Un petit feuilleton pour égayer les lundis...

La suite...
Le Chapitre 25.
On retrouve notre camarade Yboulados, qu'on découvre sous un nouveau jour. C'est nettement moins folklorique mais guère plus plaisant.
Et toujours, si vous avez des idées pour la suite de l'histoire, je suis preneur.
Si vous avez raté un chapitre, pas de panique : vous pourrez le retrouver dans les archives du blog (tout en bas, en cliquant sur "messages plus anciens", ou ici : le 1, le 2, le 3, les 4 et 5 , le 6, le 7 et le 8, le 9, le 10, le 11 et le 12, le 13, le 14 ...). Vous pouvez aussi trouver la liste sur le côté de la page.
Je compte sur vos remarques et vos commentaires (constructifs) que vous ne manquerez pas de m'envoyer sur mon mail : jeanlouis.jabale@gmail.com ou sur la boite à messages de ce blog : il est configuré pour que tout un chacun puisse m'y déposer ce qu'il souhaite.
Bonne lecture...

lundi 31 janvier 2011

Chapitre 6

Louise était époustouflée par ce qu'elle venait d'entendre.

- Tu ne crois pas qu'il pète un peu les plombs, ton copain ? demanda-t-elle à Pascal. Un métal inconnu sur terre : c’est du grand délire !

Celui-ci restait songeur.

- Non, je ne pense pas, et c'est bien ce qui m'intrigue ! Sylvain n'est pas quelqu'un qui s'emballe pour rien !

Puis il regarda plus profondément son amie.

- Je pensais bien que ce médaillon était bizarre : ces caractères, ce centre qui tourne toujours dans le même sens, cet aspect neuf… mais à ce point ! En fait je m'attendais à ce qu'il puisse me dire d'où il venait, d’après la composition de son alliage, la pureté des matériaux, ou je ne sais trop quoi. Mais là ! Je dois avouer que c’est bizarre.

Louise ne savait plus quoi penser. Son esprit cartésien s'embrouillait. Pouvait-elle croire ce gars ? Après tout, elle ne le connaissait pratiquement pas ! Et ce qu'il leur annonçait était tellement aberrant !

- Et son appareil, là, son spectro bidule, il ne pourrait pas être en panne et dire n'importe quoi ? tenta-t-elle.

- Je ne pense pas, Louise. Je t'assure, Sylvain n'est pas un farfelu et j'imagine qu'il a dû recouper ses conclusions avant de nous prévenir.

- Mais alors d'où vient-il ce pendentif ? Ce n'est quand même pas un extraterrestre qui l’a perdu de sa soucoupe volante ! dit-elle en éclatant de rire.

Mais la plaisanterie ne fit pas rire son ami.

- Je ne sais pas, se contenta-t-il de répondre.

Louise le dévisagea, agacée. Il avait l'air grave.

- Non mais arrête, Pascal, là tu déconnes à fond toi aussi ! Allez, je suis sûr que ton pote va rappeler cet après-midi en se confondant en excuses et en t'expliquant qu'un gloubiboulscope à pointe ou un autre truc du même tonneau a mal fonctionné. Ou alors qu'il a fait une erreur énorme, une erreur de gamin, du genre oublier de brancher une prise, ça arrive parfois, des trucs comme ça.

Pascal la regarda, avec l'air de ne pas savoir s'il devait le prendre mal ou pas.

- Tu as peut-être raison, admit-il, mais ça parait tellement peu probable.

- Dis, au fait : ton copain, emporté dans son élan, il ne faudrait pas qu'il lui vienne l'envie de couper en deux mon médaillon ! C’est tout ce qui me reste de mon oncle, après tout !

Pascal fit une grimace : le ton surexcité qu’avait eu Sylvain l’instant d’avant laissait supposer que la chose était possible.

- Tu as raison. Je lui envoie un texto tout de suite ! dit-il en saisissant son téléphone portable, on ne sait jamais !

La réponse suivit presque immédiatement, faisant vibrer le petit combiné de Pascal.

- Ne t'inquiète pas, il avait bien pensé que tu y tenais. Le pendentif n'a subi aucun dégât. Il me le fait rapporter par coursier tout à l'heure afin de te rassurer, en attendant de te rencontrer ce soir.

Louise se sentit un peu soulagée.

Finalement, ce Sylvain avait l'air d'être plutôt un type bien. Penser à la valeur sentimentale qu'elle pouvait attacher au médaillon alors qu'il était persuadé d'avoir fait la découverte du siècle prouvait qu'il avait une grande part d'humanité. Sylvain lui parut tout de suite plus sympathique et elle cessa de se moquer de lui.

Dans l’après midi, Louise s’octroya une pause dans ses lectures pour aller faire quelques courses. Le frigo était presque vide, et les placards ne valaient guère mieux.

Chargée d’un sac dont la poignée trop mince lui faisait mal aux doigts, elle décida de rentrer chez elle en bus. Il n’y avait que deux stations, mais au moins, elle ne serait pas obligée de porter le sac sur tout le trajet.

Lorsque le bus arriva, elle monta et se serra entre les passagers. Le véhicule s'ébranla doucement et commença le retour. Louise regardait la route qui défilait au dehors. Elle s’amusait de voir à quel point le simple fait de ne pas être dans son véhicule habituel pouvait changer sa perception de ce quartier pourtant familier. Il lui fallait presque faire un effort pour reconnaître les lieux par où elle passait.

Soudain une silhouette surgit devant le bus. Le chauffeur eut juste le temps de pousser un cri de frayeur et d'appuyer de toutes ses forces sur la pédale de frein. Le bus vibra sous l'effort et se tassa sur l'essieu avant, projetant les passagers les uns sur les autres.

L'homme sembla tout de même percuter le capot, mais il continua tout de même sa course en boitant.

- Non mais quel malade celui-là ! hurla le chauffeur. Qu'est ce qu'il a, à courir comme ça ?

Louise n'avait pas vu tout ce qui s'était passé, mais l'avait compris aux invectives du chauffeur. Elle tourna la tête pour voir, mais l'homme n'était déjà plus là. Les autres passagers y allaient tous de leurs commentaires.

Son arrêt arriva et elle descendit. Quelle drôle de journée ! Elle marcha un peu, la tête dans ses pensées, passa la grille de la résidence et monta les escaliers menant chez elle. Elle allait ouvrir la porte lorsqu’elle sentit une présence derrière elle. Elle se retourna vivement, prête à utiliser les cours de self défense que Mamie-Lu l’avait presque obligé à suivre, parce qu'une fois elle s'était fait voler son sac à main. Mais elle ne vit rien. Le couloir était vide.

- Houlà, un peu trop nerveuse ce soir ma vieille, faut te calmer ! dit-elle tout haut comme pour mieux se rassurer.

Elle pénétra dans son petit appartement et verrouilla la porte derrière elle. Elle se sentait tendue.

Un bain ! Prendre un bon bain chaud, voilà qui devrait faire baisser tout ce stress. Elle passa par la cuisine, mordit machinalement dans un croissant dont elle n’avait pas vraiment envie, le reposa et fila vers la salle de bain.

En passant devant le salon, elle vit le petit globe en bois de son oncle posé sur la table. Elle le trouvait magnifique et l'emporta avec elle dans la salle d'eau pensant le regarder de plus près.

Elle ouvrit les robinets, versa un bouchon de bain moussant et la baignoire ne tarda pas à être pleine d'une eau chaude et parfumée. Louise se dévêtit et se glissa dans la mousse épaisse. Ses muscles se relâchèrent.

Les vapeurs enivrantes de pêche finirent de lui détendre l'esprit. Elle récupéra la petite sphère de bois et la fit tourner entre ses mains. Les continents étaient dessinés à l'ancienne, les pays d'Afrique portant encore le nom des anciennes colonies européennes. De fins pointillés partaient des ports et matérialisaient les principales routes maritimes. La Russie, quant à elle, était désignée sous le nom de « Saint Empire de Russie ».

Ce globe était sûrement bien plus vieux que la date inscrite sur la photo ! Postérieur aux grandes vagues de colonisation, mais plus ancien que la révolution russe. Louise estima qu’il avait dû être façonné au début du XXème siècle, peut être à la fin du XIXème.

Elle jeta machinalement un coup d’œil sur la France, dont la surface était à peine celle d’une pièce de cinquante centimes. Malgré la taille excessivement réduite, la précision du tracé était absolument remarquable !

