Louise et Pascal le regardèrent, avides d'en savoir plus. Le professeur Campagnolo sembla s'en apercevoir et se mit en devoir de satisfaire leur curiosité.
- L’ordre des Chartreux est sans doute l’un des plus anciens de la chrétienté : Il a été fondé en 1080 et quelque par un certain Bruno, originaire de Cologne, mais qui avait enseigné pendant plusieurs années à l’école cathédrale de Reims.
- Il enseignait quoi ? demanda Pascal, curieux.
- Pour autant que je sache, il avait été "précepteur de lettres séculières et divines", ce qui veut dire qu’il enseignait à peu près tout ce qu’on pouvait enseigner à cette époque. Puis, sans doute a-t-il souhaité se retirer du monde, toujours est-il que sur les conseils d’Hugues de Châteauneuf, l’évêque de Grenoble, il a choisi cet emplacement, perdu au fond d’une vallée, justement parce qu’il était à l’écart de tout. Il s’est installé là avec six compagnons, vous m’excuserez si je ne suis pas capable de vous citer leurs noms.
- Je crois qu’on ne vous en demande pas tant ! intervint Louise.
Le professeur se gratta le menton, assez fier de son exposé.
- Mais quel est le rapport avec votre médaillon ? demanda-t-il, voyant bien que la question était liée.
- J'ai trouvé un message de mon oncle avec le médaillon qui disait quelque chose comme : « Temps premiers, Bruno.Cart. ». Il était aussi question d’un « illustre artisan ».
- Oh ! Ça, c’est tout autre chose : celui qu’on appelait l’Illustre Artisan, c’était Héphaïstos, Vulcain, si vous préférez. Les grecs l’appelaient parfois "klutotékhnês", ce qui veut justement dire l’Illustre Artisan. Mais j’avoue que j’ai un peu de mal à voir un rapport entre Héphaïstos et Bruno le Chartreux… et puis Vulcain est traditionnellement représenté à proximité de volcans, comme son nom l’indique, pas dans des massifs calcaires comme la Chartreuse !
Louise réfléchissait. Ce nom lui évoquait quelque chose, mais elle n'arrivait pas à saisir quoi. Un drôle de sentiment de déjà vu, mais sans qu'elle ne puisse mettre véritablement la main dessus.
- Un petit expresso ? demanda le professeur en se dirigeant vers sa cafetière automatique. Depuis que j'ai goûté à ces dosettes, dit-il avec son large sourire, je ne peux plus m'en passer ! Un comble pour un homme comme moi qui n'en avait jamais bu auparavant !
Il leur présenta une sorte de carnet détaillant la nature et le goût de chacune des dosettes, en fonction de la couleur de l’emballage. Les deux jeunes gens avaient l’impression qu’il leur tendait un menu de restaurant.
Ils firent leur choix et Moïse Campagnolo sembla ravi de faire marcher sa cafetière, comme s’il s’était agi d’un jouet qu’il adorait. Encore un sujet d’enthousiasme pour ce bon vieux professeur, pensa Louise. Il doit pouvoir se nourrir presque exclusivement de Kinnie et d’expresso !
Le repas fini, ils prirent congé du professeur Campagnolo qui leur promit de les tenir au courant dès qu'il en saurait plus sur les mystérieuses écritures du médaillon. Ils quittèrent le chemin privé de la maison et retrouvèrent la route de Montpellier.
- Eh bien, on tient enfin une piste ! s’exclama Louise après qu’ils eurent roulé quelques minutes. Je ne sais pas si mon oncle a été chartreux, probablement pas : il était trop remuant pour ce genre de vie, mais il a peut être eu des contacts…
- Où crois-tu que nous pourrons en savoir plus sur ce Bruno le Chartreux ? demanda Pascal.
- On pourrait commencer par des recherches sur Internet, tout simplement, et en fonction des résultats, peut-être aux archives de la Grande Chartreuse justement.
- Houlà ! Tu veux dire qu'on va aller là haut ?
- Je ne sais pas, répondit Louise pensive. Pourquoi pas ? Ça doit faire… quoi ? Trois heures, trois heures et demie de route. On verra ça demain.
Ils arrivèrent sur Montpellier vers quatre heures et demie ; la circulation y devenait dense, comme tous les après midis, les plongeant dans d’inextricables bouchons.
- Bon, j'espère que mon appartement n'a pas subi le même sort que le tien ! dit Louise, se souvenant de leur départ de la veille.
- Ah oui, zut ! J'avais oublié tout ça, dit Pascal en faisant la grimace.
