfois "klutotékhnês", ce qui veut justement dire l’Illustre Artisan. Mais j’avoue que j’ai un peu de mal à voir un rapport entre Héphaïstos et Bruno le Chartreux… et puis Vulcain est traditionnellement représenté à proximité de volcans, comme son nom l’indique, pas dans des massifs calcaires comme la Chartreuse !

Louise réfléchissait. Ce nom lui évoquait quelque chose, mais elle n'arrivait pas à saisir quoi. Un drôle de sentiment de déjà vu, mais sans qu'elle ne puisse mettre véritablement la main dessus.

- Un petit expresso ? demanda le professeur en se dirigeant vers sa cafetière automatique. Depuis que j'ai goûté à ces dosettes, dit-il avec son large sourire, je ne peux plus m'en passer ! Un comble pour un homme comme moi qui n'en avait jamais bu auparavant !

Il leur présenta une sorte de carnet détaillant la nature et le goût de chacune des dosettes, en fonction de la couleur de l’emballage. Les deux jeunes gens avaient l’impression qu’il leur tendait un menu de restaurant.

Ils firent leur choix et Moïse Campagnolo sembla ravi de faire marcher sa cafetière, comme s’il s’était agi d’un jouet qu’il adorait. Encore un sujet d’enthousiasme pour ce bon vieux professeur, pensa Louise. Il doit pouvoir se nourrir presque exclusivement de Kinnie et d’expresso !

Le repas fini, ils prirent congé du professeur Campagnolo qui leur promit de les tenir au courant dès qu'il en saurait plus sur les mystérieuses écritures du médaillon. Ils quittèrent le chemin privé de la maison et retrouvèrent la route de Montpellier.

- Eh bien, on tient enfin une piste ! s’exclama Louise après qu’ils eurent roulé quelques minutes. Je ne sais pas si mon oncle a été chartreux, probablement pas : il était trop remuant pour ce genre de vie, mais il a peut être eu des contacts…

- Où crois-tu que nous pourrons en savoir plus sur ce Bruno le Chartreux ? demanda Pascal.

- On pourrait commencer par des recherches sur Internet, tout simplement, et en fonction des résultats, peut-être aux archives de la Grande Chartreuse justement.

- Houlà ! Tu veux dire qu'on va aller là haut ?

- Je ne sais pas, répondit Louise pensive. Pourquoi pas ? Ça doit faire… quoi ? Trois heures, trois heures et demie de route. On verra ça demain.

Ils arrivèrent sur Montpellier vers quatre heures et demie ; la circulation y devenait dense, comme tous les après midis, les plongeant dans d’inextricables bouchons.

- Bon, j'espère que mon appartement n'a pas subi le même sort que le tien ! dit Louise, se souvenant de leur départ de la veille.

- Ah oui, zut ! J'avais oublié tout ça, dit Pascal en faisant la grimace.

- Tu crois vraiment qu'on ne risque plus rien ? demanda Louise.

- Je ne sais pas… j'aimerais en être aussi sûr que cette Madame Jamin.

Puis il hésita, semblant chercher les mots.

- Tu ne crois pas qu'on devrait encore rester ensemble quelques jours ?

Louise sourit intérieurement, elle n'avait pas osé le lui proposer, mais elle non plus n'était pas convaincue par les explications de la policière.

- Si, bien sûr. Je souhaitais même que tu me le demandes avoua-t-elle.

Pascal la regarda, apparemment soulagé lui aussi.

- On passe chez toi, récupérer tes affaires et après, tu viens habiter quelque temps à la maison, c'est plus grand et on y sera plus à l'aise, non ?

- Oui, sourit Pascal.

Ils arrivèrent devant son immeuble. Louise se gara et ils montèrent à son étage.

Les policiers avaient bien refermé la porte à l'aide des clés que Pascal leur avait confiées avant de se rendre au commissariat, mais ils n’avaient pas fait le ménage et toutes les affaires jonchaient encore le sol. Il fit la grimace et sembla contrarié.

- Allez, dit Louise qui s'en était rendu compte, on met un peu d'ordre là-dedans, je te file un coup de main. Là je sens que l'œil expert d'une fille te sera d'un grand secours ! dit-elle en riant pour détendre un peu l'atmosphère.

- Oui, merci, répondit Pascal, tout de même bien ennuyé. Oh, punaise ! Mes Tintin !

Les albums, sans doute des éditions originales, pensa Louise, avaient tous été fouillés et jetés en vrac sur le sol, la couverture de certains d’entre eux s’étant même détachée des pages.

Ils s’appliquèrent à tout ranger dans l’appartement, remettant en place tous les objets qui avaient été malmenés. Le cambrioleur avait tout renversé consciencieusement, sans rien dérober d'autre que la photo de Louise. Ils en étaient maintenant tout à fait convaincus : il cherchait quelque chose et cette chose ne pouvait être que le médaillon, cela leur semblait évident.

Pascal mit quelques vêtements dans un sac et ils refermèrent la porte derrière eux, laissant l'appartement enfin en ordre.

Ils remontèrent en voiture. Sur le siège passager, Pascal restait pensif, son sac sur les genoux. Elle ne savait que lui dire. Son ami poignardé, son appartement dévasté, tout ça pour un pendentif dont elle ignorait à peu près tout, si ce n’est qu’il avait appartenu à son oncle ! Elle était loin de se douter, lorsqu’elle l’avait découvert, qu’il aurait un tel impact sur leurs vies. Elle s'en voulut un peu.

Elle allait tourner à droite pour prendre l’avenue de Toulouse, lorsqu'elle remarqua dans son rétroviseur une voiture blanche qui semblait les suivre depuis qu'ils étaient partis de chez Pascal. Elle arriva jusqu’au rond-point du « Grand M », au centre duquel un assemblage de poteaux cassés tentait de se faire passer pour une œuvre d’art, fit deux fois le tour du rond-point et jeta un coup d’œil dans le rétroviseur : la Clio blanche les suivait toujours. Cette fois, le doute n’était plus permis : ils étaient suivis.

Elle retourna brusquement sur l’avenue de Toulouse, revenant sur ses pas.

- Hé, mais qu'est-ce que tu fais ? demanda Pascal.

Mais Louise ne lui répondit pas tout de suite, les yeux rivés sur la route et son rétroviseur central, elle accéléra, prenant de plus en plus de vitesse, puis elle freina brusquement et tourna à droite au feu.

La Clio était toujours derrière.

- Mais arrête, lui lança Pascal, qu’est-ce que tu fabriques ?

- Jette un œil derrière : on nous suit, dit-elle !

Pascal regarda. La voiture blanche était là, à une cinquantaine de mètres.