Ses doigts effleuraient la surface lisse du bois poli, lorsqu'ils rencontrèrent une petite aspérité. Elle regarda de plus près, il s'agissait en fait d'un trou ! Il n'était pas plus gros qu'une pointe d’aiguille et ses yeux ne l'auraient sans doute jamais vu si elle ne l'avait pas d'abord senti sous ses doigts. Une petite croix était dessinée juste au-dessus, mais aucun nom n'était inscrit. Il était situé dans le sud-est de la France, un peu plus bas que Lyon, dans les environs de ce que Louise estima être Grenoble ou quelque chose comme ça. Quelque chose à voir avec le Vercors ? La Résistance ? Probablement pas : le globe semblait beaucoup plus ancien. Et puis pourquoi ces marques ? Elle n'en avait aucune idée !

Ce trou aurait pu être fortuit s’il avait été seul : un défaut du bois, par exemple, ou l’œuvre d’un quelconque insecte, mais la croix au dessus semblait indiquer le contraire. Cela avait-il un rapport avec le pendentif ? Possible, mais finalement peu probable : le message ne disait rien sur un quelconque lieu dans le sud-est. Elle pensa regarder sur une carte de France à quoi pouvait correspondre cet emplacement… ou mieux : en agrandissant une photo de cette partie du globe et en la superposant avec une carte…

- Oh, zut ! Le pendentif, le rendez-vous avec Pascal et Sylvain, il faut que je me dépêche.

En rêvassant dans son bain, Louise n'avait pas vu passer l'heure, mais il lui fallait maintenant ne pas perdre de temps si elle ne voulait pas être trop en retard. Elle reposa le globe sur une petite étagère en hauteur, au dessus de la baignoire, d’où elle jugea qu’il ne risquerait pas de tomber, sortit du bain et se sécha rapidement.

Elle enfila en hâte des vêtements propres et sortit en trombe.

Pas question cette fois-ci d'y aller à pied, Pascal habitait trop loin et les rues de Montpellier n'étaient quand même pas très rassurantes pour une jeune fille seule la nuit. D'un coup d'ascenseur, elle descendit jusqu'au parking où était garée sa Mini, mit le contact et démarra. Elle brancha son oreillette à son portable et composa le numéro de son ami.

- Allo Pascal ?

- Oui, Louise, tu es où ? demanda son ami

- Je suis en train de partir de chez moi, j’arrive dans cinq minutes.

- Ok ! Pas de problème ! Par contre, changement de programme : on a rendez-vous au Donegal, le nouveau pub derrière la préfecture. Sylvain ne peut pas venir jusqu'ici, sa voiture a un problème.

- Ah ? Elle est tombée en panne ? demanda Louise par simple curiosité.

- Pas exactement : un petit plaisantin lui a crevé les quatre roues ! Sylvain était furieux : il m'a raconté tout ça cet après-midi lorsqu'il m'a envoyé le coursier. J'ai ton médaillon d'ailleurs !

- Pas abimé ? Il ne l’a pas découpé en lamelles pour faire ses expériences ?

- Mais non, je te l’ai dit : il sait que tu y tiens. Il n’est d’ailleurs plus aussi sûr que ce soit la découverte du siècle. Il a une théorie très simple à son sujet, ça n’a rien à voir avec des extraterrestres ou des trucs dans ce genre là.

- J’aime autant ça. C’est quoi, cette théorie ?

- Je te dirai ça quand on se verra. Je suis en route pour le pub, on se retrouve dans cinq minutes.

- Ok ! Pas de problème pour moi, chez-toi ou là bas, ça revient au même, je vais me garer à la pref… Héé merde! Quel connard celui là ! Pardon…on vient de me griller une priorité. J’ai bien failli me le prendre, cet abruti ! Encore un de ces gominés débiles qui roulent comme des tarés ! Quand il aura fauché un piéton et qu'il l'aura foutu en fauteuil, il sera content ! Y’a vraiment qu’ici qu’on voit ça ! Bon, je raccroche, j’arrive au parking.

Elle trouva une place au deuxième sous-sol et sortit à pied du parking souterrain. Le pub n’était qu’à cinq minutes de marche ; Pascal l’attendait devant la porte.

- Excuse-moi, je n'aurais pas dû m'énerver tout à l’heure, c'est vrai que j'ai les nerfs un peu à fleur de peau en ce moment.

Pascal se pencha et l'embrassa sur la joue.

- Tout est oublié répondit-il avec le sourire. Bon ! On ne va pas tarder à être fixés sur ton bijou. Sylvain m'a bien fait passer les résultats de ses mesures, mais je n'ai pas encore eu le temps d'y jeter un coup d'œil.

Ouvert trois ou quatre mois auparavant, le Donegal n’était pas un pub très différent des autres : il se donnait un air irlandais, avec les trèfles et les farfadets traditionnels bien que le patron fut un montpelliérain pur jus. Louise et Pascal saluèrent deux ou trois connaissances et s'installèrent à une table.

- J'espère que Sylvain ne va pas être trop long ! J’aimerais bien qu’il nous en dise un peu plus long sur la suite, lâcha Pascal.

- Fais voir les documents s'il te plaît, dit Louise en tendant la main.

Elle prit les feuillets, les parcourut rapidement et, d'un air dubitatif, les repassa à Pascal.

- Pour moi, c’est du chinois, mais si on en croit sa conclusion, le pendentif n'est pas fait dans un métal connu, c’est tout ce qu’on peut affirmer.

Pascal avait sorti le médaillon et l'observait, comme pour déceler la vérité.

- Il faut quand même reconnaître que c'est étrange qu'il paraisse aussi neuf.

Les études techniques de Pascal lui permettaient de lire plus facilement le compte rendu des mesures et chaque fois qu'il tournait une page, il hochait la tête avec un air de surprise.

Louise le regardait faire, attentive au moindre mouvement, avide de savoir.

- Alors ? dit-elle, c'est vrai ?

- Oui ! Aucun doute, Sylvain a fait tout ce qu'il fallait faire et même l'analyse spectroscopique…

- Et c'est quoi exactement, une analyse spectroscopique ?

- Eh bien, en gros, d’après ce que je sais, quand une matière est chauffée à haute température, elle émet une lumière particulière qui caractérise ses propres constituants atomiques...

- Attends : tu veux dire qu’il a chauffé mon médaillon à haute température ?

- Non, je ne crois pas. Je ne sais pas exactement comment ça marche, mais autant que je sache, il n’est pas nécessaire de chauffer la totalité de l’objet à analyser. Et pas besoin de prélever des échantillons non plus, ajouta-t-il en voyant l’air effaré que prenait Louise. Bref, en analysant cette lumière et les différentes longueurs d'ondes qui la constituent, on peut en tirer comme une sorte d’empreinte digitale de chaque atome. Par exemple, les phares de voitures, suivant leur constituant, ils seront jaunes, blancs, ou bleutés. Tu me suis ?

- Oui, oui, sans problème. Donc si je comprends bien, malgré ce test là, la matière du médaillon n'a pas pu être identifiée, et Sylvain en conclut donc que c’est une matière inconnue. C'est ça ? Ça lui suffit ?

- C’est ça, mais il a quand même pris la peine de faire, en plus, d'autres tests chimiques pour vérifier ses résultats et il a même contrôlé sa radioactivité, qui apparemment n'est pas plus importante que celle d'un mouchoir en papier.

- C’est quand même assez extraordinaire ! Mais alors d'où est-ce qu’il peut venir ? Comment mon oncle s'est-il approprié ce bijou ? Pourquoi l’avoir créé dans ce métal ? Et que va-t-on faire maintenant avec ce truc là ? Et puis…

Mais Pascal posa sa main sur la sienne et la coupa.

- Calme-toi, j'ai peut-être une idée là-dessus, enfin sourit-il, plusieurs !

Le cœur de Louise tressaillit en sentant la main de son ami contre la sienne. Le médaillon disparut de ses soucis en une fraction de seconde. Elle retourna sa main et serra celle de Pascal, dont les explications lui parvenaient comme une sorte de murmure qu’elle n’écoutait plus, toute entière à ce contact inespéré. Elle regardait leurs mains entrelacées, se demandant à quoi il pensait, lui, en cet instant précis, et s’il allait laisser sa main lorsqu’il aurait fini son exposé.

- Voilà ! Qu'en penses- tu ? demanda Pascal.

Louise rougit, gênée.

- Heu… ben… je ne sais pas… tu peux me la refaire version courte : je n'ai pas tout bien suivi, là.

Pascal ne se formalisa pas. Par contre, il retira sa main pour saisir les feuillets contenant les résultats des mesures.

- Je te disais que, d’après Sylvain, le métal proviendrait "tout simplement" d'une météorite qui aurait atterri quelque part. Un ancien peuple en aurait fait un bijou, ou peut être un instrument qui sert à quelque chose. Parce que je doute vraiment qu'il soit aussi élaboré pour rien !