- Tu crois vraiment qu'on ne risque plus rien ? demanda Louise.
- Je ne sais pas… j'aimerais en être aussi sûr que cette Madame Jamin.
Puis il hésita, semblant chercher les mots.
- Tu ne crois pas qu'on devrait encore rester ensemble quelques jours ?
Louise sourit intérieurement, elle n'avait pas osé le lui proposer, mais elle non plus n'était pas convaincue par les explications de la policière.
- Si, bien sûr. Je souhaitais même que tu me le demandes avoua-t-elle.
Pascal la regarda, apparemment soulagé lui aussi.
- On passe chez toi, récupérer tes affaires et après, tu viens habiter quelque temps à la maison, c'est plus grand et on y sera plus à l'aise, non ?
- Oui, sourit Pascal.
Ils arrivèrent devant son immeuble. Louise se gara et ils montèrent à son étage.
Les policiers avaient bien refermé la porte à l'aide des clés que Pascal leur avait confiées avant de se rendre au commissariat, mais ils n’avaient pas fait le ménage et toutes les affaires jonchaient encore le sol. Il fit la grimace et sembla contrarié.
- Allez, dit Louise qui s'en était rendu compte, on met un peu d'ordre là-dedans, je te file un coup de main. Là je sens que l'œil expert d'une fille te sera d'un grand secours ! dit-elle en riant pour détendre un peu l'atmosphère.
- Oui, merci, répondit Pascal, tout de même bien ennuyé. Oh, punaise ! Mes Tintin !
Les albums, sans doute des éditions originales, pensa Louise, avaient tous été fouillés et jetés en vrac sur le sol, la couverture de certains d’entre eux s’étant même détachée des pages.
Ils s’appliquèrent à tout ranger dans l’appartement, remettant en place tous les objets qui avaient été malmenés. Le cambrioleur avait tout renversé consciencieusement, sans rien dérober d'autre que la photo de Louise. Ils en étaient maintenant tout à fait convaincus : il cherchait quelque chose et cette chose ne pouvait être que le médaillon, cela leur semblait évident.
Pascal mit quelques vêtements dans un sac et ils refermèrent la porte derrière eux, laissant l'appartement enfin en ordre.
Ils remontèrent en voiture. Sur le siège passager, Pascal restait pensif, son sac sur les genoux. Elle ne savait que lui dire. Son ami poignardé, son appartement dévasté, tout ça pour un pendentif dont elle ignorait à peu près tout, si ce n’est qu’il avait appartenu à son oncle ! Elle était loin de se douter, lorsqu’elle l’avait découvert, qu’il aurait un tel impact sur leurs vies. Elle s'en voulut un peu.
Elle allait tourner à droite pour prendre l’avenue de Toulouse, lorsqu'elle remarqua dans son rétroviseur une voiture blanche qui semblait les suivre depuis qu'ils étaient partis de chez Pascal. Elle arriva jusqu’au rond-point du « Grand M », au centre duquel un assemblage de poteaux cassés tentait de se faire passer pour une œuvre d’art, fit deux fois le tour du rond-point et jeta un coup d’œil dans le rétroviseur : la Clio blanche les suivait toujours. Cette fois, le doute n’était plus permis : ils étaient suivis.
Elle retourna brusquement sur l’avenue de Toulouse, revenant sur ses pas.
- Hé, mais qu'est-ce que tu fais ? demanda Pascal.
Mais Louise ne lui répondit pas tout de suite, les yeux rivés sur la route et son rétroviseur central, elle accéléra, prenant de plus en plus de vitesse, puis elle freina brusquement et tourna à droite au feu.
La Clio était toujours derrière.
- Mais arrête, lui lança Pascal, qu’est-ce que tu fabriques ?
- Jette un œil derrière : on nous suit, dit-elle !
Pascal regarda. La voiture blanche était là, à une cinquantaine de mètres.
- La blanche, là ? Tu es sûre ? Depuis quand ? paniqua-t-il.
- Depuis chez toi ! se contenta de répondre Louise, concentrée sur sa conduite et sur les dangers de la rue.
Elle accéléra encore plus, elle voulait les semer dans les petites rues. Elle avait passé son permis dans ce quartier de Montpellier à peine cinq ans plus tôt, et elle connaissait bien les ruelles. Par ailleurs, la Clio était probablement plus puissante que la Mini et aurait vite fait de les rattraper sur une route trop dégagée. Sur un parcours sinueux, par contre, c’était Louise qui avait l’avantage.