- La blanche, là ? Tu es sûre ? Depuis quand ? paniqua-t-il.

- Depuis chez toi ! se contenta de répondre Louise, concentrée sur sa conduite et sur les dangers de la rue.

Elle accéléra encore plus, elle voulait les semer dans les petites rues. Elle avait passé son permis dans ce quartier de Montpellier à peine cinq ans plus tôt, et elle connaissait bien les ruelles. Par ailleurs, la Clio était probablement plus puissante que la Mini et aurait vite fait de les rattraper sur une route trop dégagée. Sur un parcours sinueux, par contre, c’était Louise qui avait l’avantage.

Mais les poursuivants s'accrochaient à elle comme des puces à un chien. Par ailleurs, se voyant repérés, la discrétion n’était plus nécessaire. Ils avaient donc accéléré et n’étaient plus qu’à une vingtaine de mètres.

- Punaise ! Ils insistent ces enflures ! lâcha Pascal qui se retournait sans cesse.

- Oui et je ne pense pas qu'ils se contenteront de nous suivre. Ils essaient de nous remonter, s'ils nous rattrapent, j'ai bien peur que nous n’ayons droit à de sérieux ennuis, rajouta Louise.

Elle était bien décidée à ne pas se laisser rattraper.

Elle tourna pendant plusieurs minutes dans les ruelles du quartier Croix d’Argent, sans pour autant réussir à distancer suffisamment la Clio. Elle avait l'habitude des routes sinueuses des Cévennes et comptait bien profiter de cet atout. Malheureusement, ses poursuivants semblaient eux aussi familiers de ce genre de conduite.

Elle crût un instant s’être débarrassée d’eux, mais la voiture blanche réapparut derrière elle à l’instant même où elle commençait à se détendre.

Elle traversa en trombe un parking au milieu d’un groupe d’immeubles récents et évita de justesse une petite Peugeot verte qui sortait en marche arrière d’un stationnement. Quelques secondes plus tard, elle entendit un bruit de collision, et Pascal, toujours retourné, annonça :

- Je crois que c’est gagné : ils viennent de se prendre la 104 qui démarrait !

Louise laissa échapper un soupir de soulagement.

- Bon sang, j'ai bien cru que je n'y arriverais jamais !

- Je n’aurais jamais pensé que tu conduisais comme ça !

Louise le regarda et sourit.

- Tu crois que c’est réservé aux mecs ?

- Non, mais si tu me refais ce coup là, je vais peut être passer mon permis, je me sentirais plus en sécurité…

- Pfff ! Ca ne vaut même pas la peine de répondre !

Elle changea encore de direction quelques fois, pour s'assurer que personne d'autre ne les suivait et remonta vers l’avenue de Toulouse avant de se diriger vers chez elle.

- Bon, on a eu de la chance cette fois ci, mais ça soulève un gros problème : qu'est-ce qu'on fait ce soir ? Qui c'était, ces gugusses ? Ils ne voulaient sûrement pas nous demander leur chemin !

- J'appelle le lieutenant Jamin : il faut lui en parler. Il décrocha son téléphone et ne tarda pas à avoir le commissariat. La voix de Carole Jamin résonna dans le combiné. Pascal lui raconta ce qui venait de se passer et lui fit part de leur intention d'habiter chez Louise.

- J'envoie rapidement une patrouille sur les lieux, en espérant que vos agresseurs seront encore là, dit elle. D’après ce que vous me dites, leur véhicule devrait être immobilisé. Rentrez chez vous sans crainte, je vais tâcher de trouver des effectifs pour faire surveiller discrètement votre appartement.

Ils ne tardèrent pas à arriver devant l'immeuble de Louise. Elle gara sa voiture dans le parking et ils montèrent jusque chez elle.

Là, aucune surprise ne les attendait. Louise jeta son sac sur la table. Elle souffla, soulagée d'être dans un endroit familier réconfortant et s'affala dans son canapé.

- Quelle journée ! Ca m’a donné faim, tout ça. Pas toi ? demanda-t-elle.

- On se commande une pizza ? proposa-t-il.

- Ok ! répondit Louise en s'emparant du téléphone.

Elle commanda une « quatre fromages » et laissa l’adresse ; le marchand lui assura qu'elle serait livrée d'ici une vingtaine de minutes.

- J'ai juste le temps de prendre une douche dit-elle, je me sens crasseuse ! Elle faisait comme si de rien n'était, mais la course poursuite l'avait vraiment perturbée et elle voulait se décharger du stress accumulé. Elle passa dans la salle de bain et se dévêtit. Elle retira le médaillon de son cou et le regarda.

- Merde alors ! Dans quoi tu nous entraînes toi ! lui demanda-t-elle comme s'il pouvait l'entendre.

La douche lui fit du bien. Elle se sentait plus détendue, relativisant quelque peu les ennuis qu’elle avait eu ces derniers temps : Après tout, se disait-elle, si d’autres veulent s’emparer de ce pendentif, pourquoi ne pas les laisser le prendre et ne plus s’en soucier ? Qu’est-ce qu’il représente pour moi, après tout ?

Elle prit le médaillon dans ses doigts, le métal reflétait les couleurs bleutées des murs de la salle de bain. Louise était fascinée : c'était vraiment un étrange objet ! Joli, mais quelle fichue source de désagréments !

Tout en le regardant, elle faisait tourner machinalement le cadran interne du médaillon. De petits cliquetis se faisaient entendre. Le centre ne tournait que dans un seul sens : celui des aiguilles d’une montre. Il lui semblait qu’à chaque fois qu’un des groupes de caractères gravés sur cette partie passait à un certain point de la rotation, un cliquetis légèrement plus aigu se faisait entendre. Louise arrêta le cadran sur l’un de ces petits bruits aigus et elle sentit que le centre s’enfonçait sans résistance. Intriguée, elle appuya jusqu’au fond.

À cet instant, une lueur tremblotante sembla sortir du pendentif et enveloppa Louise dans une bulle transparente. Elle regarda dans le miroir : elle n'y était plus !

Elle n'avait plus de reflet ! Elle regarda sa main : elle ne la voyait pas.

Louise eut une exclamation de stupeur. Elle appuya à nouveau sur le disque, mais rien ne se passa.

- Oh punaise ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Je ne vais tout de même pas rester comme ça ?

Elle se souvint de l’autre groupe de caractères sur le rond central : il servait peut être à annuler les effets du premier. Elle le chercha à l’oreille et appuya lorsqu’elle entendit un son légèrement plus aigu. Gagné : le tremblotement cessa aussitôt et Louise fut soulagée de voir réapparaître son reflet dans le miroir.

Pascal, qui l'avait entendue se précipita vers la salle de bain.