- Tout simplement ? Il en a de bonnes, ton copain ! Je suppose que ce genre de météorite, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue !

- Ce qu’il voulait dire, c’est que la fabrication de l’objet était bien humaine, d’origine terrestre, et que ça ne prouvait en rien l’existence d’une forme de vie intelligente sur une autre planète.

- Admettons, mais alors quel peuple aurait créé ce bijou, et pour quoi faire ? Je n'ai jamais entendu dire qu'un quelconque peuple antique ait eu ce genre de truc. Les Égyptiens peut-être auraient pu, les Babyloniens aussi, une espèce de calendrier astral, ou un appareil servant de calculatrice pour déterminer la position des étoiles. Il parait que les Babyloniens étaient très forts en astronomie !

Louise se pencha sur le médaillon et continua.

- Ces caractères ne ressemblent pas à des hiéroglyphes, ni même à leurs précurseurs.

Elle essayait de se remémorer ses cours sur les premiers alphabets. Pascal restait pendu à ses lèvres, n'osant l'interrompre de peur qu'elle ne perde le fil de ses idées.

- On dirait des espèces de runes, mais je ne vois pas quelle pourrait être leur origine.

- Des runes ? Tu veux dire ces espèces de petites pierres gravées dont les sorciers marabouts se servent pour lire l'avenir ?

Louise éclata de rire:

- Tu connais des sorciers marabouts ? C’est quoi, cette connerie, encore ?

- Tu sais, tu as sûrement déjà vu ces petits prospectus qu’on trouve parfois dans les boites aux lettres : "Maître Zobiramolo, grand marabout ivoirien qui voit tout, résout tous vos problèmes d’envoûtement, retour de l’être aimé, haricots qui ne veulent pas cuire et factures impayées en tous genres".

- Non, répondit-elle en riant, à l'origine, les runes sont un alphabet du nord de l’Europe. Ce qui le différencie surtout de l'alphabet latin, c'est que ces lettres, ces runes, ont des noms et qu’elles sont dotées d'un sens propre. C'est l'alphabet qu'utilisaient les anciens peuples du nord de l'Europe pour écrire le germanique, le vieil anglais et même le scandinave ancien. Mais effectivement, on en retrouve aussi dans la culture africaine.

- Et tu saurais les déchiffrer ? demanda Pascal.

- Oh que non ! J'en suis bien incapable ! Il nous faudrait un spécialiste des langues primitives, comme… Ah zut ! Comment il s'appelait déjà ce prof que j'avais eu en première année de fac ?

Pascal reprit le pendentif dans ses mains pour essayer à son tour de comprendre.

- Regarde dit-il, on dirait des mots : on remarque bien les espaces entre eux ! Et même apparemment il n'y en a que deux sur le cercle intérieur, alors que sur le pourtour, ça ressemble plus à une espèce de phrase.

- Oui, dit Louise en regardant, tu as sûrement raison. Mais après, comment savoir ce qu'il y a d'écrit et à quoi peut servir ce bijou ? Même si on avait la correspondance des lettres, il faudrait en plus connaître la langue dans laquelle c’est écrit !

Puis Louise regarda sa montre.

- Dis donc, il fait quoi ton Sylvain là ? Ça fait presque une heure qu'on l'attend, tu devrais peut-être essayer de l'appeler pour voir.

Pascal décrocha son téléphone et composa le numéro. La sonnerie retentissait à l'autre bout. Deux, trois, quatre fois. Pascal s'attendait à tomber sur la messagerie lorsqu'une voix féminine répondit.

- Allo ! Qui est à l'appareil ? demanda-t-elle.

- Heu… Excusez-moi, j'ai dû me tromper de numéro, répondit Pascal.

- Non, non, ne raccrochez pas ! ordonna la voix. Je suis le lieutenant Jamin, de la brigade criminelle. Veuillez décliner votre identité, s'il vous plait.

Pascal eut une hésitation.

- Je m'appelle Pascal Fontanel et je suis un ami de Sylvain Delbarre. Nous avions rendez-vous ce soir dans le centre ville. Mais, que se passe-t-il ? Pourquoi avez-vous son téléphone ?

- Monsieur Fontanel, j’ai une assez mauvaise nouvelle à vous apprendre : Votre ami vient d'être admis aux urgences de l'hôpital Lapeyronie, il a été agressé en pleine rue, devant chez lui. Aussi, je souhaiterais vous rencontrer, au commissariat demain matin, si ça vous est possible : j'aimerais vous entendre.

- Agressé ! Mais c'est incompréhensible ! s'exclama Pascal, mais… comment ? Est-ce qu’on sait qui a fait ça ? Est-ce qu'il va s'en sortir ?

- Nous ne savons pas grand-chose pour l'instant : il a reçu plusieurs coups de couteau et il est encore inconscient, répondit le lieutenant. Nous aimerions en savoir plus, justement, c'est pourquoi je vous demande de bien vouloir venir demain jusqu’à l’hôtel de police. Vous demanderez le lieutenant Jamin. Ce… ce n’est pas une convocation, ajouta-t-elle d’un air conciliant, mais ça nous serait bien utile si vous pouviez nous aider à y voir clair.

- Oui, je comprends. Alors à demain matin, dit Pascal. Et il raccrocha.

Louise, qui avait entendu des bribes de la conversation, était blême.

- Nom d’un chien, dit-elle, tu crois que ça a quelque chose à voir avec le médaillon ?

- Je ne pense pas, dit-il en se levant avec un air grave. Nous verrons bien. Pour l'instant, ne disons rien sur ce bijou, il risquerait d'être mis sous scellés. Nous n'en parlerons que si ça devient vraiment nécessaire.

Louise acquiesça et remit son manteau. Pascal était devant elle au comptoir et réglait leurs consommations.

- Je te ramène chez toi ? demanda Louise qui voulait prolonger la présence de Pascal à ses côtés. Je suis garée juste là, au parking de la préfecture.

- Si ça ne te fait pas faire un trop gros détour, je veux bien : il ne fait vraiment pas chaud !

Ils se hâtèrent jusqu’à l’entrée du parking, le temps s'était considérablement refroidi. Louise frissonna. La nuit semblait plus noire et plus profonde qu'habituellement. L’air dans le parking souterrain leur parût presque tiède par comparaison à celui du dehors.

- Tu n'es pas obligée de venir, demain : la… heu lieutenante… lieutenant, enfin la policière, quoi, ne m'a pas parlé de toi, dit soudain Pascal.

- Non je préfère t'accompagner, je ne veux pas te laisser seul et puis, moi aussi, j'avais rendez-vous avec Sylvain. Je me sens un peu responsable. Je… j’espère qu’il va s’en sortir.

- Elle n’a pas eu l’air de dire que son état était critique, dit Pascal pour se rassurer.

Il ne leur fallut guère plus de dix minutes pour arriver devant l’immeuble de Pascal. Louise n’avait pas envie de simplement le déposer devant sa porte et de repartir seule vers sa résidence. Pourtant, elle savait qu’il n’oserait probablement pas l’inviter : le coup du « dernier verre », ce n’était pas trop son genre.

Elle fut presque contente de voir de la lumière à toutes les fenêtres du deuxième étage :

- Dis donc : c’est chez toi qu’il y a toutes ces illuminations ?

- Oh zut ! C'est quoi ce truc ? J’aurais peut-être pu en oublier une en partant, mais certainement pas tout laisser allumé en grand avant de partir. On dirait bien que j’ai eu de la visite.

- Je monte avec toi : on ne sait jamais.

- Attends : s’ils sont encore là, ça risque d’être dangereux…

- Encore plus si tu y vas tout seul.

- Bon, voilà ce qu’on va faire : tu vas te garer dans la rue derrière : ta voiture manque un peu de discrétion pour la laisser juste en dessous. Après, on va revenir à pied sur le trottoir d’en face, d’où on pourra voir une bonne partie de l’appartement. Tu appelleras mon numéro de fixe, et on verra bien si quelque chose bouge.

Il leur fallut quelques minutes pour garer la Mini dans une petite rue perpendiculaire à celle de Pascal. Revenus en face de chez lui, ils se dissimulèrent derrière un fourgon qui était stationné là, pensant que c’était sans doute le meilleur poste d’observation qu’ils pourraient trouver. Louise sortit son téléphone et composa le numéro du domicile de son ami. Les sonneries se succédaient sans qu’aucun signe de vie ne se manifeste dans l’appartement.

- Je crois que c’est bon, dit Pascal, il n’y a personne… enfin plus personne.

- Je viens quand même avec toi !

