Un petit feuilleton pour égayer les lundis...

La suite...
Le Chapitre 25.
On retrouve notre camarade Yboulados, qu'on découvre sous un nouveau jour. C'est nettement moins folklorique mais guère plus plaisant.
Et toujours, si vous avez des idées pour la suite de l'histoire, je suis preneur.
Si vous avez raté un chapitre, pas de panique : vous pourrez le retrouver dans les archives du blog (tout en bas, en cliquant sur "messages plus anciens", ou ici : le 1, le 2, le 3, les 4 et 5 , le 6, le 7 et le 8, le 9, le 10, le 11 et le 12, le 13, le 14 ...). Vous pouvez aussi trouver la liste sur le côté de la page.
Je compte sur vos remarques et vos commentaires (constructifs) que vous ne manquerez pas de m'envoyer sur mon mail : jeanlouis.jabale@gmail.com ou sur la boite à messages de ce blog : il est configuré pour que tout un chacun puisse m'y déposer ce qu'il souhaite.
Bonne lecture...

lundi 20 juin 2011

Chapitre 25

Les trois olibrius qui accompagnaient Yboulados semblaient être taillés sur le même modèle : petits, râblés, très bruns et mal rasés. On aurait voulu représenter des caricatures de bandits sardes qu’on n’aurait pas montré autre chose. Seuls leurs vêtements les distinguaient un tant soit peu les uns des autres : si tous portaient un jean, le plus gros d'entre eux était serré dans un t-shirt noir orné d’un dessin aux couleurs criardes, un autre était en débardeur plus très blanc, et le troisième portait une chemisette rose largement ouverte.

Yboulados s’approcha de la voiture pour ouvrir lui-même la portière.

- Descendez donc, zozota-t-il d’un air faussement aimable. Je suis extrêmement impatient de discuter avec vous deux.

Un bref instant, Louise fut tentée de se jeter de l’autre côté et d’actionner le médaillon pour se rendre invisible. Elle chassa cette pensée presque aussitôt : les cinq malfaiteurs ne manqueraient pas de la voir disparaître et comprendraient rapidement tout l’intérêt du bijou. D’une certaine façon, elle se disait que tant que leurs ravisseurs ignoreraient les propriétés du pendentif, Pascal et elle auraient un avantage sur eux.

Avec un peu de chance, elle arriverait à se rendre invisible un peu plus tard, de façon plus discrète qu’en plein milieu du garage avec cinq hommes autour d’elle. Elle descendit de la voiture et vint se poster à côté de Pascal.

- Emmenez-les dans mon bureau ! ordonna le gourou.

Pendant que le policier allait verrouiller la porte du garage, les trois gorilles les poussèrent vers une porte qui menait vers la partie habitable de la maison. Yboulados fermait la marche.

C’était une somptueuse demeure romaine, au sol recouvert de marbre que Louise n’était hélas pas d’humeur à admirer, pas plus que les murs ocre, ornés de tableaux anciens, ni les nombreuses statues, en marbre elles aussi, qu’on apercevait de place en place. Décoration Renaissance, ne put s’empêcher de penser Louise tout en essayant de déceler la moindre chance de disparaître. Malgré ses efforts, elle ne put trouver une seule occasion de fausser compagnie à ses ravisseurs.

Après une enfilade de couloirs dont toutes les fenêtres donnaient sur une cour, les deux jeunes gens furent poussés sans ménagements à l’intérieur d’une pièce qui semblait être le bureau dont avait parlé Yboulados. Celui-ci entra derrière eux dans la pièce, tandis que les gardiens les immobilisaient par les bras, en leur intimant l’ordre de rester au milieu de la pièce. Celui qui s’était présenté comme le "fils de Cosmo-Chronos" contourna une vaste table de travail aux pieds délicatement ouvragés et vint se placer face à Louise et Pascal.

- Vous pouvez vous vanter de m’avoir bien fait courir, leur annonça-t-il. Je ne parlerai même pas des tracas que vous m’avez causés, ni de tout ce que vous m’avez dérobé. Sachez simplement que cette fois, vous ne vous échapperez pas aussi facilement que la première.

- Qu’est ce que vous nous voulez ? demanda Louise avec agressivité.

- Vous savez très bien ce que je veux : ce médaillon que vous détenez.

- Je ne l’ai plus. Je vous l’ai déjà dit : c’est le Commandant Jamin, de la police de Montpellier, qui l’a gardé.

- Vraiment ? C’est ce que nous allons bientôt savoir. Notre ami Jérôme sera là dans un instant ; il pourra vous répéter ce qu’il m’a déjà dit.

- C’est donc lui qui vous tenait informé des détails de l’enquête ? s’exclama Pascal. Quand je pense que nous avions douté du Commandant Jamin…

- Je trouve très utile d’avoir un peu partout des gens qui me sont dévoués. Leurs motivations peuvent varier de l’un à l’autre, mais ce qui m’importe, en fin de compte, c’est qu’ils soient à mon service.

- Leurs motivations ? Vous voulez dire qu’ils ne sont pas tous membres de la Secte de Zaarm ?

- Zaarm ? ricana Yboulados. Cette secte n’était qu’un amusement lorsque je l’ai créée, il y a quatre ans. Mais je me suis vite rendu compte du profit que je pourrais tirer de tous ces naïfs. Vous ne pensiez tout de même pas que je croyais à toutes ces fariboles ? C’est d’ailleurs une assez bonne couverture : on risque beaucoup moins en étant un religieux un peu farfelu qu’en faisant du… commerce d’antiquités.

- Vous voulez dire du pillage et du trafic ?

- Oh les vilains mots ! Je dirais plus simplement que je retrouve des choses qui sont parfois enfouies, ou alors cachées, depuis plusieurs siècles et dont personne ne s’est soucié pendant tout ce temps. Qui croyez vous que cela gêne vraiment si je les vends à des collectionneurs avec un bon petit profit ?

- Et ce médaillon ? Qu’est-ce qu’il a de si extraordinaire ? Ce n’est qu’un petit bijou de pacotille que mon oncle a rapporté d’Amérique du sud…

- Pacotille ? Arrêtez donc de me prendre pour un imbécile : Karine m’a envoyé des photos de l’objet. Je les ai examinées, j’ai reconnu les caractères qui sont gravés dessus et je suis formel : il vient d’une île du bassin méditerranéen oriental et date probablement du neuvième siècle avant notre ère.

- Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer ça ? Je vous répète que ce médaillon appartenait à mon oncle, et qu’il me l’a laissé en mourant. Il… il était curé… ce n’était pas quelqu’un de riche.

- Je me fiche pas mal de savoir si votre curé d’oncle était riche ou pas, tout comme je me fous complètement de savoir comment il a acquis ce pendentif. Ce que je sais, c’est qu’il y a des collectionneurs qui sont prêts à payer des sommes dont vous n’avez pas la moindre idée pour l’acquérir. Vous n’imaginez tout de même pas qu’on peut exercer le genre de commerce qui est le mien sans avoir une bonne connaissance des antiquités et des œuvres d’art ! Je veux ce médaillon et je vous garantis que vous finirez par me le donner, de gré ou de force !

- Et bien, je pourrais peut être vous le vendre quand le Commandant Jamin me l’aura rendu…

- Ça suffit ! Voici justement Jérôme qui arrive.

Le policier était entré sans bruit dans la pièce. Yboulados s’adressa à lui :

- Jérôme, dites-moi : vous confirmez que votre supérieure hiérarchique au commissariat de Montpellier n’a pas gardé l’objet qui nous préoccupe ?

- Absolument ! J’aurais d’ailleurs préféré qu’elle choisisse de le garder, il m’aurait été plus facile de le faire disparaître sans que quiconque y prête attention. Mais Mademoiselle Robinson est repartie avec du commissariat.

- Il est donc très probable, conclut Yboulados, qu’il est encore en sa possession…

- Je l’ai laissé chez moi à Montpellier, essaya de mentir Louise.

- Taisez-vous ! Assez de salades ! Fouillez-la, ordonna-t-il aux hommes de main.

Louise chercha à se débattre, mais l’un des gorilles lui bloqua les poignets derrière le dos tandis qu’un autre lui arrachait son chemisier qui tomba à terre, déchiré. Le troisième, par une double clé, avait immobilisé les bras de Pascal qui avait tenté de s’interposer. La jeune femme se retrouva en soutien-gorge, le médaillon niché entre ses seins.

- Vous ne l’aviez pas, hein ? ricana Yboulados en tendant la main pour saisir le bijou. Il est dans un bien joli petit écrin.

- Ne vous avisez pas de me toucher, espèce de gros dégueulasse ! cria Louise en essayant de décocher à Yboulados un coup de pied dans le bas-ventre qui le manqua de peu.

- Vous n’êtes pas vraiment en position de me donner ce genre d’ordres, ricana le chauve en saisissant le pendentif. Mais c’est ce médaillon, qui m’intéresse, pas votre anatomie. Ceci dit, je comprendrais qu’il y ait des amateurs…

- Vous n’êtes qu’une crapule méprisable, cracha Louise pendant qu’Yboulados arrachait le bijou. C’est facile de se mettre à cinq pour voler le bien d’autrui !

- C’est surtout très efficace, rétorqua le petit chauve avec calme, et croyez-moi, c’est bien tout ce qui m’importe. Le médaillon est à moi, maintenant !

Il considéra un instant son trophée, le fit tourner entre ses doigts, et le déposa dans un tiroir de son bureau.

- Emmenez-les à la cave, ordonna-t-il à ses hommes de main. On va les garder au frais quelque temps.

- Vous pourriez aussi bien nous relâcher, s’écria Louise, maintenant que vous avez eu ce que vous vouliez.

- Pour que vous couriez voir la police ? Vous voudriez sans doute aussi qu’on vous y accompagne ? suggéra-t-il d’un ton doucereux. Ou alors qu’on vous appelle un taxi ? Nous vous relâcherons peut-être dans quelques jours, lorsque je me serai débarrassé de cette antiquité… et que j’en aurai été payé. Allez, zou ! N’oubliez pas de leur prendre leurs téléphones.

Ces derniers leurs furent rapidement confisqués, non sans que des mains s’attardent sur les formes de Louise, qui tenta sans succès de donner des coups de coude et de pieds. Les nervis tirèrent ensuite les deux jeunes gens hors de la pièce.

- Mon chemisier ! Rendez-moi mon chemisier !

Le plus petit des hommes de main, celui avec le débardeur crasseux, ramassa le chemisier qui était tombé à terre et acheva de le déchirer en deux morceaux. Il le jeta à Louise en grognant :

- Non è freddo a Roma in questi giorni !

Ce qui fit rire les deux autres, mais acheva de mettre Louise en fureur. Elle eut cependant beau tempêter, Pascal et elle furent traînés sans ménagements vers les étages inférieurs de la maison, où leurs ravisseurs les enfermèrent dans un réduit, sans doute une cave, apparemment sans la moindre ouverture.

Et sans lumière.

- Tu y vois quelque chose ? demanda Pascal au bout de quelques minutes.

- Rien du tout. Et toi ?

- Pas pour le moment… enfin pas vraiment, mais je crois que ça devrait s’arranger. J’ai l’impression de deviner une vague lueur sous la porte.

- Oui, je crois bien que je l’aperçois aussi. Nos yeux vont s’habituer à l’obscurité.

Ce ne fut pas nécessaire : Pascal, en tâtonnant autour de la porte, trouva un interrupteur qu’il actionna. Une ampoule nue, au plafond, leur prodigua une lumière faiblarde mais bien suffisante. La cave mesurait environ trois mètres sur trois et était effectivement dépourvue de toute ouverture, hormis la porte.

- Voilà, tout s’arrange : on a déjà de la lumière.

- Oui, approuva Louise avec une grimace, si on voit les choses de cette façon, ça va de mieux en mieux. Il reste quand même encore quelques détails à améliorer : nous sommes enfermés dans une cave sans la moindre idée de l’endroit où nous sommes, nous n’avons plus le médaillon, plus de téléphones et mon chemisier est foutu.

- Mais on est tous les deux et on s’aime ! déclara Pascal en lui posant un bisou dans le cou.

- J’envie ton optimisme !

- C’est parce que je suis près de toi ! J’imagine que le Professeur et Maria-Alba vont s’inquiéter de ne pas nous voir. Il va forcément y avoir un signalement à la police, ou quelque chose, peut être une enquête…

- Oui, sans doute, mais Rome, c’est grand…

- Les complices d’Yboulados ne vont pas nous laisser là : il faudra bien qu’ils nous apportent à manger. Avec un peu de chance, on aura même droit à des matelas.