- Qu’est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il derrière la porte. Tout va bien ?

Louise fut tentée de disparaître à nouveau, puis de demander à son ami d’entrer dans la salle de bain. Elle pourrait se glisser nue contre lui sans qu’il la voie… l’idée lui semblait plutôt excitante. Ce serait incontestablement provoquant, pensa-t-elle mais sans doute assez inhabituel pour ne pas paraître vulgaire…

Son cœur se mit à battre plus vite.

- Le médaillon, dit-elle, il fait… il y a quelque chose d’étonnant.

- Quoi donc ?

- Je crois qu’il faudrait que tu viennes voir, articula Louise, qui avait remis le disque en position "disparition" et s’apprêtait à appuyer sur le disque central.

C’est à cet instant précis que la sonnette retentit. Louise retint son geste.

- Ah ! Voilà notre pizza ! s’écria Pascal. Je vais la récupérer et j’arrive.

Elle l’entendit s’éloigner de la porte de la salle de bain pour se diriger vers l’entrée. Elle était un peu déçue, mais se demandait si son idée était si judicieuse, après tout. Pascal ne la trouverait-il pas… trop entreprenante ? Ne risquait-il pas d’être effarouché par cette situation, lui qui semblait toujours si réservé ?

Elle pourrait toujours lui dire que ce phénomène d’invisibilité ne fonctionnait pas sur les vêtements, comme dans le bouquin de Wells...

Et d’ailleurs est-ce qu’il fonctionnait sur les vêtements ? Elle avait le temps de s’en assurer pendant que Pascal prenait livraison de la pizza. Elle enfila quelques vêtements et pressa le disque interne du médaillon.

La même lueur l’enveloppa : cela lui rappelait vaguement les tremblotements de l’air chaud au dessus des routes en été. Elle regarda le miroir, s’attendant à voir son T-shirt, vide, flotter au milieu de la sale de bain. Mais non : tout avait disparu ! Pas seulement son corps : ses vêtements aussi.

En regardant attentivement le miroir : elle remarqua le même tremblotement à l’endroit où elle aurait dû voir son reflet. Il devait s’agir d’un phénomène de réfraction de la lumière, mais ses connaissances en optique n’étaient pas suffisantes pour définir avec précision de quoi il s’agissait.

Louise trouva que le livreur de pizza restait bien longtemps. C’était d’autant plus étonnant que c’étaient généralement des jeunes qui avaient des cadences très soutenues, pour ne pas dire infernales et qu’ils ne s’éternisaient pas chez les clients. Peut être Pascal n’avait-il pas de quoi payer.

- Mon porte monnaie est dans mon sac, sur la table, cria-t-elle à travers la porte.

Ne recevant aucune réponse, elle tendit l’oreille et perçut une voix féminine qui semblait sangloter.

C’était bien leur veine : la livreuse de pizzas était dépressive !

lundi 7 février 2011

Chapitres 7 et 8

Le lieutenant Jamin ne les garda pas très longtemps : après les questions d'usage sur leurs identités respectives, elle voulut savoir quelles étaient leurs relations avec Sylvain Delbarre tout d'abord, puis avec le mort du couloir ensuite.

Pascal et Louise lui expliquèrent que Sylvain était un de leurs amis et qu'ils avaient rendez-vous avec lui, celui-ci leur ayant annoncé qu'il avait fait une découverte étonnante sur un bijou appartenant à Louise, sans pour autant leur préciser laquelle. Vu la situation, il leur avait semblé plus judicieux de dire une partie de la vérité.

Après avoir examiné l’objet en question, le lieutenant Jamin n'avait pas jugé utile de le garder comme pièce à conviction et Louise avait pu repartir avec.

Quant au mort, ils ne purent bien évidemment lui en dire quoi que ce soit, ne le connaissant ni l'un ni l'autre.

La policière leur conseilla tout de même de ne pas rentrer chez eux tout de suite, et d'attendre un jour ou deux le temps qu'elle ait davantage d'éléments. Louise fut estomaquée.

- Vous voulez dire qu'on risque notre vie et que la seule chose que vous nous proposiez est de nous cacher ! Vous ne pouvez pas assurer notre protection ?

Consciente du manque criant de moyens dont souffraient les services publics, même la police, Carole Jamin ne sembla pas scandalisée, elle la regarda dans les yeux et lui répondit simplement :

- Nous ne sommes pas dans un film américain, mademoiselle ! Nos budgets baissent d’année en année, et ils ne nous permettent pas de disposer de personnels pour ce genre de garde. Restez ensemble, allez dans un hôtel du coin et au moindre problème appelez-nous, c’est malheureusement tout ce que je peux vous dire. Une voiture de patrouille ne devrait pas mettre plus de dix minutes pour être sur les lieux.

- Dix minutes ! répéta Louise effarée, c’est largement le temps de se faire occire. Et pour mon travail ? Et celui de Monsieur Fontanel ?

- Là aussi je vous conseille de changer vos habitudes pendant quelques jours, le temps qu'on y voie plus clair. Même si je ne crois pas que vous risquiez grand-chose en pleine journée. Quel genre de travail faites vous, l’un et l’autre ?

- Je suis lectrice pour les Éditions Bel-Air, et Pascal organise des concerts…

- Je ne pense pas que vous ayez besoin de vous éloigner de chez vous plus d’un jour ou deux. Allez : ne vous inquiétez pas trop, je ne suis pas du tout sûre qu'il y ait une relation de cause à effet. Je vous tiendrai au courant.

Pascal et Louise sortirent déconfits de l'hôtel de police.

- Pauvre Sylvain, j'espère qu'il s'en sortira sans séquelles. Je me sens un peu responsable, dit Louise en remontant dans sa voiture.

- Ce n'est pas de ta faute Louise, tenta de la rassurer Pascal. C'est moi qui suis à l'origine de tout ça. Et maintenant ? On fait quoi ?

- Tu as entendu, dit Louise, ne pouvons pas rentrer. Hors de question d'aller chez qui que ce soit. Nous avons fait prendre assez de risque aux autres comme ça ! Il ne nous reste plus que l'hôtel.

- On a qu'à aller au "B&B" de Saint Jean de Védas : pour ce qui est de changer nos habitudes, on ne peut pas faire mieux. Et puis c’est tout de même moins glauque que les Formule 1. Qu'en penses-tu ?

- J'en pense surtout que ça ne me plait quand pas de savoir mon appart sans surveillance. J'irais bien y faire un tour demain.

- Je ne crois pas que ce soit une bonne idée : si un tueur est embusqué là-bas, la première chose qu'il fera en te voyant, c'est te sauter dessus !