Ils s’engagèrent dans l’entrée de l’immeuble et gravirent en silence les deux étages.

- Reste un peu en retrait, souffla Pascal. Et puis ne fais pas attention au désordre, continua-t-il d’un air gêné… je ne savais pas que tu viendrais.

A pas de loup, il entra dans son appartement.

Tout était saccagé. Les tiroirs vidés sur le sol, les placards ouverts, ses vêtements répandus dans la pièce, même la petite cuisine semblait avoir été fouillée sans ménagements : des pâtes et du sucre jonchaient le carrelage.

Louise, qui était entrée peu après, lui demanda :

- Tu veux dire ce désordre là ? Je crois qu’il faut prévenir la police : rappelle cette lieutenant Jamin et dis-lui de venir voir. Je suis sûre qu'il y a un rapport entre ton cambriolage et l'agression de Sylvain.

Il acquiesça et appela le commissariat. Une dizaine de minutes plus tard, une voiture de police était arrêtée devant l'entrée.

Deux hommes en uniforme et une femme en civil sortirent du véhicule. Ils n’eurent pas besoin de sonner en bas, et leurs pas retentirent dans l’escalier.

Ils frappèrent à la porte et Pascal ouvrit.

- Bonsoir. Lieutenant Jamin, dit-elle en lui montrant sa carte professionnelle. Vous êtes Monsieur Fontanel ?

C'était une femme d'environ quarante ans, plutôt athlétique mais belle, les cheveux châtain clair et lisses ; elle avait un visage sympathique, sur lequel on devinait pourtant une certaine autorité naturelle.

- Oui, c'est moi. Des nouvelles de Sylvain ?

La policière entra et fit signe aux deux gardiens de la paix de jeter un coup d’œil dans l'appartement et aux alentours.

- Son état est toujours préoccupant et il est toujours sans connaissance. D'après les témoins de l’agression, un homme se serait jeté sur lui, l'aurait poignardé avant de prendre la fuite en boitant.

- En boitant ? s’exclama Louise, malgré elle.

La commissaire la regarda :

- Oui ? Mademoiselle ?

- Louise Robinson, j'avais rendez-vous avec Sylvain Delbarre en même temps que Pascal. Quand je suis rentrée du supermarché tout à l'heure, un homme a été percuté par le bus dans lequel je me trouvais, c'est… enfin, c’est peut-être juste une coïncidence, mais il a pris la fuite en boitant.

- Pourriez-vous l'identifier ? demanda la commissaire.

- Non, je ne pense pas : il faisait sombre et je n'ai même pas vu son visage.

- Lieutenant ! Venez voir ! s'écria un policier qui était retourné dans le couloir.

Le lieutenant Jamin avança vers lui. Pascal et Louise voulurent la suivre, mais elle leur fit signe de rester où ils étaient. Le policier en tenue lui désigna un recoin près des armoires à compteurs électriques.

Le corps d'un homme était allongé là, inanimé.

- Il a l’air un peu mort, commenta le gardien de la paix.

- Bon ! Eh bien voilà qui complique sérieusement notre affaire ! Nous voici maintenant avec un cadavre sur les bras, ou en tout cas ce qui en a tout l’air. Appelez la section d'investigation et du renfort pour interroger les voisins et boucler le périmètre. Moi, je retourne m'occuper des deux autres.

- Lieutenant, en cherchant ses papiers, je n'ai trouvé que ça sur lui ! annonça le policier en lui tendant une photo qu'il avait déjà pris soin de glisser dans une petite pochette en plastique.

La policière la récupéra. Elle réfléchit un moment, fouilla dans son sac à main et sortit son appareil photo numérique afin de faire un cliché du visage de l'homme.

Elle retourna dans la pièce où étaient restés Pascal et son amie.

- Mademoiselle Robinson, reconnaissez-vous cet homme ? demanda-t-elle en lui montrant la photo tout juste prise.

Louise observa la photo. Ses jambes tremblèrent en comprenant tout à coup ce que les policiers venaient de trouver. Elle secoua la tête en signe de négation. Elle avait beau chercher, elle ne le connaissait pas et ne se rappelait pas l'avoir déjà vu. Elle détourna la tête.

- Alors comment pouvez-vous m'expliquer que la seule chose que nous venions de retrouver sur lui soit ce portrait de vous, lui dit-elle en lui montrant la photo découverte sur l’homme du couloir, enveloppée dans sa pochette en plastique.

Louise sentait le sol se dérober sous ses pieds. Elle ne savait pas dans quoi elle était tombée, mais elle savait désormais qu'elle risquait sa vie et celle de Pascal. Ça ne pouvait pas être de simples coïncidences : l’agression de Sylvain, la fouille chez Pascal, l'homme dans le couloir…

- Je crois bien que je vais devoir vous demander de me suivre tous les deux au commissariat dès maintenant, afin de recueillir votre déposition lâcha le lieutenant Jamin sur un ton qui ne permettait pas le moindre refus.

lundi 24 janvier 2011

Chapitres 4 et 5

Les deux chapitres suivants sont assez courts : je vous mets les deux en une seule fois...

- Non, tu t'es assoupie seulement quelques minutes, le temps que je fasse à manger. Qu’est ce qu’il s’est passé ? C’était un cauchemar ? demanda Pascal.

Elle se redressa, prit un mouchoir et s’essuya les yeux.

- J'ai fait un drôle de rêve, commença-t-elle encore un peu secouée par la présence des images dans son esprit. Tout est parti de la photo : mon oncle était là, il me faisait signe… ça avait l'air tellement vrai ! Puis il embrassait la fille sur la photo, et ensuite ils ont eu peur de quelque chose ou de quelqu’un, je ne sais pas de quoi ; alors l'autre gars a crié, et ça a été la course dans une espèce de jungle ! Ils semblaient terrorisés. Je me demande si, finalement, tout ça ne cache pas un autre mystère.

Pascal restait sceptique.

- Oui, enfin, ça reste un rêve, et avec ce que tu as vécu ces derniers jours…

Mais Louise, piquée au vif, ne le laissa pas finir.

- Dis tout de suite que je perds la boule, protesta-t-elle.

Pascal la regarda étonné, ce n'était pas dans son genre de se mettre en colère si rapidement pour rien.

- Ne t'énerve pas, je n'ai pas dit ça ! se défendit-il.

Louise rougit, confuse de s'être laissée emporter si vite et lui sourit.

- Excuse-moi, tu as raison, je crois que je suis un peu à cran. Mais là, c'est autre chose, pas un rêve prémonitoire ou un truc comme ça, je n'y crois pas ! Mais plutôt un appel de mon cerveau : il doit trouver qu’il y a des choses qui ne collent pas dans tout ça.

- Là je suis d'accord avec toi ! Moi non plus, je ne pense pas que tout soit si simple. J'en suis persuadé depuis que tu m'as montré ce médaillon et cette photo.

Puis il réfléchit un moment, semblant écouter ses propres paroles.

- Que crois-tu que ça veuille dire ce « Cuneocardium » ? Ça te semble vraiment plausible cette histoire de clous ?

Louise fit la moue.

- Pas trop ! avoua-t-elle. Non, peut-être pas du tout, même.

- Tu as ton Netbook ? demanda Pascal, on pourrait faire une recherche sur Internet.

- Oui, bien sûr ! répondit Louise en allant le prendre dans ses bagages. Mais si tu n'y vois pas d'inconvénient, on pourrait aller manger d’abord. Je crève la dalle et les pâtes vont être froides !

- OK ! dit-il en la suivant dans la petite cuisine, j’ai fait un genre de carbonara avec le jambon coupé en petits morceaux et de la crème que j’ai trouvée dans le placard. Je t’ai pris des oignons frits, aussi : c’est pratique ces trucs là. Pour les endives, j’ai une bien triste nouvelle à t’annoncer : elles étaient trop fatiguées pour venir à notre table.

- Elles sont parties dormir dans la poubelle ? Tant mieux. Ça ne me disait rien.

Le plat de spaghetti, par contre, dégageait un parfum délicieux et aurait excité les papilles les plus blasées. Louise en salivait d'avance. Elle dévora le contenu de son assiette en laissant échapper des soupirs de contentement.

- C'est super bon ! félicita-t-elle son ami, la bouche pleine.

Les pâtes semblaient remplir petit à petit le vide qui s'était insinué dans son estomac ces derniers jours. Pascal lui sourit. Il aimait bien faire la cuisine et adoraient les personnes qui savaient apprécier les petits plats simples comme celui- là.

- Tu ne peux pas savoir à quel point tu m'as fait du bien, dit Louise en soufflant.

Éreintée, elle se laissa aller un peu plus sur sa chaise.