La jeune femme décida de ne rien répondre. Elle s’assit le long du mur et examina les débris de son chemisier. Il était décidément irrécupérable.

Tous deux restèrent muets pendant de longues minutes, avant que Pascal ne finisse par rompre ce silence pesant :

- Ce que je veux dire, c’est que tant que la porte est fermée, on ne peut pas faire grand-chose, mais ils seront bien obligés d’ouvrir cette porte… pour nous apporter à manger, par exemple. Ce sera peut être le moment de tenter quelque chose.

- Mmh… S’ils sont tous les trois, qu’est ce qu’on peut espérer ?

- Je ne sais pas trop. On verra déjà s’ils viennent.

- Tout dépend de ce qu’ils ont l’intention de faire de nous…

Ils se replongèrent dans leur attente silencieuse. Une heure et demie plus tard, des pas se firent entendre dans le couloir et une clé tourna dans la serrure. Deux de leurs geôliers se tenaient sur le seuil, le premier apportant une bouteille d’eau et des sandwiches sous cellophane tandis que l’autre restait en retrait avec dans la main droite un tube métallique d’une quarantaine de centimètres, visiblement très lourd.

L’arme de prédilection des sbires d’Yboulados, pensa Louise en se souvenant de Michard et Lagarde. Les geôliers italiens semblaient nettement plus intimidants que ceux qu’ils avaient vus quelques jours plus tôt.

Pascal était resté assis le long du mur et faisait mine de se tenir la poitrine. Louise se demanda s’il essayait d’attirer les gardiens près de lui… elle se dit que ça n’avait guère de chance de réussir.

- Paracétamol ! geignit-il.

- Quello che dice ?

- Paracétamol ! répéta Pascal dans un gémissement.

- Il veut du paracétamol, articula Louise, qui inventa le premier nom de maladie qui lui passa par la tête : il a une entérite gazeuse.

Pas très scientifique, mais ça sonnait bien, surtout pour un interlocuteur qui semblait ne pas comprendre le français.

- Paracétamol… deux grammes ! précisa-t-elle en affectant l’assurance d’une praticienne chevronnée.

Cela suffit à impressionner le gardien.

- Ah ! Paracetamolo ! répondit-il, avant de ressortir et de refermer soigneusement la porte à clé.

Une fois qu’ils furent certains d’être à nouveau seuls, Louise demanda :

- C’était quoi, ton idée ? L’attirer à l’intérieur ?

- Non : les faire revenir. Maintenant, on sait plusieurs choses : d’abord, qu’ils n’ont sans doute pas l’intention de nous tuer, puisqu’ils nous apportent à manger. C’est plutôt rassurant ! Ensuite, une chose importante aussi, c’est qu’ils viennent à deux, et qu’il n’y en a qu’un seul qui soit armé apparemment. J’ai peut-être une idée… regarde l’interrupteur.

- Oui, je le vois, et alors ?

- J’ai vu ça dans un vieil album de BD chez un de mes oncles : c’est un modèle assez ancien, on va démonter le cabochon.

- Ça s’appelle un cabochon, ce truc en cuivre ?

- Je crois, enfin peu importe. Ça doit être du laiton, d’ailleurs. Ce qu’il faut, c’est arriver à le dévisser.

Le jeune homme arriva sans trop de difficultés à dévisser la demi-sphère de laiton, qu’il jeta dans un coin de la pièce.

- Maintenant, il va falloir enlever l’ampoule, et quand ils arriveront, on videra la bouteille d’eau juste devant la porte.

- J’en prends un peu d’abord. Je te conseille d’en boire aussi, on ne sait jamais. Et puisqu’on a des sandwiches, autant en profiter.

Pascal utilisa les débris du chemisier comme une manique de fortune pour enlever l’ampoule sans se bruler les doigts. Ils mangèrent leurs sandwiches dans le noir. Mortadelle salade, estimèrent-ils.

- C’est marrant, j’aurait plutôt vu quelque chose comme une miche de pain dur pour des prisonniers comme nous. Enfin, on ne va pas se plaindre.

Dix minutes plus tard, les pas résonnèrent à nouveau dans le couloir. Louise versa la totalité de la bouteille le long de la porte, et celle-ci s’ouvrit quelques secondes après. Les silhouettes des deux geôliers se découpaient sur le fond du couloir éclairé.

- La luce è spenta ! dit le premier gardien avec étonnement.

- Bah ! Accendi.

Il tâtonna pour trouver l’interrupteur et poussa un cri, qui se mua en une sorte de petit murmure aigu.

- Che te… demanda l’autre en lui posant la main sur l’épaule.

Mais il n’eut pas le temps d’en dire davantage : il se mit lui aussi à émettre un sifflement bizarre.

Pascal se plaça devant la porte et, d’un coup de pied, envoya les deux gardiens au sol. A terre, ils ne sifflaient plus, mais ils avaient été sérieusement sonnés par le choc électrique. Celui qui tenait le bout de tuyau n’opposa aucune résistance quand le jeune homme lui prit l’objet des mains.

Pour être tout à fait certain qu’ils ne seraient pas poursuivis, Pascal assomma chacun des deux gardiens avec l’arme qu’il leur avait soustraite, après quoi Louise et lui se mirent à courir le long du couloir. La voie semblait libre, au moins jusqu’à l’escalier.

- Je veux récupérer le médaillon d’abord : tout sera plus facile si on arrive à être invisibles.

- Si je me souviens bien, le bureau d’Yboulados est au premier étage. Pour l’instant, notre meilleur atout sera le silence.

Ils gravirent les escaliers de la cave, en haut desquels ils trouvèrent une porte fermée, mais non verrouillée, qu’ils ouvrirent sans bruit.

Ils pénétrèrent dans un hall aux dimensions imposantes, dont Louise pensa qu’il ressemblait davantage à celui d’un musée qu’à une demeure particulière : des bustes en marbre, des tapisseries visiblement anciennes, et plusieurs toiles que les jeunes gens estimèrent être des œuvres de grande valeur.

Yboulados était loin d’être le gourou farfelu qu’ils avaient d’abord cru : c’était à l’évidence un redoutable trafiquant d’art.