- Enfin, nous verrons tout ça demain, là je suis claquée ! Et puis je me demande toujours quel mystère se cache derrière ce médaillon. Crois-tu que des gens chercheraient à tuer uniquement pour sa matière inconnue ?

- Je ne sais pas, répondit Pascal qui semblait soucieux, mais après tout, ce n'est pas impossible ! Imagine les perspectives que cela représente ! Un nouveau métal, pour peu qu’on lui découvre des propriétés intéressantes et qu’on trouve le gisement, ça peut devenir un enjeu économique phénoménal.

Il hésita un moment puis ajouta :

- Et si c'est à cause des inscriptions, ça peut être une découverte archéologique majeure. Une peuplade primitive qui aurait découvert un métal que nous n'avons pas, ou plus ! Rien que ça, c'est déjà énorme !

Louise frémit.

- Tu imagines ce que ça peut vouloir dire, tout ça ?

Pascal la regarda, l'air triste.

- Oui, justement et je suis sûr que c'est pour ça que Sylvain s'est fait agresser. Ça n'a jamais été un roi du silence, encore une fois où il aura trop parlé, probablement.

Dans la tête de Louise, les idées tourbillonnaient. Elle risquait sa vie et celle de son ami pour quelque chose qu'elle ne comprenait pas.

Ils arrivèrent à l'hôtel, Louise sortit sa carte bancaire et la glissa dans l’appareil automatique. Il leur donna le code de leur chambre et la porte s'ouvrit. Ils pénétrèrent dans le "B&B", qui ne devait pas être trop rempli : le parking était presque vide. Ils longèrent le couloir et se rendirent à la porte 115, Louise composa le code et entra la première dans la chambre.

C'était la chambre type qu'on retrouve un peu partout en Europe pour cette chaîne d'hôtels à bas prix : un grand lit double, une petite salle de bain surmontée d’une mezzanine avec un second lit, simple, celui là, une tablette avec un téléviseur au-dessus, une table et deux chaises. Louise jeta son sac dans un coin et plongea sur le lit, les bras en croix.

Un curieux mélange de sensations et d'émotions l'habitait. Elle était triste de l'agression de Sylvain bien sûr, elle avait peur pour sa vie et celle de Pascal aussi, mais en même temps elle était terriblement excitée par le mystère que provoquaient les reliques de son oncle et l'aventure qu'ils vivaient.

Pascal lui semblait plus lointain. Il entra sans précipitation, accrocha son anorak au portemanteau et s'assit à côté d'elle, l'air las.

- Je n'en peux plus, là, ça commence à faire un peu trop pour moi : Sylvain qui se fait agresser, ce cadavre dans mon couloir…

Louise s'agenouilla derrière lui, le prit par la taille et l'embrassa sur la joue en le serrant contre elle.

- T'inquiètes pas mon tout beau, je suis là pour te protéger.

- Oui, oui, je n'en doute pas une seconde, mais je me fais quand même du souci pour toi. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose.

Louise ne dit rien, mais ces paroles lui firent du bien, resserrant un peu plus les liens qu'ils avaient déjà tissés depuis tant d'années.

- De toute façon, la police ne peut pas assurer notre sécurité, alors je ne crois pas qu'on ait le choix. Si on veut se sortir de ce bazar, il nous faudra découvrir la vérité sur ce médaillon.

- En premier, trouver quel peuple est à l'origine du bijou. Après nous aviserons sur la suite à donner, lui dit-elle en souriant.

- Tu as ton ordinateur avec toi ?

- C’est le gros avantage d’un Netbook de cette taille là : ce n’est pas plus gros qu’un cahier d’écolier et je peux l’avoir à peu près toujours dans mon sac. L’écran est un peu riquiqui, mais avec de bons yeux, ça passe tout à fait !

- On pourrait déjà faire une recherche sur les signes. Qu'en penses-tu ? Après tout, c'est toi la littéraire, et spécialiste de l'art ancien.

- Oui, on peut toujours essayer, mais je ne pense pas que ça donne beaucoup de résultats. De mon côté, je vais appeler Claire, pour lui demander le nom du prof dont je t'ai parlé tout à l'heure. Lui, il devrait pouvoir nous aiguiller.

Pascal prit le petit ordinateur portable et se connecta à Internet grâce à la connexion wifi dont disposait l’hôtel. Pendant ce temps-là, Louise appela son amie et ne tarda pas à avoir le renseignement demandé, malgré l'étonnement de celle-ci pour une telle demande à une heure aussi tardive.

- Et avec ton Pascal, demanda Claire, comment ça se passe ? Ça se confirme, ce que je t’ai dit l’autre jour ?

- Quoi donc ?

- Eh bien : qu’il est amoureux de toi, pardi ! Il ne t’a rien laissé entendre à ce sujet ?

- Oh, rien de neuf, répondit évasivement Louise qui ne voulait pas laisser entendre à Pascal qu’elles étaient en train de parler de lui.

Tout en parlant, elle s’engageait dans le réduit qui servait de salle de bain, ce qui eut pour conséquence de dégrader la qualité de la communication.

- Toujours pas réussi à conclure ? insistait Claire. Faudrait peut être qu’il y en ait un de vous deux qui se décide, un de ces jours !

- C’est… ce n’est pas l’objectif dans l’immédiat.

- Mais dis donc, tu es sûre que les femmes l’intéressent ?

- Heu… oui. Je pense que si ce n’était pas le cas, j’aurais été euh… mise au courant…

- J’imagine que tu sais mieux que moi… enfin, c’est tes oignons, après tout. Mais quand même, j’ai bien l’impression que ce gars là, c’est pour le moins un super timide !

- Oui… je suppose que ça doit être ça…

- Tu es chez toi, là ? Je t’entends vachement mal, comme si le réseau était mauvais.

- Oui, oui, je suis chez moi, mentit Louise.

- Tu as trouvé mon mot sur ta porte ? Je suis passée vers huit heures, mais tu étais sortie…

- Heu… oui, je crois, bafouilla Louise. J’étais au Donegal. Il y avait Pa… pas mal de monde, justement…

- Dis donc, je t’entends de moins en moins bien, remarqua Claire en rigolant à moitié. Tu as vraiment un problème de réseau, ma vieille !

- Oui, je vais le signaler à mon opérateur… Je te rappelle demain.

- D’ac, à plus ! Allez, bonne nuit et éclate toi bien !

Louise ressortit du cabinet de toilette, mi amusée mi troublée par les allusions insistantes de Claire. Quand elle revint vers Pascal, il était en pleine lecture, semblant absorbé par ses recherches.

- Alors ? demanda Louise.