Mais les poursuivants s'accrochaient à elle comme des puces à un chien. Par ailleurs, se voyant repérés, la discrétion n’était plus nécessaire. Ils avaient donc accéléré et n’étaient plus qu’à une vingtaine de mètres.
- Punaise ! Ils insistent ces enflures ! lâcha Pascal qui se retournait sans cesse.
- Oui et je ne pense pas qu'ils se contenteront de nous suivre. Ils essaient de nous remonter, s'ils nous rattrapent, j'ai bien peur que nous n’ayons droit à de sérieux ennuis, rajouta Louise.
Elle était bien décidée à ne pas se laisser rattraper.
Elle tourna pendant plusieurs minutes dans les ruelles du quartier Croix d’Argent, sans pour autant réussir à distancer suffisamment la Clio. Elle avait l'habitude des routes sinueuses des Cévennes et comptait bien profiter de cet atout. Malheureusement, ses poursuivants semblaient eux aussi familiers de ce genre de conduite.
Elle crût un instant s’être débarrassée d’eux, mais la voiture blanche réapparut derrière elle à l’instant même où elle commençait à se détendre.
Elle traversa en trombe un parking au milieu d’un groupe d’immeubles récents et évita de justesse une petite Peugeot verte qui sortait en marche arrière d’un stationnement. Quelques secondes plus tard, elle entendit un bruit de collision, et Pascal, toujours retourné, annonça :
- Je crois que c’est gagné : ils viennent de se prendre la 104 qui démarrait !
Louise laissa échapper un soupir de soulagement.
- Bon sang, j'ai bien cru que je n'y arriverais jamais !
- Je n’aurais jamais pensé que tu conduisais comme ça !
Louise le regarda et sourit.
- Tu crois que c’est réservé aux mecs ?
- Non, mais si tu me refais ce coup là, je vais peut être passer mon permis, je me sentirais plus en sécurité…
- Pfff ! Ca ne vaut même pas la peine de répondre !
Elle changea encore de direction quelques fois, pour s'assurer que personne d'autre ne les suivait et remonta vers l’avenue de Toulouse avant de se diriger vers chez elle.
- Bon, on a eu de la chance cette fois ci, mais ça soulève un gros problème : qu'est-ce qu'on fait ce soir ? Qui c'était, ces gugusses ? Ils ne voulaient sûrement pas nous demander leur chemin !
- J'appelle le lieutenant Jamin : il faut lui en parler. Il décrocha son téléphone et ne tarda pas à avoir le commissariat. La voix de Carole Jamin résonna dans le combiné. Pascal lui raconta ce qui venait de se passer et lui fit part de leur intention d'habiter chez Louise.
- J'envoie rapidement une patrouille sur les lieux, en espérant que vos agresseurs seront encore là, dit elle. D’après ce que vous me dites, leur véhicule devrait être immobilisé. Rentrez chez vous sans crainte, je vais tâcher de trouver des effectifs pour faire surveiller discrètement votre appartement.
Ils ne tardèrent pas à arriver devant l'immeuble de Louise. Elle gara sa voiture dans le parking et ils montèrent jusque chez elle.
Là, aucune surprise ne les attendait. Louise jeta son sac sur la table. Elle souffla, soulagée d'être dans un endroit familier réconfortant et s'affala dans son canapé.
- Quelle journée ! Ca m’a donné faim, tout ça. Pas toi ? demanda-t-elle.
- On se commande une pizza ? proposa-t-il.
- Ok ! répondit Louise en s'emparant du téléphone.
Elle commanda une « quatre fromages » et laissa l’adresse ; le marchand lui assura qu'elle serait livrée d'ici une vingtaine de minutes.
- J'ai juste le temps de prendre une douche dit-elle, je me sens crasseuse ! Elle faisait comme si de rien n'était, mais la course poursuite l'avait vraiment perturbée et elle voulait se décharger du stress accumulé. Elle passa dans la salle de bain et se dévêtit. Elle retira le médaillon de son cou et le regarda.
- Merde alors ! Dans quoi tu nous entraînes toi ! lui demanda-t-elle comme s'il pouvait l'entendre.
La douche lui fit du bien. Elle se sentait plus détendue, relativisant quelque peu les ennuis qu’elle avait eu ces derniers temps : Après tout, se disait-elle, si d’autres veulent s’emparer de ce pendentif, pourquoi ne pas les laisser le prendre et ne plus s’en soucier ? Qu’est-ce qu’il représente pour moi, après tout ?
Elle prit le médaillon dans ses doigts, le métal reflétait les couleurs bleutées des murs de la salle de bain. Louise était fascinée : c'était vraiment un étrange objet ! Joli, mais quelle fichue source de désagréments !