Le hall était éclairé par deux petite lampes de part et d’autre de l’entrée, tandis que par une imposte au dessus de la grande porte, ils virent qu’au dehors il faisait nuit. Des voix et des rires semblaient venir de derrière l’une des portes. Deux hommes discutaient en italien, l’un d’eux avec un accent nettement français : probablement Jérôme en compagnie du troisième homme de main.

Dans la pénombre, Louise et Pascal se dépêchèrent de gravir les marches de l’escalier monumental qui menait à l’étage.

Le gros avantage du marbre, pensèrent-ils, c’est que ça ne grince pas !

Sans un mot, Louise indiqua à son compagnon qu’elle reconnaissait le chemin. Ils longèrent un couloir tout aussi richement décoré que le rez-de-chaussée, et arrivèrent devant une porte entrouverte. Yboulados était au téléphone, probablement avec un correspondant anglais ou américain : il était en train de décrire un objet qu’il estimait être du huit ou dixième siècle avant notre ère. Un ornement à vocation vraisemblablement religieuse, en métal rare, mais retravaillé à une époque postérieure.

- C’est la description du pendentif ! s’exclama Louise. Il est déjà en train de le vendre… punaise, quelle enflure ! Bon, il doit y avoir moyen de lui reprendre, mais le problème, c’est qu’il fait face à la porte. Dès qu’on sera entrés, il nous verra forcément.

- Tu te souviens s’il y a une autre porte dans la pièce.

- Je ne suis pas sure. Peut-être sur le côté. Derrière lui, c’est la fenêtre.

Ils continuèrent le couloir sur quelques mètres, jusqu’à la pièce suivante. Aucun bruit ne semblait provenir de l’intérieur. Pascal abaissa doucement la poignée ; la porte n’était pas verrouillée.

Ils étaient arrivés dans une vaste pièce au milieu de laquelle une longue table en bois verni semblait pouvoir accueillir une vingtaine de personnes, si on en croyait le nombre de chaises disposées tout autour. Une salle à manger d’apparat peut-être, ou une salle de conférence.

A côté d’une cheminée, une porte semblait correspondre à l’emplacement du bureau d’Yboulados. Louise colla son oreille à la porte : la voix du trafiquant était encore audible.

- Il est là. En passant par cette porte, on devrait arriver sur sa gauche, légèrement en arrière.

- Bien placés pour un coup de tuyau ! sourit Pascal.

- Je passe la première, toi tu arrives derrière et tu l’assommes.

- Voilà un plan simple comme je les aime !

- A trois… un, deux, trois !

Louise bondit dans le bureau et vint immédiatement se placer en criant face au petit homme chauve. Médusé, il regardait cette furie en soutien gorge qui criait comme une folle, et n’eut pas le temps de voir arriver le coup de tuyau qui lui fit perdre connaissance.

La jeune femme saisit le téléphone et dit :

- Would you please excuse us, Mr. Yboulados seems to have some kind of problem right now. He’ll call you back later on.

- I beg your pardon, dit une voix à l’autre bout du fil, Mr. what ?

Mais Louise avait déjà raccroché.

- Bon, le médaillon doit être dans un de ces tiroirs, déclara-t-elle en désignant le bureau.

Elle entreprit d’ouvrir chacun des tiroirs, dont aucun ne contenait ce qu’elle cherchait.

- Merde ! Merde ! Merde !

Fiévreusement, elle jeta au sol le contenu de chacun des trois tiroirs, sans trouver son pendentif. Leurs téléphones, par contre, y étaient et ils les empochèrent, mais il fallait rapidement trouver le bijou. Prise d’une intuition soudaine, elle entreprit de fouiller les poches d’Yboulados et découvrit une petite clé qui semblait correspondre à la serrure d’un coffre.

Mais il n’y avait aucun coffre en vue.

- Derrière les tableaux ? suggéra Pascal.

- On n’a pas beaucoup de temps : les deux zozos d’en bas ne vont sans doute pas tarder à se réveiller et la première chose qu’ils feront sera de donner l’alerte.

Ils entreprirent de décrocher les cadres qui ornaient les murs. Derrière ce qui ressemblait à un Botticelli (et en était probablement un), ils finirent par découvrir une porte blindée.

- Vite, chuchota Pascal : je les entends qui arrivent !

- Tiens la porte ! Empêche-les d’entrer !

La jeune femme introduisit la clé qui correspondait bien à la serrure du coffre en espérant qu’elle n’aurait pas à composer une combinaison. Arc-bouté sur la porte, Pascal agrippait la poignée pour l’empêcher de s’abaisser. Les malfrats tambourinaient à qui mieux-mieux et le jeune homme déployait toute son énergie pour leur interdire l’accès du bureau.

Ça ne durerait pas des heures : l’un des hommes d’Yboulados finirait bien par avoir l’idée de faire le tour par la pièce voisine.

- Ça y est ! Je l’ai !

- Juste à temps : ils ont abandonné cette porte ! dit Pascal en lâchant la poignée et en laissant le battant s’ouvrir.

Louise vint prendre la main de son ami et appuya sur la partie centrale du médaillon. La lueur bleue les enveloppa tous les deux, et au moment où les quatre sbires entraient dans le bureau, Louise et Pascal étaient devenus invisibles.

- Porca miseria ! Dove sono ?

- La porte ! cria Jérôme. La porta è aperta !

Ils traversèrent le bureau en trombe, sans prêter attention à Yboulados, écroulé sur son fauteuil.

- Il faut sortir d’ici et repérer où nous sommes, dit Pascal. On pourra appeler le Professeur et lui demander d’avertir la police.

- Je reste ici avec le médaillon ! Je veux les empêcher de partir : ce serait trop bête qu’ils s’échappent.

- Trop dangereux ! Tu n’arriveras pas à les bloquer, même en étant invisible. Non : on part tous les deux !

Ils descendirent au rez-de-chaussée et arrivèrent dans le hall. La porte était fermée et la clé n’était pas sur la serrure.

- Le garage doit être par là ! décida Louise en montrant une porte à côté de celle de la cave.

Ils trouvèrent la voiture bleue dans laquelle Jérôme Garcia les avait enlevés quelques heures plus tôt. Les clés étaient sur le contact. Par contre, la porte du garage était cadenassée.