- J'ai appris pas mal de choses, notamment que l’écriture existe depuis environ 5 ou 6000 ans, qu'elle est apparue sous des formes différentes dans au moins trois ou quatre points différents du monde, qui maîtrisaient tous depuis longtemps l'agriculture…

- Normal : les premières écritures étaient des systèmes de comptage : on comptabilisait les récoltes, les troupeaux, tout ça dans des optiques d’échanges commerciaux. Et à part ça ? Tu as vu quelque chose qui ressemble à nos caractères ?

- Rien de vraiment convaincant. Et ton prof ? Tu as réussi à avoir son nom ?

- Oui, répondit Louise avec un large sourire. Professeur Moïse Campagnolo ! Ça ne s’invente pas ! Par contre, je n'ai ni son adresse, ni son téléphone.

- Pas grave : avec un nom pareil, il ne doit pas y en avoir des centaines ! On va essayer les pages blanches.

Mais la recherche sur les pages blanches ne donna aucun résultat. Le professeur tenait probablement à sa tranquillité et avait refusé de paraître sur l’annuaire.

- Ça, ce n'est pas un problème, déclara Pascal qui avait eu l'impression de ne pas servir à grand-chose jusque-là. Demain j'appellerai le secrétariat de la fac et je demanderai ses coordonnées.

- Parce que tu crois vraiment qu'ils vont te les donner !

Pascal eut un petit sourire malin.

- Oui ! Moi aussi, j'ai ma méthode !

Louise lui lança un regard interrogateur, mais il n'en dit pas plus. Elle se sentit tout à coup fatiguée, son pic d'énergie s'était dissipé et là, c'était comme un gros coup de barre qui lui tombait dessus. Elle s'assit sur le lit à côté de son ami.

- Bon, si on dormait ? proposa-t-elle.

- Oui, je pense que c'est une bonne idée, quelque chose me dit que nous ferions mieux d'être en forme pour demain. Quel lit tu préfères ? En haut ou en bas ?

Louise rougit légèrement : elle aurait adoré passer la nuit dans le même lit que lui, mais elle n'osa pas le lui dire et se contenta d’opter pour celui du bas, en espérant qu'il viendrait la rejoindre au cours de la nuit.

Mais rien de tel ne se produisit ; Louise resta un long moment éveillée dans son lit, repensant à la question de Claire. Se pouvait-il que Pascal ne soit pas intéressé par les femmes ?

Epuisée, elle finit tout de même par s’endormir, et le reste de la nuit passa rapidement, sans aucune surprise.


(Chapitre 8)

La lumière du jour qui filtrait derrière les rideaux de gros tissu vert olive réveilla Louise. Elle fut déçue de constater qu’elle était toujours seule dans son lit.

Elle redressa la tête pour tenter d’apercevoir son ami dans le lit sur la mezzanine surplombant la salle d’eau, mais en vain. Après tout, pensa-t-elle, il n’était pas venu la rejoindre en bas, mais qu’est ce qui l’empêchait, elle, de monter jusqu’à son lit pour le réveiller doucement ? Son cœur se mit à battre plus vite. Elle s’imaginait déjà s’asseyant sur le bord du lit et lui annonçant l’heure (Quelle heure, au fait ? Tiens, seulement huit heures et demie ?), lui, encore endormi, puis ouvrant un œil et lui souriant… elle lui donnerait d’abord un petit baiser sur le front…

Elle gravit en silence les marches raides qui menaient à la petite mezzanine, veillant à ne pas faire grincer les planches : elle tenait à lui faire la surprise.

Mais la surprise fut pour elle : le lit était vide !

L’absence de Pascal dans le lit du bas avait été une déception, mais qu’il ne soit pas non plus dans celui du haut, voilà qui devenait franchement inquiétant ! Elle toucha les draps : ils étaient froids. Il avait dû quitter la chambre depuis un moment.

- Oh non ! Non, Pascal, pas toi ! s’écria-t-elle en étreignant l’oreiller délaissé par son ami, sans bien savoir ce qu’elle voulait dire par cette exclamation désespérée.

Elle resta un instant contre l’oreiller, n’osant imaginer ce qui avait pu se passer, incapable pour le moment de décider que faire.

Un bruit lui fit relever la tête : la porte de la chambre venait de s’ouvrir.

Il lui était impossible, d’où elle se trouvait, de voir qui était en train de pénétrer dans la pièce, mais elle se dit qu’elle se trouvait en position de force : l’escalier était assez abrupt pour qu’il lui soit facile de faire tomber à la renverse un éventuel agresseur.

Cela la rassura un peu.

- Room service ! claironna la voix de Pascal, en roulant les r pour imiter un accent pakistanais. Oh, tu es levée ? ajouta-t-il en voyant Louise sur la mezzanine. Tiens, regarde ce que je nous ai trouvé !

Il portait un grand plateau aux couleurs de la chaîne d’hôtels, chargé de pain, de viennoiseries, de boissons chaudes et de quelques fruits.

Louise le dévisagea et se sentit soudain ridicule, debout derrière le lit de son ami, vêtue d'un simple petit short et d'une brassière. Mais Pascal lui fit signe de venir déjeuner et sa gêne disparut. Elle était si contente ! Il ne lui était rien arrivé ! Elle dévala les marches, se rendant brusquement compte que son estomac gargouillait.

- T’es trop top, toi ! J’ai une de ces dalles !

Ils s'assirent l'un en face de l'autre à la petite table carrée. Pascal semblait ravi de l'effet produit par sa petite attention.

- Tout à l’heure, lorsque j'ai vu ton lit vide, pendant un instant, j'ai cru qu'il t'était arrivé malheur, dit Louise en beurrant une tartine.

- Ah ? C’est pour ça que tu étais sur la mezzanine ? Oui, j'aurais peut-être dû te laisser un mot, mais je ne voulais pas faire de bruit et te réveiller.

- Ce n'est pas grave, essaya-t-elle d'articuler alors qu’elle avait déjà mordu dans sa tartine, tout est pardonné !

Le contenu du plateau déjeuner disparut entièrement. Louise se sentait repue et ragaillardie. Elle s'étala de tout son long sur le lit. Il lui sembla que Pascal rougissait un peu en la regardant. Après tout, s'il était amoureux d'elle, comme le prétendait Claire, pourquoi ne pas l'aguicher un peu pour l'obliger à se dévoiler.

- Alors quel est le programme, aujourd’hui ? demanda-t-elle comme si de rien n’était, tout en prenant une pose qu’elle jugeait langoureuse.

- J'appelle le secrétariat dès son ouverture et on file voir ton professeur Topolino, ou du moins on essaie de prendre contact avec lui, répondit-il sans sembler être gêné.