- Bon, voyons un peu ce que nous raconte la Toile, dit-elle en tirant le Netbook.

Louise aimait bien l’idée de pouvoir se brancher à Internet partout et n'importe quand. Elle appelait ça "ma grande encyclopédie du savoir mondial".

Quelques secondes plus tard, elle tapa Cuneocardium dans un moteur de recherche. La réponse apparut presque immédiatement :

"Aucun document ne correspond aux critères de recherche spécifiés (Cuneocardium)."

Pascal se pencha vers elle.

- Tiens ! Ça c'est curieux. Essaie avec d'autres moteurs.

Mais Louise eut beau tenter sur plusieurs, la même réponse revenait inexorablement : "aucun résultat".

Ils se regardèrent, perplexes.

- C'est peut-être un mot d’un dialecte local, proposa Louise, dans ce cas, Internet ne nous sera d'aucun secours ! Et Bruno Cart ? Qu’est ce que ça donne ?

Louise se remit au travail. Rien de très probant là non plus. Une ribambelle de Bruno en tous genres, des pilotes de kart, joueurs de poker ou de bridge ("Voulez-vous dire Bruno cartes ?"), mais rien qui semble se rattacher de près ou même de loin à leur énigme.

Ils restèrent un moment dépités, puis Pascal regarda sa montre.

- Bon sang, c'est déjà 23h00 ! Il faut que je rentre ! dit-il en se levant d'un bond.

Louise le regarda étonnée, en principe son ami ne se pressait pas autant d'habitude.

- Quelqu'un t'attend ? demanda-t-elle sur un ton qui n'arrivait pas à cacher sa contrariété.

- Mais non, tu sais bien ! dit-il en enfilant son blouson, mais demain, je dois aller chercher un groupe de rockeurs Estoniens à l’aéroport de Marseille à sept heures et quart.

- Et ils ne peuvent pas se débrouiller pour venir tous seuls jusqu’ici ? Tu es censé organiser des concerts, pas jouer les taxis longue-distance !

- Justement : tu sais combien ça coûte, un taxi depuis Marseille ? Si je vais les chercher moi-même, ça économise le taxi et l’acheminement de leur matos. J’irai avec le fourgon : ce n’est pas un très grand groupe, ils n’ont pas encore besoin de deux camions de trente-huit tonnes. On n’a quand même pas un budget illimité, et tout ce qui peut nous faire économiser trois sous est bon à prendre.

Elle hésita un moment, son cœur s'accéléra.

- En plus, j'ai pas envie de… commença-t-elle, oh, et puis non laisse tomber, merci d'être venu, t'es un ange. dit-elle le cœur lourd.

Pascal la regarda l'air intrigué.

- Tu sais, si tu ne te sens pas d'être seule cette nuit, je peux rester avec toi ce soir, ça ne me pose aucun problème. Par contre, il faudra que je parte très tôt demain matin.

Louise plongea ses yeux dans les siens, elle aurait bien voulu ! Mais Pascal aussi avait besoin de se reposer.

- Merci, mais ne te fais pas de soucis, ça va aller, je suis une grande fille et il ne peut rien m'arriver.

- Ok, c'est toi le chef répondit-il en riant.

Il déposa un baiser sur sa joue.

- Bonne nuit ma belle !

Il ouvrit la porte puis se retourna.

- Au fait, pour le pendentif, si tu veux, on peut le montrer à Sylvain, il pourrait nous dire si c'est de l'or ou du cochon.

- Sylvain ? Quel Sylvain ? demanda Louise étonnée.

- Sylvain Delbarre, tu sais : le frère de mon associé. Il dirige un labo de chimie des métaux, tu l’as déjà vu.

- Ah ! Oui, pourquoi pas... mais tu es sûr de lui ? hésita-t-elle. Je n’aimerais pas que le médaillon soit abîmé ou disparaisse, j'y tiens quand même un peu, tu sais.

Pascal sourit en la regardant.

- Bien sûr que je sais, et si je te le propose, c'est qu'il n'y a aucun risque venant de lui.

- Tu penses que tu pourras le voir demain ?

- Oui, normalement, en début d’après midi.

- Bon, je te le passe, mais tu lui répètes d’y faire attention, surtout !

- T’en fais pas ! Je te tiens au courant dès qu’il sait quelque chose, dit-il en l'embrassant une nouvelle fois. Bonne nuit.

Il tourna les talons et disparut dans le couloir.

Louise sentit comme un vide se recréer en elle, la présence de son ami la rassurait, mais le faire rester là présentait des risques à ses yeux : elle avait toujours eu un gros faible pour lui et ne voulait pas que les circonstances lui fassent avouer des sentiments dont elle n’était pas certaine qu’ils fussent partagés et dont elle ne pourrait peut être pas se défaire sans souffrance pour l'un ou pour l'autre.

(Chapitre 5)

Le lendemain, lorsque son réveil sonna, à 7h30, Louise sortit du sommeil avec la désagréable impression de n'avoir dormi qu'une petite demi-heure. Elle écrasa d'un bras rageur le bouton d'arrêt de la sonnerie. Puis émergeant petit à petit, bailla largement et s'étira de tout son long. Son sommeil n'avait pas été vraiment réparateur et son corps perclus de courbatures la faisait souffrir.

Bizarrement son esprit, lui, paraissait plus libre.

- Bon ! se dit-elle, aujourd'hui pas de conneries ! Le boulot en priorité !

Une douche, habillage rapide, petit déjeuner : Plus tôt elle se mettrait au travail, plus tôt elle aurait fini.

Pour la plupart des manuscrits qu’elle recevait, il n’était pas absolument nécessaire de lire l’intégralité des cinquante, cent ou deux cents pages, parfois plus, que comportaient les œuvres. Ça n’aurait de toute façon pas été possible à moins d’avoir des journées de soixante heures.

Les « écrits thérapeutiques », comme elle les appelait, étaient rapidement éliminés : un livre relatant en trente cinq chapitres pourquoi Gédéon Dugenou n’arrivait pas à prononcer le mot « ensoleillement » ou « carburateur » en présence de sa grand-mère moldave n’avait que peu de chances de devenir un succès de librairie. Les récits de suicides ratés ne présentaient pas non plus un très bon potentiel, même si les tentatives couronnées de succès ne valaient guère mieux. Ces dernières ne se différenciaient des autres que parce qu’elles n’étaient pas écrites à la première personne, en principe tout au moins. Dans tous les cas, Louise commençait sa lettre de refus par une formule du genre : « Récit trop personnel ne correspondant pas à notre politique éditoriale actuelle… ».

Les fautes d’orthographes n’étaient pas forcément rédhibitoires, en théorie tout au moins, mais il fallait bien reconnaître qu’à la longue, ça ne facilitait pas la lecture ! Même un très bon récit ne manquait pas d’être desservi par le désastreux effet de halo d’une dysorthographie trop insistante. On vit quand même à une époque où il y a des correcteurs d’orthographe, pensait-elle, ce n’est pas fait pour les chiens !

Mais ce qu’elle détestait par-dessus tout était le manque de syntaxe, l’ignorance des conjugaisons : ça devenait carrément douloureux à lire et elle ne se donnait alors pas la peine de dépasser la page cinq. Parfois, elle concédait un coup d’œil au milieu du document par acquit de conscience, mais c’était presque invariablement le même charabia. « Beaucoup trop d’erreurs de langage, nous vous invitons à revoir la forme de votre récit ».

Vers onze heures, son téléphone la prévint de l’arrivée d’un message. Louise tendit la main, ouvrit le capot et lut :

« Suis rentré de Marseille avec mes rockeurs. Ils dorment à leur hôtel. On déjeune tous les deux à la Grange ? »

Un grand sourire illumina son visage, ce petit message lui réchauffa un peu le coeur. Elle pressa le bouton répondre et composa à son tour :

« Avec plaisir ! Quelle heure ? »

La réponse ne tarda pas :

« 13 h : je passerai d’abord voir Sylvain pour lui confier le bidule. »

Elle eut encore le temps de survoler deux manuscrits : un polar lamentable où un « mystérieux homme en noir chargeait son revolver d’un rire sardonique » pour ensuite assommer ses victimes (féminines, comme par hasard !) avec une lourde massue, qu’il cachait probablement sous sa grosse veste (rouge sang, ça fait bizarre pour un homme en noir) en plein mois de juillet.

Rien à tirer de celui là !

Puis un récit plus intimiste sur une mère célibataire qui rencontre un exilé chinois dans un village de Vendée où elle était venue "se ressourcer". Pas mal : quelques maladresses, quelques problèmes de style, mais ça méritait qu’on s’y intéressât de plus près. Elle se promit de le reprendre dès cet après midi.