- Tant pis ! Monte et accroche-toi ! dit-elle en actionnant le médaillon pour les rendre à nouveau visibles.

- Tu vas encore nous faire le coup du stock car ?

Mais Louise avait déjà démarré, et dès que son compagnon eut claqué sa portière, elle fit rugir le moteur et enclencha la marche arrière.

Les portes du garage volèrent en éclats au passage de la voiture, qui traversa toute la cour en reculant à vive allure et fit subir le même sort à la grille de la cour. Pascal était recroquevillé sur son siège, attendant que tout soit terminé.

Une fois dans la rue, elle réenclencha la première et repartit dans le bon sens. L’arrière de la voiture était enfoncé, des vitres étaient brisées, mais il y avait toujours moyen de rouler.

- Voiture-bélier, tu connais ? demanda simplement Louise.

- Je… je crois que ça me dit vaguement quelque chose, reconnut Pascal.


... à suivre

lundi 6 juin 2011

Chapitre 24

Sans rien laisser paraître du trouble dans lequel l’accueil équivoque de la policière l’avait plongée, Louise avait raconté au Commandant Jamin les dernières péripéties qu’elle et ses compagnons avaient connues. Comme la jeune femme s’y attendait, les forces de police françaises ne pouvaient pas faire grand-chose tant que Louise se trouvait en Italie.

- Vous avez porté plainte auprès des autorités italiennes ? demanda le Commandant Jamin.

- Bien sûr ! Nous sommes allés signaler l’agression dans un commissariat : nous en sortons à l’instant même. Ils ont bien pris note de ce que nous leur avons dit, mais ils nous ont fait comprendre qu’ils n’avaient pas l’intention de faire quoi que ce soit. Je crois qu’ils étaient plus intéressés par un match de foot…

- Je vois… Mais vous savez, c’est un peu pareil en France dans les commissariats où il n’y a que des hommes.

- Sans doute, oui, concéda Louise. Mais est-ce que vous avez du nouveau, du côté d’Yboulados et de la secte de Zaarm ?

- Non, rien de neuf depuis lundi dernier, à ma connaissance.

- Pas de nouvelles de Michard ? Il n’a pas été retrouvé ?

- Non… pas que je sache.

- Mais la jeune femme rousse qui était avec nos ravisseurs semble avoir été libérée, elle. Vous étiez au courant ?

- Mademoiselle Robinson, dit la policière d’un ton sec, je ne suis au courant que de ce qu’on veut bien me dire. Si la gendarmerie de Voiron a omis de me communiquer certains détails, vous comprendrez facilement que, n’ayant pas de boule de cristal, je ne suis pas en mesure de les deviner. Et d’ailleurs, à ce sujet, j’ai comme l’impression que vous aussi vous gardez certains détails pour vous. Enfin, quand je dis détails, ce sont peut-être des choses plus importantes que vous ne le pensez.

- Que nous gardons des détails pour nous ? demanda Louise, interloquée.

- Absolument ! Ne serait-ce que pour ce que vous venez tout juste de m’apprendre, à l’instant même : cette jeune femme rousse, qu’est ce qui vous fait dire qu’elle a été libérée ?

- Elle m’a envoyée un message ce matin sur mon portable. Elle me dit qu’elle se trouve à Rome, elle aussi et elle cherche à me voir.

- Eh bien ne lui répondez pas ! Rentrez en France dès que possible : tant que vous êtes à l’étranger, je ne suis pas en mesure d’assurer votre protection. Qu’est ce que vous êtes allée faire là bas, de toute façon ?

- Des recherches, répondit Louise le plus laconiquement possible. Dans la Bibliothèque Apostolique.

- Et c’est aussi pour des recherches que vous êtes allée en Isère, j’imagine. J’espère pour vous, Mademoiselle Robinson, que ça n’a rien à voir avec votre histoire de secte…

- Non… c’est pour mon travail, mentit-elle. Vous savez que je suis lectrice chez un éditeur… il est parfois nécessaire de faire des recherches documentaires.

- Et vous avez besoin de vous rendre sur place pour ça ? Je pensais que toutes les grandes bibliothèques avaient leur fonds consultable en ligne…

- Non, justement pas la totalité, c’est loin d’être le cas pour la plupart des bibliothèques. Par ailleurs, la Bibliothèque Apostolique est… un peu particulière dans son fonctionnement.

- Hum… il faudra que vous m’expliquiez ce que vous faites exactement chez cet éditeur. Avez-vous une idée de la raison pour laquelle la secte de Zaarm peut s’intéresser à vous comme ça ? Est-ce que vous auriez publié quelque chose sur eux dernièrement ? Ou reçu un manuscrit ?

- Je crois qu’un essai sur les dérives sectaires a été publié il y a quelques mois, s’empressa de répondre Louise, soulagée de la tournure que prenait l’échange de paroles.

- Et il était question de cette secte dans cet ouvrage ?

- Je ne sais plus trop… Je ne pourrais pas l’affirmer, et d’ailleurs ils auraient pu être cités sous l’un de leurs anciens noms… vous savez, ces groupes changent souvent d’appellation…

- Ça m’intéresserait de voir un exemplaire de ce bouquin, si vous pouvez m’en faire passer un.

- Oui… dès que possible, acquiesça la jeune femme.

Après que Louise eut raccroché, le Professeur Campagnolo proposa aux deux jeunes d’aller s’asseoir un moment à une terrasse avant d’aller voir le musée du jouet. Louise et Pascal, assez éprouvés par les récents évènements, ne se firent pas prier.

Ils trouvèrent, sur une petite place, une échoppe qui semblait spécialisée dans la vente, mais aussi la dégustation d’un large choix de cafés de diverses origines. Ils s’assirent à l’une des trois tables qui se trouvaient devant l’entrée. Louise se laissa aller dans le fauteuil métallique avec un soupir de satisfaction.

- Enfin un peu de calme ! Moi qui pensais que je pourrais faire un peu de tourisme à Rome !

- J’ai l’impression qu’il faut aller commander au comptoir, annonça Pascal. Tout le monde est partant pour un cappuccino ?

Les deux autres ayant acquiescé, le jeune homme entra dans l’établissement pour commander. Il revint quelques instants plus tard avec un plateau sur lequel les trois tasses dégageaient un arôme réconfortant.