- C’est Campagnolo, en fait…

- Oui, je sais bien, "ma, Topolino e piu rigolo" : c’est le nom du professeur que Tintin et le capitaine Haddock vont voir en Suisse dans je ne sais plus quel album, l’affaire Tournesol, je crois. Accessoirement, c’est aussi le nom italien de Mickey…

Zut ! se dit Louise, je ne lui plais peut-être pas tant que ça, après tout ! Et puis je suis qui, moi ? Tintin ou Haddock ? Elle se sentit un peu contrariée.

- Mouais ! Je te laisse appeler, je cours prendre une douche et on y va.

Elle sortit de la pièce, jetant un coup d’œil discret dans le miroir de la salle d’eau pour voir la réaction de Pascal. Elle fut contente et rassurée de voir qu'il lorgnait discrètement sur ses fesses lorsqu'elle passa la porte.

Dix minutes plus tard, elle revenait dans la petite chambre. Ses cheveux, relevés en queue de cheval, lui découvraient un cou long et gracieux qui accentuait son charme.

- Alors ? demanda-t-elle.

- C'est fait, répondit Pascal fier de lui. Je me suis fait passer pour un journaliste de la Gazette de Montpellier et j’ai raconté que je voulais faire un reportage sur Monsieur Campagnolo. J'ai enjolivé un peu tout ça et la secrétaire m'a donné son numéro de téléphone dit-il avec un grand sourire en lui tendant le papier sur lequel il avait noté les coordonnées.

- Super ! dit-elle en prenant le papier.

Elle composa le numéro. Elle était excitée, enfin ils allaient avoir une réponse à ce mystère. Une voix se fit entendre à l'autre bout du fil.

- Allo…

- Bonjour ! Monsieur Campagnolo ?

- C'est moi oui ; à qui ai-je l'honneur ?

- Louise Robinson, professeur. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, mais j'étais en cours avec vous il y a quelques années à l'université de Montpellier.

L'homme sembla réfléchir.

- Heu… oui, peut être… votre nom me dit vaguement quelque chose, oui. Je pense voir qui vous êtes. Que puis-je faire pour vous, mademoiselle ?

- Je vais en venir directement au fait, monsieur : j'ai découvert un médaillon ancien, ou tout au moins qui semble ancien, avec des caractères dans une écriture qui m'est inconnue et j'aimerais vous le montrer pour que vous puissiez me renseigner sur son origine, voire éventuellement que vous me la traduisiez.

- Je vous entends fort bien, mais je ne pratique pas, en principe, ce genre d'intervention. N'y a-t-il pas quelques archéologues dans votre entourage qui puissent vous aiguiller ? J'espère que vous n'avez pas fait cette découverte en menant des fouilles illégales…

Mais Louise le coupa, elle sentait que cela partait mal et voulait rectifier le tir.

- Ce n'est pas en procédant à des fouilles que j'ai découvert ce médaillon : il était dans les affaires de mon oncle, qui décédé la semaine dernière. C’est une sorte d’héritage qu’il m’a laissé. J’ai été intriguée par ces inscriptions, mais malgré mes recherches, je reste sans réponse. Je vous assure que ce sont des symboles inconnus...

Le professeur se mit à rire :

- Ma chère petite, ils ne sont peut être pas connus de vous, mais sûrement de quelqu'un, sinon cela voudrait dire que venez de faire une découverte extraordinaire.

- Professeur, insista Louise qui n’aimait pas le ton condescendant que prenait Moïse Campagnolo, un homme est déjà mort à cause de ça, un autre a été poignardé et son état est toujours instable. Donc, oui : je pense que c'est effectivement une découverte importante, et c'est bien pour cela que je me permets de vous contacter.

- Mademoiselle Robinson, je vous préviens : si c'est une plaisanterie, elle est d’assez mauvais goût !

- Non Professeur, ce n’est pas une plaisanterie. Si vous en doutez, vous pouvez joindre le lieutenant Carole Jamin, au commissariat de Montpellier, c'est elle qui est chargée de l'enquête : elle vous le confirmera !

Louise espérait pourtant qu'il ne le ferait pas, le lieutenant leur ayant demandé de rester discrets.

- D’accord, je veux bien vous croire. Mais alors pourquoi la police scientifique ne cherche-t-elle pas elle-même ? Ils ont des personnes très compétentes.

- Le lieutenant Jamin ne pense pas que ça ait un rapport direct avec les inscriptions, dit Louise embarrassée, mais…

- Écoutez, trancha le professeur, je dois me rendre à Petra demain matin pour un congrès, et je reviens mardi prochain : soit vous pouvez vous déplacer aujourd'hui, soit nous nous voyons à mon retour. Qu'en pensez-vous ?

- Aujourd'hui, sans aucun problème ! répondit Louise après avoir rapidement calculé qu’attendre le retour du professeur lui ferait perdre cinq jours. Nous partons dès maintenant, nous serons chez vous dans la matinée, cela vous convient-il ?

- Très bien, je vous attends. Vous avez mon adresse complète ?

- Oui, monsieur, à tout à l'heure, merci ! Et elle raccrocha.

Elle bouillait d'impatience ; elle se jeta sur ses affaires, enfourna le tout dans son sac et referma la fermeture éclair d'un geste vif.

- Bon t'es prêt ? demanda-t-elle à Pascal en le regardant d'un œil pétillant.

- Quand tu veux ! répondit-il en se dirigeant vers la porte.

Ils descendirent les quelques marches et rejoignirent la Mini de Louise. L'air était encore froid, mais le soleil matinal brillait dans un ciel bleu limpide. Un léger vent du nord soufflait, faisant voler les cheveux de Louise. Elle jeta son sac sur le siège arrière et grimpa dans l'habitacle.

- Pour Quissac, il vaut mieux passer par Sommières, demanda Louise, ou par la route de Ganges ?

- Par Sommières, je pense. Les routes sont meilleures. On devrait arriver vers onze heures et demie.

- Parfait !

Le paysage défilait rapidement devant leurs yeux. La circulation était plutôt fluide et la conduite n'en était que plus agréable.

- Peut-être qu’on devrait appeler notre fliquette pour avoir des nouvelles de Sylvain, proposa Louise.

- Oui, admit Pascal, je l'appelle tout de suite.

Il fit le numéro de la ligne directe du lieutenant Jamin, qui répondit presque immédiatement. Il mit le téléphone en position haut-parleur pour que Louise puisse entendre aussi.

- Bonjour lieutenant, c'est Pascal Fontanel, je voulais savoir si Sylvain Delbarre allait mieux, si vous aviez plus d'éléments concernant l'enquête et puis surtout si nous pouvions rentrer chez nous.