A midi quarante, elle sortit de chez elle pour aller retrouver Pascal dans le restaurant qu’il lui avait indiqué.

Dès qu'elle le vit, son coeur se mit à battre plus fort, un sentiment de légèreté l'envahit. Ce changement d'émotion la troubla, elle ne savait pas s'il était dû au relâchement du stress de la matinée, à l'envie de savoir si Pascal avait des résultats du médaillon ou si c'était son ami lui-même qui lui provoquait cet effet.

- Salut Pascal ! lui dit-elle en l'embrassant sur les joues, alors quoi de neuf ?

- Ciao, bella ! répondit celui-ci en lui lançant un clin d'œil complice.

Il était apparemment aussi content qu'elle de leurs retrouvailles.

- Rien de neuf sur le médaillon, continua-t-il. Je l'ai passé à Sylvain comme je t'avais dit hier soir, il m’a dit qu’il s’en occupait tout de suite et j'attends son coup de fil d'un moment à l'autre. Pour ma virée marseillaise de ce matin, rien d'extraordinaire non plus : mes rockeurs étaient complètement éteints : pas moyen d’en tirer trois mots de suite. J’espère qu’ils sont un peu plus vifs que ça en concert, sinon on pourra les garder pour des soirées « feu de camp limonade » ou des lotos du troisième âge. Et toi ?

- Ça va ! Je m'attendais à pire. Il y a un manuscrit pas mal du tout : il aura besoin d’être retravaillé un peu, mais je crois que celui là, il y aura quelque chose à en faire. Une mère isolée qui va passer des vacances en Vendée avec son fils de huit ans. Là, elle rencontre un exilé chinois avec qui elle a une aventure et qui lui fait rencontrer plusieurs personnes qui sont dans le même cas que lui… mais bon, je ne suis pas censée donner de détails sur les manuscrits que j’ai à lire.

- Ton patron craint que je pique les idées ? Ce n’est pas du tout ma branche, tu sais. Quand j’étais au collège, j’avais même du mal à faire des rédacs de plus de deux pages !

- Je sais bien. Enfin, dit elle en rougissant, je veux dire que j’ai confiance en toi.

- Et quoi d’autre ? Sans détails, bien sûr !

- Une biographie d’un teckel qui savait changer les chaînes de la télé et qui pleurait quand sa gamelle était vide : c’est presque amusant tellement c’est kitsch. Et puis un truc complètement ridicule sur un « tueur mystérieux » Ça, par contre, c’est mal écrit, c’est vulgaire et c’est farci de fautes.

- Tu lui as mis quoi comme motif de refus ?

- Quelque chose comme « Votre style est encore beaucoup trop maladroit », j’ai aussi écrit que les situations étaient trop improbables, les personnages incohérents, le niveau de langue terriblement faible et que la complaisance n’était pas vraiment ce que nous recherchions. C’est toujours un peu difficile d’annoncer à un auteur que son manuscrit est totalement nul, mais malheureusement, il y a des fois où on est obligé… Dans ces cas là, il vaut mieux prendre des gants, même si tout le monde ne se pose pas ce genre de questions.

- Tu signes toujours pareil quand tu renvoies tes appréciations ?

- Oui, toujours Christine Cellier. Il vaut mieux ne pas donner son vrai nom : on ne sait jamais comment ces gens peuvent réagir face à un refus. Mais d’un autre côté, c’est quand même plus personnalisé que de mettre un truc complètement anonyme comme « Le comité de lecture ».

La serveuse vint prendre leur commande. Ils choisirent tous les deux le plat du jour : un confit de canard avec un gratin dauphinois, qui convenait parfaitement au temps froid et sec de cette journée de fin d’hiver montpelliérain.

- Tu voudras du vin ?

- Non, mais de l’eau gazeuse, par contre…

La conversation continua un moment sur les auteurs et leurs rêves de notoriété, puis dévia sur les groupes de musique en tous genres et les contraintes des organisateurs d’évènements artistiques.

Ils en étaient au dessert lorsque le téléphone de Pascal sonna, l'écran affichait :

"Sylvain D".

- Tiens, on va peut-être avoir du nouveau ! dit-il à Louise dont les yeux brillaient d'impatience.

Une voix s'éleva du combiné, rapide, excitée :

- Pascal ? C'est Sylvain !

- Oui, je vois : ton nom s'affiche, tu sais ! Qu'est- ce qui t'arrive ? Tu as l'air tout affolé, demanda Pascal qui connaissait son ami comme quelqu'un de posé.

- Il vient d'où ce bijou ? demanda-t-il sans ambages.

- Ben… il est à Louise, je te l’ai dit, mais pourquoi ?

- Louise ? Louise Robinson, ta copine qui travaille chez un imprimeur, c'est ça ?

- Un éditeur. Oui, pourquoi ? interrogea Pascal en appuyant sur la touche du haut parleur de son téléphone afin que Louise soit en mesure d’entendre aussi.

- J’ai commencé par les mesures classiques : pas de présence de fer ni rien de ce genre. Jusque là, tout est normal. Là où ça devient plus curieux, c’est que je viens de faire des analyses avec le Spectromax : c’est un genre de spectromètre spécifique pour les métaux. Il faudrait qu'on se voie, c'est… très étonnant. J’ai d’abord cru que je m’étais trompé, alors j’ai recommencé, mais il n’y a pas d’erreur : le métal de ce pendentif ne correspond à rien de ce que je connais, enfin, rien de ce que connaît l’appareil.

- Mais… Qu’est ce qui se passe ? s'affola Louise.

La réponse de sylvain tomba, directe :

- Ton bijou n'est fait dans aucun métal connu sur terre !

Pascal et Louise restèrent un moment sans voix.

- Tu plaisantes, là, non ?

- Bon, j’exagère peut-être un peu, mais je te promets que les appareils que j’ai utilisés ne reconnaissent pas le métal de ce bijou. Après avoir utilisé le Spectromax, j’ai voulu vérifier avec le Spectro-Isort, c’est un autre appareil, plus léger, qu’on utilise habituellement en dépannage, ou alors quand la pièce à étudier est trop petite pour pouvoir être traitée par l’autre appareil. Et là, ça donne exactement le même résultat. Tu m’entends toujours ?

- Oui, oui, bien sûr je t'entends, mais…mais ce n'est pas possible : tu es sûr de ne pas t'être trompé ? Tes machines ne sont pas détraquées ?

- Non, non ! Impossible ! J'ai refait les mesures trois fois avec l'assistante du labo, on a utilisé deux appareils différents. On a essayé la voltamétrie, aussi. Tu verras : aucun doute possible, même avec l'analyse spectroscopique, ça ne trouve rien de connu !

Louise regarda Pascal d'un air intrigué.

- Bon, ok ! Quand est-ce qu'on peut se voir ? Ce soir, c’est possible ? proposa Pascal.

- Ce soir, très bien, je passe chez toi ! confirma son copain. Dis, Pascal : c'est la découverte du siècle, nous allons être célèbres !

Seul dans son laboratoire, Sylvain prit une liasse de feuilles pleines de courbes et de formules sur sa paillasse, mit le médaillon dans la poche de sa blouse et sortit de la pièce.

Il était à peine sorti, que son assistante, qu’il croyait être partie déjeuner depuis presque un quart d’heure, se faufilait dans le laboratoire par la petite porte de la réserve, qui était restée entrebâillée.

C’était une grande rousse au regard froid. Elle se pencha sur l'ordinateur, transféra sur une clé USB les données qui l'intéressaient et effaça le contenu des fichiers sur le disque dur. Puis elle décrocha son téléphone portable, composa un numéro et parla d'une voix sèche :

- Maître Yboulados avait raison : le Disque de Zaarm existe toujours, et il cherche à nous rejoindre,… non, aucun doute : le métal plus pur que le jour, les mots des premiers temps… tout concorde. Oui… oui, une certaine Louise Robinson et son ami : Pascal Fontanel,… récupérer le disque… oui…

La fille blêmit.

- … se débarrasser d'eux ! Mais pourquoi ?... Non bien sûr, ça ne doit me poser aucun problème... Très bien.

Elle raccrocha.

à suivre...

lundi 17 janvier 2011

Chapitre 3

Avec l'arrivée du curé, des effluves de chou bouilli, d’ail et de mouton grillé s’échappèrent de la maison. Il venait probablement de finir de manger.

- Hé ! Bonjour Louise, Quel plaisir de te voir ! Qu’est ce qui me vaut l’honneur de ta visite ?