- Tu crois qu’elle a fait exprès de ne pas mentionner le pendentif ? Elle l’a vu pourtant : je me souviens que tu lui as montré le jour où nous sommes allés à son bureau, au commissariat central.

- Oui, c’est curieux, reconnut Louise. Elle aurait voulu faire celle qui se trompe de piste qu’elle ne s’y serait pas prise autrement.

- Ça ne prouve pas forcément quoi que ce soit, intervint le Professeur Campagnolo, elle a pu réellement oublier ce qui lui a semblé être un détail.

- C’est étonnant, tout de même. Je me souviens que lorsque nous lui avons montré le médaillon, mercredi dernier, elle y a à peine jeté un coup d’œil avant de décider que c’était sans importance et de passer à autre chose. C’est pourtant bien elle qui nous a parlé de la secte de Zaarm en premier, non ?

- Quand ça ? demanda Pascal qui avait un peu de mal à remettre ses souvenirs en ordre.

- Lorsqu’elle nous a parlé du macchabée dans le couloir de chez toi.

- Oui, mais elle a décrété que ça n’avait aucun rapport avec l’agression de Sylvain. Le pendentif n’a donc rien à voir dans l’histoire, pour elle.

- Mmh ! Pas très clair, tout ça. Je ne sais vraiment plus à qui me fier… enfin à part vous deux, se hâta-t-elle d’ajouter à l’adresse de pascal et du Professeur.

La cheville du jeune homme le faisant moins souffrir, ils purent bientôt se mettre en route pour le musée du jouet. Le Professeur leur avait affirmé que ce n’était qu’à quelques rues de là, et ils arrivèrent rapidement devant la porte.

C’était un petit immeuble qui avait dû autrefois abriter des bureaux, et sur lequel une plaque, assez discrète, indiquait la nouvelle affectation du bâtiment. Les fenêtres du rez-de-chaussée faisaient office de vitrines et laissaient voir des ours en peluches, des jeux de l’oie et divers autres jouets anciens, indiquant le musée bien plus clairement que la plaque.

La jeune italienne qui tenait le guichet de l’entrée reconnut Moïse Campagnolo, le salua et décrocha un interphone pour signaler les nouveaux arrivants à Maria-Alba. Celle-ci sortit d’un bureau voisin et accueillit son frère et ses amis.

- Je vous laisse découvrir les lieux, déclara-t-elle, j’ai encore deux ou trois petites choses à régler dans le bureau. Je peux vous emprunter mon frère un moment ? J’aurais besoin de son aide pour déchiffrer des inscriptions sur un jeu qui me semble très ancien.

- Si ancien que ça ? s’étonna le Professeur. Ce n’est pas le Jeu Royal d’Ur, quand même.

- Non, ce n’est pas celui là, mais ça y ressemble un peu. Il doit dater du troisième ou quatrième siècle ! C’est une de nos pièces les plus ancienne, ajouta-telle à l’adresse des jeunes gens : la plupart des jouets que nous avons ici sont beaucoup plus récents, du siècle dernier ou du précédent.

Louise et Pascal partirent tous les deux en direction des salles d’exposition. Les deux jeunes gens s’extasièrent devant les trains électriques des années cinquante, dont certains parcouraient une vaste pièce selon un itinéraire compliqué, au milieu d’un décor soigneusement arrangé. Ils s’étonnèrent devant les poupées en celluloïd ou celles en porcelaine. Des salles entières étaient consacrées aux soldats de plomb ou aux voitures miniatures, de tous les modèles et de toutes échelles.

- Regarde : il y a même des voitures à pédales ! s’exclama Louise dans une salle du premier étage. Tiens, celle là, là bas, la rouge avec la capote bleue… j’en avais une comme ça quand j’avais quatre ans !

- C’est là-dessus que tu as appris à conduire ? dit Pascal en l’enlaçant. Pas étonnant que tu sois un as du volant maintenant, si tu as commencé si jeune !

- Et toi, demanda-t-elle, c’était quoi, tes premiers jouets ?

- Oh, je me souviens d’un petit xylophone… je crois que j’aimais bien tout ce qui faisait de la musique.

- Tu vois ? Toi aussi, tu avais déjà ta voie toute tracée, dit elle en riant.

Lorsqu’ils estimèrent avoir vu toutes les salles, ils redescendirent dans l’entrée, où la jeune réceptionniste leur apprit que le Professeur et Maria-Alba étaient partis un quart d’heure plus tôt. Elle proposa de leur appeler un taxi pour retourner chez cette dernière.

- J’ai remarqué que vous boitiez, ajouta-t-elle. Ce serait peut-être plus confortable pour vous de vous laisser conduire.

- Non, ça va déjà beaucoup mieux, je crois que je préfère marcher. Ce n’est pas trop loin ?

- En y allant tranquillement, il vous faudra une vingtaine de minutes.

- Ça devrait aller. De toute façon, je crois que je ne pourrai pas faire autrement que de prendre mon temps.

- Alors bon courage. Vous savez comment faire pour retourner là bas ? Il faut aller jusqu’au quai et tourner à gauche, puis quand vous arrivez à Cosmedin, vous prenez la rue qui monte.

- Oui, merci beaucoup. Je crois que nous devrions nous y retrouver.

Ils avançaient moins vite qu’ils ne l’auraient cru. Pascal avait encore des élancements dans la cheville et ne pouvait pas vraiment faire des prouesses en marche à pied. Ils parvinrent néanmoins au quai et Louise proposa de descendre le long des berges pour être à l’écart du bruit et de la fumée des voitures.

Il leur fallut cependant remonter un peu plus loin, les rives étant impraticables.

C’est alors qu’ils entendirent une voix qui les appelait, une voix qu’ils ne connaissaient que trop bien !

- Pascal ! Louise ! Attendez-moi.

Louise se retourna et jura.

- Oh Merde ! C’est pas vrai ! Pas elle !

- Oh punaise ! Pas de bol ! C’est Karine ? demanda Pascal en se retournant, ce qui lui arracha une grimace de douleur.

Pas question d’essayer de la semer. Ils se résignèrent donc à la laisser s’approcher. Par contre, les deux jeunes gens étaient bien déterminés à ne pas lui laisser savoir où ils logeaient dans la capitale italienne.

La grande rousse arriva près d’eux, l’air mielleux.