Tout en le regardant, elle faisait tourner machinalement le cadran interne du médaillon. De petits cliquetis se faisaient entendre. Le centre ne tournait que dans un seul sens : celui des aiguilles d’une montre. Il lui semblait qu’à chaque fois qu’un des groupes de caractères gravés sur cette partie passait à un certain point de la rotation, un cliquetis légèrement plus aigu se faisait entendre. Louise arrêta le cadran sur l’un de ces petits bruits aigus et elle sentit que le centre s’enfonçait sans résistance. Intriguée, elle appuya jusqu’au fond.
À cet instant, une lueur tremblotante sembla sortir du pendentif et enveloppa Louise dans une bulle transparente. Elle regarda dans le miroir : elle n'y était plus !
Elle n'avait plus de reflet ! Elle regarda sa main : elle ne la voyait pas.
Louise eut une exclamation de stupeur. Elle appuya à nouveau sur le disque, mais rien ne se passa.
- Oh punaise ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Je ne vais tout de même pas rester comme ça ?
Elle se souvint de l’autre groupe de caractères sur le rond central : il servait peut être à annuler les effets du premier. Elle le chercha à l’oreille et appuya lorsqu’elle entendit un son légèrement plus aigu. Gagné : le tremblotement cessa aussitôt et Louise fut soulagée de voir réapparaître son reflet dans le miroir.
Pascal, qui l'avait entendue se précipita vers la salle de bain.
- Qu’est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il derrière la porte. Tout va bien ?
Louise fut tentée de disparaître à nouveau, puis de demander à son ami d’entrer dans la salle de bain. Elle pourrait se glisser nue contre lui sans qu’il la voie… l’idée lui semblait plutôt excitante. Ce serait incontestablement provoquant, pensa-t-elle mais sans doute assez inhabituel pour ne pas paraître vulgaire…
Son cœur se mit à battre plus vite.
- Le médaillon, dit-elle, il fait… il y a quelque chose d’étonnant.
- Quoi donc ?
- Je crois qu’il faudrait que tu viennes voir, articula Louise, qui avait remis le disque en position "disparition" et s’apprêtait à appuyer sur le disque central.
C’est à cet instant précis que la sonnette retentit. Louise retint son geste.
- Ah ! Voilà notre pizza ! s’écria Pascal. Je vais la récupérer et j’arrive.
Elle l’entendit s’éloigner de la porte de la salle de bain pour se diriger vers l’entrée. Elle était un peu déçue, mais se demandait si son idée était si judicieuse, après tout. Pascal ne la trouverait-il pas… trop entreprenante ? Ne risquait-il pas d’être effarouché par cette situation, lui qui semblait toujours si réservé ?
Elle pourrait toujours lui dire que ce phénomène d’invisibilité ne fonctionnait pas sur les vêtements, comme dans le bouquin de Wells...
Et d’ailleurs est-ce qu’il fonctionnait sur les vêtements ? Elle avait le temps de s’en assurer pendant que Pascal prenait livraison de la pizza. Elle enfila quelques vêtements et pressa le disque interne du médaillon.
La même lueur l’enveloppa : cela lui rappelait vaguement les tremblotements de l’air chaud au dessus des routes en été. Elle regarda le miroir, s’attendant à voir son T-shirt, vide, flotter au milieu de la sale de bain. Mais non : tout avait disparu ! Pas seulement son corps : ses vêtements aussi.
En regardant attentivement le miroir : elle remarqua le même tremblotement à l’endroit où elle aurait dû voir son reflet. Il devait s’agir d’un phénomène de réfraction de la lumière, mais ses connaissances en optique n’étaient pas suffisantes pour définir avec précision de quoi il s’agissait.
Louise trouva que le livreur de pizza restait bien longtemps. C’était d’autant plus étonnant que c’étaient généralement des jeunes qui avaient des cadences très soutenues, pour ne pas dire infernales et qu’ils ne s’éternisaient pas chez les clients. Peut être Pascal n’avait-il pas de quoi payer.
- Mon porte monnaie est dans mon sac, sur la table, cria-t-elle à travers la porte.
Ne recevant aucune réponse, elle tendit l’oreille et perçut une voix féminine qui semblait sangloter.
C’était bien leur veine : la livreuse de pizzas était dépressive !
1 commentaire:
hahahahaha
je suis en train de me demander si c'est bien raisonnable de nous faire patienter encore une semaine pour la suite ^^
en même temps... je ne suis pas sure d'être capable d'aligner 2 lignes correctes de suite en une semaine Mea Culpa ;-)
k-rol
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