- J’ai trouvé deux ou trois bricoles dans les affaires de mon oncle. J’ai pensé qu’elles pourraient vous intéresser…

- C’est bien gentil à toi ! Ce sont… heu, ces choses là ? Attends, je vais t'aider, dit-il en lui prenant les livres et la soutane. Tu prendras bien un petit café avec moi ?

- Je n'ai pas beaucoup de temps, mais après tout, oui, pourquoi pas, répondit Louise qui sautait sur l'occasion de pouvoir engager la conversation avec le vieux curé.

Ils échangèrent quelques banalités sur les années qui passent si vite, sur la météo déplorable, puis, l'odeur du café ayant avantageusement remplacé celle du chou, la conversation prit un tour plus personnel : le curé lui parla de son oncle Germain, de sa grand-mère qui avait heureusement la tante Yvonne à ses côtés. Louise profita de cet instant pour lui montrer la photo qu'elle avait trouvée.

- J'ai découvert ça dans les affaires de mon oncle, dit-elle en lui montrant. Je me disais que si c'était des amis à lui, il serait peut être… judicieux de les prévenir de son décès. Vous les connaissez ?

Le curé prit l'image, se mordit les lèvres et sembla réfléchir un moment puis secoua la tête en signe de dénégation.

- Non, je ne les connais pas, dit-il plutôt sèchement, je suis désolé. Et il lui rendit la photo.

- Ah bon ? dit Louise, embêtée. Je pensais que, comme vous connaissiez bien mon oncle… C'est étrange, se hasarda-t-elle, mais regardez là ! Ce médaillon que la jeune fille porte, j’ai l’impression qu’il me dit quelque chose. Cela ne vous rappelle-t-il vraiment rien ?

Le père Bourret ne prit même pas la peine de regarder à nouveau le cliché, il repoussa la main qu'elle lui tendait.

- Non, rien du tout, je te l'ai dit, je ne connais pas ces personnes, ni quoi que ce soit de cette vieille photo. Maintenant, excuse-moi : je ne voudrais pas te paraître impoli, mais je dois travailler, dit-il rapidement.

Sur ces mots, il se leva, montrant clairement que l'entretien était terminé, et la raccompagna jusqu’à l’entrée du presbytère.

Louise fut un peu décontenancée par ce revirement si soudain d'attitude : on n’invite pas les gens à prendre un café pour les congédier précipitamment au bout de quelques minutes ! Et d’ailleurs, quel genre de travail si urgent un curé de campagne pouvait-il avoir ?

Pourtant, lorsqu'ils arrivèrent à la porte, le Père Bourret affichait à nouveau une mine souriante comme si de rien n'était.

- Bon, hé bien voilà ! Merci encore pour les livres et la soutane ! Rentre bien et fais bien attention à toi ! dit le gros ecclésiastique.

Louise remonta dans sa voiture, un peu abasourdie par cette discussion et l'attitude étrange du vieux curé. Elle était persuadée qu'il lui cachait quelque chose.

Elle mit le moteur en route, récupéra son oreillette sur le tableau de bord en bois verni et chercha rapidement un numéro de téléphone dans son répertoire. Elle voulait pouvoir parler avant que les montagnes ne coupent la communication téléphonique. Le téléphone sonna à l'autre bout…une fois…deux fois…trois fois…

- Allez, bon sang, décroche !! s'énerva-t-elle.

Mais la messagerie se déclencha :

- Bonjour, vous êtes bien sur le portable de Pascal, je ne suis pas joignable pour l'inst…

Elle raccrocha. Pas envie de parler à un répondeur téléphonique ! De toute façon, elle arrivait dans une zone où il n’y avait pratiquement pas de réseau.

Elle aurait voulu dès maintenant faire part de toutes ses interrogations à Pascal, et peut être avoir des débuts de réponses. Pourquoi le curé lui avait-il menti ? Pourquoi son oncle cachait-il cet objet ? Qui étaient les personnes de la photo ?

Elle sentait le contact tiède du pendentif sur sa poitrine. Elle ne savait pourquoi, mais il avait quelque chose de rassurant.

Elle se concentra sur la conduite, la route risquait d’être glissante par endroits, et même si la Mini avait une excellente tenue de route, elle savait qu’il valait mieux être prudente. Les gens du coin ne manquaient pas d’anecdotes à propos d’automobilistes ayant quitté la route en hiver : si certains avaient pu rejoindre un village ou attirer l’attention d’un autre conducteur, quelques uns n’avaient pas eu cette chance et n’avaient été retrouvés, congelés, que plusieurs semaines plus tard. Les moins distingués avaient même commencé à dégeler, ce qui n’arrangeait pas leur aspect.

Ce n’était pas une perspective très tentante.

Le paysage défilait, magnifique. Les arbres enneigés brillant sous les rayons du soleil lui offraient un véritable décor de carte postale. Mais Louise n'avait pas la tête à admirer les miracles de la nature : elle était concentrée en priorité sur sa conduite, même si en toile de fond c'était toujours les mêmes questions qui venaient la hanter. À son arrivée sur Montpellier, le ciel se parait de couleurs plus sombres, annonçant la tombée de la nuit. Louise était lasse, la tension du voyage l'avait exténuée. Elle gara rapidement sa voiture au parking de la résidence et monta chez elle. Pour le courrier, elle verrait ça demain matin !

Elle habitait dans une petite copropriété agréable, bien entretenue, ses voisins étaient gentils et discrets, que demander de plus ?

Elle engagea la clé dans la serrure et tourna.

- Oh merde ! … chuchota-t-elle.

La porte n’était pas verrouillée !

Elle ouvrit prudemment le battant, se demandant si elle n'allait pas retrouver son appartement dévasté par des cambrioleurs.

Elle ne voyait pour l’instant que la commode de l'entrée, mais celle-ci ne semblait pas avoir été ouverte.

Elle avança encore un peu, le salon paraissait net, comme elle l'avait laissé six jours auparavant. Tout était là, les cadres droits, les meubles, la chaîne stéréo, la télé. Louise se détendit un peu, après tout, ce n'était pas dans ses habitudes, mais elle avait peut-être tout simplement oublié de fermer à clef !

Dans le doute, elle se saisit tout de même du premier objet contondant qui lui tomba sous la main : un parapluie de golf qu’elle avait laissé dans l’entrée. Pas terrible, mais ce serait toujours mieux que rien en cas de besoin.

Elle passa franchement la porte et vit, dans le contre jour de la cuisine, une silhouette armée d’un rouleau à pâtisserie qui se précipitait sur elle en criant :

- Qui est là ?

Elle poussa un hurlement, et ouvrit involontairement le parapluie.

- Pascal ? C’est toi ? demanda-t-elle étonnée, en baissant le parapluie. T’es complètement malade ! Tu m'as fait une de ces peurs !

- C’est toi, Louise ? Toi aussi, tu m’as fait peur. Je ne t'avais pas entendue arriver : j’ai cru que c’était un rôdeur, ou je ne sais quoi. Désolé !

- Mais ?...Qu’est ce que tu fais ici ? demanda la jeune fille.

- Ben j'ai eu ton message ! expliqua-t-il, enfin ton appel en absence, plutôt. Alors je suis venu. J'ai pris la clé que tu m'avais passée pour venir arroser tes plantes. Et j'ai décidé de t'attendre.

- Mais pourquoi ne m'as-tu pas rappelée ? demanda Louise en accrochant son gros manteau et son écharpe à la patère de l'entrée.

- J'ai essayé ! Plusieurs fois, même ! Mais je n'avais que ta messagerie.

- Je devais être dans les montagnes : il n’y a pas de réseau, là haut. Mais c'est bizarre, ça aurait dû me signaler tes appels plus tard : le réseau est bon après Alès.

Elle sortit son portable de sa poche et l’examina.

- Oh zut : la batterie ! Elle est naze ! dit-elle.

- Normal : ça consomme toujours beaucoup plus quand le réseau est faible.

Sans attendre davantage, elle brancha le chargeur et appela la messagerie.

- Alors ? Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda Pascal, raconte !

Mais Louise ne répondit pas tout de suite, elle souriait en écoutant son téléphone. Pascal lui avait laissé au moins une demi-douzaine de messages, tous plus angoissés les uns que les autres. Elle était très touchée qu'il se fût inquiété ainsi.

Elle finit tout de même par poser le combiné et l'embrassa sur la joue.

- T'es un amour ! lui déclara-t-elle sans détour et je suis sûre que la femme qui partagera ta vie sera la plus heureuse du monde.

Pascal rougit un peu du compliment, mais ne dit rien.

- Tiens, j'ai ça pour toi, lui dit-elle tendant le casque colonial.