- Je suis vraiment contente de vous avoir retrouvés. Je sais que ça peut vous paraître bizarre, mais je vous promets que vous n’avez rien à craindre de moi. D’ailleurs qu’est-ce que je pourrais vous faire, ici, au milieu de toute cette circulation ?

- Tu t’imagines quoi ? Que tu nous fais peur ? Maintenant qu’on sait à quoi s’en tenir à ton sujet, nous sommes sur nos gardes, c’est tout. Mais sans les hommes de main de ton gourou à la noix, tu ne peux pas grand-chose, en effet.

- Vous vous trompez complètement sur moi ! Je n’ai plus rien à voir avec ces gens là ! D’ailleurs, je préfèrerais qu’ils ne me trouvent pas, moi non plus.

- Comment est-ce que tu peux espérer qu’on te croie ? Tu nous as raconté un tas de salades pour qu’on t’emmène avec nous dans la Chartreuse, tu nous as pratiquement livré à cette espèce de secte d’allumés, et tu étais encore avec eux le lendemain en train de nous guetter aux Bergeries…

- Sans compter que tu es sans doute à l’origine de tout ça et que c’est toi qui as signalé aux adorateurs d’Yboulados l’existence du médaillon.

- Et que c’est aussi à toi que Sylvain doit d’avoir passé plusieurs jours dans le coma.

- Arrêtez ! Je vous en prie ! Ce n’est quand même pas moi qui l’ai assommé ! En fait, je ne savais pas ce que je faisais. Je vous promets que j’ai changé !

- Non, toi, tu arrêtes ! On ne te croit pas, un point, c’est tout. Fiche nous la paix, va au diable et surtout n’essaie pas de nous retrouver.

- Comment est-ce que tu as eu l’idée de venir nous chercher à Rome, de toute façon ?

- Vous oubliez que j’étais avec vous quand le bibliothécaire nous a dit où trouver le livre qu’on cherchait…

- Que nous cherchions, nous : Pascal et moi. Pas toi ! Toi, tu t’es juste imposée comme une espèce de parasite. Tu nous as pratiquement obligés à te traîner partout derrière nous comme un boulet ! Tu t’es incrustée…

- Arrête, s’il te plait ! l’interrompit la rousse en sanglotant à moitié. Je sais que je vous ai fait du tort… je vous demande pardon !

- La meilleure chose que tu puisses faire pour nous prouver ta bonne foi, c’est de nous foutre la paix. On ne veut plus entendre parler de toi. Disparais ! Dégage !

Louise avait presque crié en prononçant ces derniers mots, ce qui déclencha une nouvelle crise de larmes chez Karine. Décidément, cette nénette faisait de plus en plus penser à une poupée Barbie sans cervelle ! Même si elle était sincère, ce qui était loin d’être acquis, Louise se disait que cette rouquine ne tarderait pas à lui donner des envies de meurtre.

Mais comment se débarrasser d’elle ? Courir ? Ce n’était pas envisageable avec la cheville de Pascal dans cet état. La jeune femme aurait volontiers flanqué Karine par-dessus le parapet du quai, mais c’était s’exposer à des ennuis : il y avait quand même du monde.

Des coups de klaxon se firent entendre sur la chaussée. Au début, aucun des trois jeunes gens n’y prêtèrent attention, tant l’avertisseur sonore est une musique familière en Italie, mais Pascal ne tarda pas à se rendre compte qu’une voiture bleue était arrêtée à une dizaine de mètre d’eux et que le conducteur leur faisait des signes.

- Montez, dépêchez-vous ! leur cria-t-il en français par la vitre entrouverte.

Il leur cria ensuite autre chose qu’ils ne comprirent pas à cause d’un camion qui passait bruyamment sur une autre voie, mais dans lequel il leur sembla reconnaitre les mots "Montpellier" et "commissariat".

Cinq secondes plus tard, Louise et Pascal étaient à l’arrière de la voiture dont ils avaient refermé et verrouillé la portière. Le chauffeur avait déjà démarré, plantant Karine sur le trottoir.

- Vous êtes français ? s’étonna Louise.

- Oui… vous ne me reconnaissez pas ? Je m’appelle Jérôme Garcia, je fais partie de la brigade du Commandant Jamin. J’étais sur les lieux avec elle lorsqu’elle est venue à la suite du cambriolage chez Monsieur…

- Fontanel, intervint Pascal, leur chauffeur ayant semblé hésiter sur son nom.

- Oui, c’est bien ça. Vous me remettez, maintenant ? C’est moi qui ai trouvé le… enfin le corps dans le couloir.

- J’avoue que je ne me souviens pas trop de vos traits, admit Louise, les circonstances étaient tout de même un peu… particulières. Mais je crois bien que votre voix me dit quelque chose en effet.

- Mais comment se fait il que vous soyez là juste maintenant ? demanda Pascal. Madame Jamin nous a dit il y a moins d’un quart d’heure qu’elle ne pouvait pas assurer notre sécurité à l’étranger.

Le policier eut un rapide sourire.

- Je ne suis pas en mission : je suis en congé, tout simplement. J’ai vu que cette personne avec qui vous parliez semblait être en train de vous importuner et je me suis douté qu’elle avait quelque chose à voir avec vos ennuis de ces derniers jours. Est-ce que ce ne serait pas cette fameuse assistante de Monsieur… heu, Delbarre ? Celle qui vous a attiré chez Zaarm ?

- Oui, c’est elle, en effet, reconnut Louise, mais c’est quand même un curieux hasard que vous soyez arrivé juste à ce moment là…

- Oh, il y a plus de choses dans les cieux et sur la Terre que dans toutes vos philosophies, répondit Jérôme, avant d’ajouter : Ce n’est pas de moi.

- Je sais, dit simplement la jeune femme, mais comment avez-vous su que nous étions à Rome ?

- Je n’en avais pas la moindre idée. Je vous le répète : je suis en vacances, ici. Je vous ai aperçus alors que je revenais d’Ostia Antica. Je m’intéresse à l’archéologie romaine, expliqua-t-il.

- Et vous nous avez reconnus ?

- Si les policiers n’étaient pas physionomistes, je me demande bien qui le serait. Mais vous-mêmes, qu’êtes vous venus faire à Rome ? Vous êtes en vacances, vous aussi ?

- Je suis venue faire des recherches documentaires à la Bibliothèque Vaticane… pour mon travail. Avec mon compagnon, nous en avons profité pour venir à deux.