- Bonjour, Monsieur Fontanel, j'ai de bonnes nouvelles pour vous, votre ami est hors de danger, son état semble s'être stabilisé, il est bien sûr toujours en réanimation, mais les médecins sont plus optimistes sur son cas. Pour votre logement, je ne pense pas qu'il y ait de problèmes : l'homme qu'on a retrouvé mort dans votre couloir était bien votre cambrioleur, mais il semblerait qu’il soit décédé d'une simple crise cardiaque. Rien à voir avec un quelconque complot contre vous. Vous pouvez être rassurés et reprendre le cours normal de votre vie.

- Mais alors comment expliquez-vous qu'il ait emporté la photo de Louise avec lui ? demanda Pascal perplexe.

- Monsieur Fontanel, connaissez-vous, vous ou Mademoiselle Robinson, la secte du Temple de Zaarm ? Avez-vous eu des contacts avec eux ? demanda-t-elle.

Louise fit signe que non.

- Non, répondit Pascal, ni Louise ni moi.

- Alors, c’est probablement par simple hasard : cet homme faisait partie de la secte du Temple de Zaarm, mais je ne pense pas que cela ait un lien avec votre cambriolage. Il devait chercher à dérober des objets de valeur et a dû tomber sur cette photo. Allez savoir pourquoi, elle lui a plu. Vous savez, toutes ces sectes regorgent de gens paumés. En tout cas, celui-ci ne viendra plus vous embêter.

- Bon, très bien, madame, euh, lieutenant, je vous remercie ! dit Pascal avant de raccrocher.

Louise se tourna vers son ami en rigolant :

- Tu te rends compte ? Elle se demande pourquoi ma photo lui a plu ! Quelle punaise, celle là ! Décidément, les nanas ne se feront jamais de cadeau entre elles !

Puis, plus sérieusement, elle ajouta :

- Tu crois à tout ça, toi ? Un "simple hasard" ?

Pascal fit la moue. Ces révélations renversaient toutes leurs théories élaborées la veille au soir. Et pourtant, elles leur avaient semblé tenir debout.

- Je ne sais pas, c'est bizarre. Elle avait l'air sûre d'elle, pourtant, j'ai du mal à y croire : la coïncidence est un peu grosse je trouve !

- Totalement d'accord, je pense que nous avons tout intérêt à rester très prudents. Cette histoire est loin d'être finie, à mon avis.

Ils arrivèrent comme prévu vers onze heures et demie. La Mini s’engagea sur un petit chemin de terre et s’arrêta devant une vieille bâtisse soigneusement rénovée. Un homme de bientôt soixante-dix ans, mais dont le visage affichait une expression presque enfantine, arriva vers eux avec un grand sourire accueillant.

- Bonjour jeune homme, bonjour Mademoiselle Robinson, heu… Louise, c’est bien ça ? Excusez-moi si j’ai pu sembler un peu… méfiant, tout à l’heure. Je dois avouer que sur le moment, je n’avais pas totalement remis qui vous étiez.

Louise le salua à son tour, contente de le revoir et l’assura qu’il n’y avait aucun problème. Il les invita à entrer : la maison était en fait un ancien bâtiment agricole qui avait été restauré et aménagé dans le style du pays. La cuisine, sur laquelle la porte d’entrée donnait directement, était peu éclairée mais très vaste. Le four était allumé, réchauffant l’atmosphère de la pièce tandis qu’un agréable fumet se faisait sentir.

Moïse Campagnolo n'avait pas changé : il avait toujours son air jovial, un regard vif mais bienveillant.

- Asseyez-vous, asseyez-vous, proposa-t-il aimablement. Vous prendrez bien un Kinnie ? dit-il avec les yeux pétillants.

- Un Kinnie ? Qu’est ce que c’est ? demanda Louise, tandis que Pascal et elle prenaient place autour de la grande table ovale.

- Une petite merveille, tout simplement ! C’est une boisson maltaise que j’ai découverte il y a quelques années en participant à des fouilles là-bas. C’est un genre de soda, en fait, préparé à base d’orange amère et de différentes herbes locales. J’avoue que je n’étais pas un grand amateur de ces boissons gazeuses avant de connaître le Kinnie, mais maintenant ça me serait difficile de m’en passer.

Il avait déjà sorti du réfrigérateur trois petites bouteilles à l’étiquette jaune orangé.

- Vous voulez gouter ? Il n’y a pas d’alcool, précisa-t-il.

Louise sourit et acquiesça de la tête, amusée de voir que son ancien professeur n’avait rien perdu de sa capacité à s’enthousiasmer pour à peu près tout.

- En principe, on ne trouve cette boisson que sur l’île de Malte. C’est un importateur allemand qui me les livre. Je lui en commande une dizaine de caisses chaque mois… je suppose qu’on peut appeler ça un péché mignon.

Il décapsula les trois bouteilles et remplit son verre, laissant à Louise et Pascal le soin d’en faire autant pour les leurs.

- À votre santé les jeunes, et à vos recherches, dit Moïse Campagnolo en levant son verre qu’il vida d'un seul trait.

Il poussa un profond soupir de contentement.

- Ça fait du bien ! dit-il en se resservant un nouveau verre.

Louise et Pascal le regardaient, amusés, s'attendant à ce qu’il le vidât de la même manière. Il sembla s'en apercevoir.

- Je reconnais que ça peut sembler un peu étonnant… pas très élégant, peut être, mais je considère que j’ai passé l’âge de me soucier de ces choses là. Je m’assouplis toujours le gosier d'un premier jet, pour pouvoir apprécier au mieux le second, dit-il pour se justifier, toujours avec son large sourire.

Puis il leur tendit une coupelle de pistaches.

- Servez-vous, allez-y ! C’est ce qui se fait de mieux pour l’apéritif ! Vous savez qu’il n’y a que cinq calories dans une pistache ? Et pas de cholestérol !

Ils bavardèrent un moment de choses et d’autres, Louise et le Professeur ne s’étant pas parlé depuis les années de fac de cette dernière. Elle ne savait pas comment aborder le sujet du médaillon sans paraître inconvenante, mais ce fut finalement le Professeur Campagnolo qui attaqua :

- Alors, montrez-moi donc votre fameuse découverte, que je voie si c'est aussi formidable que vous me l’avez annoncé.

Louise sortit le pendentif de son décolleté, l'ôta de son cou et le lui tendit. Le Professeur prit l’objet dans ses mains, le retourna plusieurs fois, le regarda sous divers angles, puis il sortit de sa poche de poitrine une paire de lunettes qu’il plaça en équilibre sur son nez. Il semblait absorbé par la contemplation des caractères qui figuraient dessus. Par moment il prenait son verre buvait une gorgée de Kinnie et se replongeait dans l’examen du bijou.