- Oh ! Merci ! dit-il en scrutant l'objet sous tous ces côtés. Mais où as-tu trouvé ça ? s'étonna-t-il. C'est un vrai, pas un truc pour touristes hein ? On dirait celui de Tintin quand il est au Congo…

Amusée par cette remarque qu’elle aurait pu prédire, Louise acquiesça de la tête.

- Assieds-toi, j'ai plein de choses à te raconter.

L'air intéressé, Pascal prit une chaise.

Louise lui raconta tout depuis le début : les dernières volontés de son oncle, l'incinération, la préparation de la purée de bananes, le goûter géant au rythme de la salsa, la rapide exploration de la malle, les affaires de son oncle, le casque qu'elle venait de lui donner.

Et puis aussi le petit globe qui lui avait tant plu et qu’elle considérait déjà, avec ce qu’il avait contenu, comme son héritage.

Elle le sortit de ses bagages et le lui montra, ainsi que le plan et la photo. Pascal saisit les objets un à un, les regarda avec intérêt. Il semblait passionné par cette histoire et par ces reliques, témoignages du passé et de la vie hors du commun qu’avait eu l’oncle Germain.

Puis, elle en arriva bien sûr au pendentif : le clou de son récit et le point culminant de ses interrogations.

Elle le détacha de son cou et lui tendit le bijou. Pascal le prit dans ses mains et l'observa longuement, semblant réfléchir.

- C'est un très bel objet en tout cas : très sobre, et en même temps il a l’air d’avoir été façonné avec le plus grand soin. Les caractères sont d’une netteté étonnante, pour leur taille. Tu crois qu'il a de la valeur ? On dirait de l'argent, non ?

- Je ne pense pas, dit Louise, l'argent aurait noirci. Là on croirait qu'il est neuf ! J'ai pensé à de l'or gris, mais, ça ne colle pas vraiment non plus, il serait plus patiné que ça. Quant à de l’inox, ça m’étonnerait franchement : les bijoux en acier ne sont en général pas si élaborés.

- On pourrait demander à un bijoutier, proposa Pascal, il saura sûrement te dire si c’est quelque chose de précieux ou pas !

- Non, j'ai pas envie… j'ai pas trop confiance en eux, il va me répondre que ça ne vaut rien et essayer de me vendre un des siens. De toute façon il n'y a pas de poinçon !

Louise fit la grimace.

- Et puis il n'y a pas que ça qui me gêne. L'attitude du Père Bourret, le curé de Saint Gouzy, m'a vraiment troublée : ce brusque revirement de comportement lorsque je lui ai montré la photo, c'est presque un aveu qu’il sait quelque chose qu’il ne veut pas me dire ! Et puis pourquoi enfermer ce médaillon dans un globe, c'est bien une cachette, non ?

- Peut-être pour sa valeur tout simplement ! proposa son ami.

- Et le message sur le papier ? Tu ne vas pas me dire que c’est à cause de son prix, quand même ! Et puis qui est cette fille qui le porte sur la photo ? Il y a bien une relation entre cette fille, le pendentif et mon oncle ! Je suis presque sûre que cet hypocrite de curé m’a caché quelque chose !

Louise se leva, et tout en faisant les cent pas autour de la table du salon, elle exposa sa théorie à son ami :

- Je suis certaine, enfin presque certaine, que mon oncle et cette fille ont eu une relation amoureuse. Il n’a pas toujours été curé, quand même. Et d’ailleurs, j’ai cru comprendre que même quand il est devenu prêtre, ça ne l’empêchait pas de vivre une vie heu… normale. Mais ça, son collègue curé n’avait pas envie d’aller le raconter.

La solution prenait forme dans son esprit, Louise continua de plus belle.

- Puis, ils ont rompu, peut être à cause des vœux de mon oncle envers l'église, ou alors plutôt à cause du troisième personnage sur la photo, ou alors les parents de la fille… enfin je ne sais pas, mais il devait y avoir une bonne raison. Et comme il voulait garder quelque chose d'elle, elle lui a donné le pendentif. Lui, il l'a caché dans le globe pour que personne ne le trouve. C’est pour ça qu’il y a ce mot bizarre derrière la photo : "cuneocardium"… c’est parce que ça lui transperce le cœur de la quitter.

- Et le message ? demanda Pascal.

- Le message, Eh bien c'est les "Temps premiers"de leurs amours, bien sûr, et "Her.MMM" c'est son nom ! "Her" comme Hermine… heu enfin, un prénom de fille de son époque quoi ! dit-elle triomphante. Et les trois M, c’est quelque chose comme « Je t’aime majuscule ».

- Mmouais… admit Pascal, quand même un peu dubitatif. Plutôt comme Herman, qui doit vouloir dire Germain, non ?

- Mais oui ! Que je suis bête ! C’est un cadeau qu’elle lui a fait. "Her" doit vouloir dire Germain. Elle est sans doute espagnole, ou sud américaine, plutôt. Donc c’est elle qui aurait écrit ça pour lui dire à quel point elle l’aimait. Et "Bruno Cart", c’est peut être le troisième personnage, le barbu.

Louise était satisfaite : cette hypothèse la soulageait. Plus de questions qui risquaient de venaient la hanter : le médaillon était tout simplement un souvenir d'une belle histoire d'amour et elle était, de ce fait, encore plus contente de le porter. Elle le savait, elle était sûre maintenant ! Mais elle ne dirait rien à Mamie-Lu ni à tante Yvonne, ce n'était pas la peine : si Germain voulait garder le secret, elle ne le trahirait pas !

- Ouais, possible concéda Pascal toujours aussi peu convaincu. Tu as vu ? Ça tourne ! demanda-t-il.

Louise fit signe que oui.

Pascal faisait pivoter les deux cercles.

- Toutes ces graduations, ces traits, ça ressemble autant à un instrument de mesure qu'à un bijou ! Et puis ces signes ! Ça ressemble à des lettres, quelque chose d’un alphabet ancien, mais ça ne me rappelle rien que je connaisse. Il est vraiment bizarre ce truc !

Epuisée, Louise n'écoutait que d'une oreille les remarques de son ami.

- J’ai un sacré creux, dit-elle, ça te dit de manger avec moi ?

Pascal releva la tête, lui non plus n’écoutait pas vraiment, plongé dans ses interrogations.

- Hein ? Ah… oui, pourquoi pas ? Tu veux de l'aide ? avait-il demandé tout en se dirigeant vers la cuisine.

Louise lui sourit, trahissant une amitié un peu ambiguë. Pascal ne sembla pas s'en apercevoir.

Il la regarda en souriant à son tour.

- Tu as l'air complètement crevée, assieds-toi un moment, je m'occupe de tout !

Pascal fouilla rapidement dans les réserves et proposa :

- Endives au jambon et pâtes ! Ça te dit ?

- D’accord, mais sans les endives. Ou alors en salade.

- No problemo ! Des pâtes au jambon et une salade d’endives, ça marche !

Louise s'allongea sur le canapé. Ses jambes étaient en coton. Trop d'émotions dans la même journée pensa-t-elle.

Elle regardait machinalement la photo de son oncle posée sur la table. Il lui souriait et lui fit signe de la main. Puis elle le vit bouger, il enlaça la jeune fille à ses côtés et l'embrassa. Son copain les regardait faire, un sourire bienveillant aux lèvres. Lorsque d'un seul coup son visage changea d'expression. Il semblait alarmé et se mit à crier :

- Attention, ils arrivent ! Germain, Aliette, dépêchez-vous, fuyez, vite ! Je les retiens.

Germain et la fille, terrorisés s'étaient mis à courir comme des fous dans la jungle, se tenant toujours par la main.

- Louise ! Louise ! criait son oncle en se retournant vers elle.

Louise faisait des efforts désespérés pour lui répondre, elle criait, mais il ne paraissait pas l'entendre. Elle essayait de courir derrière lui, mais ses jambes étaient en plomb et bougeaient au ralenti. Ils s'éloignaient de plus en plus d'elle.

- Louise ! entendit-elle encore une fois, mais avec la voix de Pascal.

Louise ouvrit les yeux : elle était chez elle, en sueur, son coeur battait à tout rompre, comme si elle venait de faire une course effrénée. Pascal se tenait près d’elle et lui caressait le visage.

- Je suis là, Louisette, ne t'inquiète pas, ce n'était qu'un rêve.

Tiens ! Lui aussi l'appelait Louisette ! C'était bien la première fois !

Louise lui sourit et se blottit contre lui. Elle sentait son doux parfum et le contact chaleureux de sa peau la rassurait.

- Ça fait longtemps que je dors ? demanda-t-elle ?


à suivre...