- Hum ! finit-il par dire. C'est assez extraordinaire en effet dit-il. Ces caractères sont à la fois souples et rigides, à la fois filiformes et imagés, plutôt dépouillés mais tout de même élaborés. C'est une écriture que je ne reconnais pas formellement, et pourtant elle a quelque chose de presque familier. Regardez ces signes, dit-il en pointant du doigt, ici, on dirait bien l'oméga grec et celui-là ressemble étrangement à l'epsilon, pourtant celui-ci, en dessous, pourrait être l'anse égyptienne ! On retrouve encore des similitudes avec plusieurs autres écritures anciennes, mais sans être véritablement aucune d’entre elles.

- Mais comment est-ce possible ? demanda Louise. Vous pensez que l'auteur de ces caractères se serait inspiré de ces écritures pour créer la sienne ?

- Non, Louise, il prit un air grave pour la première fois depuis qu'elle le connaissait. Ça peut vous paraître complètement loufoque ce que je vais dire, mais j'ai plutôt le sentiment inverse : on dirait que c'est cette écriture-ci qui est à l'origine des autres !

Louise était abasourdie par cette remarque. Moïse Campagnolo se leva.

- Suivez-moi, je vais vous montrer quelque chose, dit-il en passant une porte en bois sur la gauche de la cuisine.

Ils lui emboitèrent le pas et descendirent trois marches pour se retrouver dans une salle à manger beaucoup plus lumineuse, les murs étaient habillés de lambris clair et une grande baie vitrée laissait passer le soleil de midi. Le vieux professeur les entraîna ensuite vers une autre pièce, un salon qui servait de bibliothèque ou de bureau. Il les invita à s'asseoir. Louise et Pascal s'installèrent sur le petit canapé en cuir pendant qu'il cherchait un livre dans les étagères pleines de centaines de volumes. Si certains d’entre eux semblaient récents, d’autres paraissaient avoir plusieurs centaines d'années.

Il trouva ce qu’il cherchait, ouvrit un gros ouvrage à la couverture verte rehaussée de dorures, le feuilleta un instant et leur dit :

- Voilà, regardez : vous voyez ce graphème ? Il est décliné ici dans son évolution. Eh bien si on prenait celui-ci, gravé sur le médaillon, on pourrait probablement le replacer au début de cette évolution. Vous voyez comme cette boucle a eu tendance à s’écraser pour devenir un simple trait ? Eh bien ce caractère est exactement à l’inverse de ce qu’il est devenu aujourd’hui : la boucle est bien formée, presque exagérée. C’est ce qui me fait penser qu’il pourrait trouver sa place au début de cette… heu, série chronologique.

Louise se pencha pour mieux voir. Son vieux professeur avait raison : les dessins semblaient se compléter.

- Ça veut dire qu'on pourrait transcrire ces inscriptions, et peut être les traduire ?

Moïse Campagnolo hocha la tête :

- Peut-être, peut-être… ça risque de prendre longtemps, voire même de ne jamais aboutir, mais ce n’est pas totalement inenvisageable et ça doit valoir la peine d'essayer. Me laisseriez-vous tenter ?

Louise n'hésita pas.

- Bien sûr, c'est précisément pour comprendre le sens de ces inscriptions que je suis ici. Mais… je préfèrerais ne pas me séparer de ce médaillon.

- Ne vous inquiétez pas, dit-il en posant une feuille de papier sur le bijou.

Il prit un crayon à papier et frotta la mine de graphite sur le papier. La pointe du crayon accrochant les reliefs, les gravures apparurent distinctement dessus, dans leurs moindres détails.

- C’est une vieille technique, expliqua-t-il tout en relevant l’empreinte, je me souviens que quand j’avais huit ou dix ans, je faisais ça sur des pièces de monnaie. Je disais que je me fabriquais de la fausse monnaie ! Dans les années quatre-vingt, c’est devenu très à la mode en Angleterre : ils recopiaient les inscriptions sur les pierres tombales. On ne pouvait plus voir un anglais se promener dans un cimetière sans son paquet de feuilles et son crayon… je me demande ce qu’ils faisaient de tout ça ! Voilà, déclara-t-il en terminant son crayonnage, avec ça, j'ai une copie suffisamment exacte pour travailler. Et vous, vous pouvez conserver ce médaillon. Par contre, comme je vous l’ai dit, je ne pourrai pas m'y consacrer tout de suite : je dois m'absenter quelques jours.

- Ce n'est pas grave, professeur, le rassura Louise, faites comme vous pouvez.

- Vous prendrez bien le repas de midi avec moi proposa Moïse Campagnolo.

- Avec plaisir, répondit Pascal sans attendre l’avis de son amie. Son ventre gargouillait, et la perspective d'un bon plat ne semblait pas le laisser de marbre.

- Alors venez dit-il en les prenant par les épaules. Je ne cuisine pas moi-même, mais Nadia, ma femme de ménage, est aussi une excellente cuisinière et je ne doute pas que vous apprécierez son savoir-faire.

Ils passèrent à table. Nadia avait préparé un gratin dauphinois, complété au dernier moment pas une grosse salade composée. Le repas se déroula dans la bonne humeur. Pascal fut soulagé de ne pas avoir à l’arroser de Kinnie, mais d’une bouteille de Costières du Gard que le Professeur avait débouchée. Louise se tint à l’eau, prévoyant qu’elle aurait de la route à faire pour le retour.

Puis elle eut une idée :

- Dites- moi professeur, Cuneocardium, ça vous dit quelque chose ?

Le professeur se tourna vers elle en faisant la grimace.

- Cuneocardium ? répéta-t-il. C’est curieux : "cardium" ça évoque presque à coup sûr le cœur, et pour le début, "cuneo", on peut penser à pas mal de choses, mais je n’arrive pas à déterminer laquelle est la bonne. Pourquoi ?

- Non comme ça, il me semblait avoir lu ça dans de vieux papiers ayant appartenu à mon oncle, je me disais que ça pouvait avoir un rapport avec les inscriptions, mais je me suis probablement trompée.

Pascal rebondit sur la question de son amie :

- Et Bruno Cart, les temps premiers ? Ça vous interpelle ? demanda Pascal.

- Ah, ça oui, bien sûr, répondit Moïse Campagnolo. C'est très probablement Bruno Cartusianus, autrement dit, Bruno le Chartreux, plus connu sous le nom de Saint Bruno, bien qu’il n’ait jamais été officiellement canonisé. C’est le fondateur du monastère de la Grande Chartreuse, et par la même occasion, de l’ordre des Chartreux.