- Vous logez près du Vatican ?

- Nous avons été invités chez la sœur d’un de mes professeurs de quand j’étais en fac. Il nous guide aussi un peu dans nos… enfin dans mes recherches.

- Vous faites quoi, comme métier ?

- Dites donc, s’exclama Louise en riant, heureusement que je sais que vous êtes de la police, sinon je vous aurais posé la question. Je travaille chez un petit éditeur de Montpellier. On fait surtout du roman, mais il y a aussi parfois quelques ouvrages documentaires… pour lesquels nous avons besoins de références. C’est ce que je suis venu chercher ici.

- Mais vous êtes sur que nous allons dans la bonne direction ? demanda Pascal. Il me semble que nous sommes en train de nous éloigner de l’Aventin, au contraire. Nous arrivons presque au niveau du Château Saint Ange.

- Ne vous inquiétez pas : c’est normal. La circulation à Rome est un peu particulière, et il y a des secteurs dans lesquels on ne peut pas circuler librement : il faut avoir une vignette spéciale, payante évidemment. Ça oblige à faire quelques détours quand on ne l’a pas. L’Aventin est effectivement derrière nous, mais nous sommes obligés de faire un grand crochet pour l’atteindre.

- Mais le quai d’en face va bien en sens inverse, non ? objecta Louise.

- Effectivement, mais nous nous retrouverions coincés par le Trastevere. C’est un quartier très touristique, et il est quasiment piétonnier.

Il tourna plusieurs fois dans diverses ruelles plus ou moins tortueuses, si bien qu’au bout de quelques virages, ni Louise ni son compagnon n’auraient été capables de dire dans quelle direction leur chauffeur les emmenait.

- Voilà, nous arrivons sur l’Aventin : vous êtes presque à destination. C’est en haut de cette côte.

- C’est curieux, s’étonna Pascal, je ne reconnais rien...

- Et comment pouvez vous savoir précisément quelle est notre destination ? Nous ne vous avons pas donné d’adresse.

Jérôme ne répondit pas. Il tourna brusquement dans une entrée dont la grille était ouverte, traversa une cour pavée et s’engagea dans un garage dont les portes se refermèrent derrière le véhicule.

- Arrivés ! dit simplement le policier.

L’obscurité ne dura que quelques secondes.

Quelqu’un avait actionné l’interrupteur : un petit bonhomme chauve et grassouillet, mais cette fois, il avait délaissé sa combinaison argentée pour des vêtements beaucoup plus classiques : pantalon en toile beige et chemise à carreaux.

Trois hommes de main aux mines inquiétantes se tenaient derrière lui.

mercredi 1 juin 2011

Chapitre 23

Le quartier où habitait Maria-Alba était effectivement très calme. Ce n’étaient qu’immeubles cossus et vastes demeures, ceintes de hauts murs, et sur lesquelles de vénérables palmiers dispensaient une ombre bienfaisants mais parcimonieuse. Çà et là, quelques bâtiments à l’aspect plus officiel étaient gardés par des militaires qui semblaient s’ennuyer ferme.

Des ambassades, probablement, pensa la jeune femme.

Ils passèrent d’agréables instants dans les jardins de l’église Santa Sabina, d’où ils purent découvrir un magnifique panorama sur le Tibre et sur les toits de la capitale italienne, puis le Professeur guida le petit groupe dans la rue qui descendait la colline de l’Aventin.

La voie, en sens unique, était peu fréquentée, et les rares voitures qu’ils rencontraient roulaient au pas, si bien qu’un instant, Louise et Pascal doutèrent d’être encore en Italie. À travers d’épaisses haies, on apercevait parfois de paisibles propriétés, tandis que d’autres restaient bien cachées derrière de hauts murs.

Une grosse berline aux vitres fumées les croisa, tout aussi lentement que les autres véhicules et sans qu’ils y prêtassent attention. Louise se retourna pourtant lorsqu’elle entendit le moteur de la voiture qui ralentissait. Son cœur se mit à battre plus vite en voyant que le véhicule s’était arrêté à une centaine de mètres derrière eux et entamait un demi-tour.

- La rue n’est pas en sens unique ? demanda-t-elle au Professeur.

- Si, répondit-il d’un air distrait, mais les conducteurs italiens ne font pas toujours très attention à ces choses là. Il veut peut-être nous demander son chemin.

- Ça, je n’en suis pas si sûr ! s’exclama Pascal.

La lourde voiture était à présent en train d’accélérer et se dirigeait à vive allure vers le petit groupe. Les vitres, toujours fermées, ne laissaient rien entrevoir des occupants du véhicule. Ça ne ressemblait pas du tout à quelqu’un qui s’apprête à demander son chemin !

- Là-dessus, vite ! cria le jeune homme en empoignant le Professeur pour le hisser sur le mur à côté d’eux. Derrière celui-ci, une abondante végétation formait une haie compacte. Le Professeur Campagnolo disparut à travers le feuillage.

Louise se précipita elle aussi sur le muret, suivie de peu par son compagnon. Alors qu’ils traversaient la haie, un bruit de raclement se fit entendre, suivi du tintement d’un morceau de métal qui tombait. Ils entendirent la voiture qui s’éloignait en faisant rugir son moteur, puis le silence revint.

Reprenant ses esprits, Louise regarda autour d’elle. Ils se trouvaient à l’intérieur d’une propriété qui semblait déserte. Le gazon, soigneusement entretenu, s’étendait jusqu’à une piscine, encore bâchée en ce tout début de printemps.

- Rien de cassé, Professeur ? demanda la jeune femme.

- Non… tout va bien, je crois, répondit celui-ci en se relevant lentement.

- Pascal, ça va ?

- Je pense, oui. Je me suis un peu égratigné en traversant la haie, mais rien de bien grave, on dirait.

Il se remit sur ses deux pieds, mais une grimace déforma son visage au premier pas qu’il tenta de faire. Il tituba et s’accrocha comme il put à une branche de la haie.

- Et merde ! Ma cheville ! s’exclama-t-il. Je crois que je me suis cassé quelque chose.

- Essayez de vous asseoir quelques instants, suggéra le professeur. Ça va peut-être passer.

Mais au lieu de tenir compte de ce conseil, Pascal restait debout, comme pétrifié, fixant quelque chose à l’autre bout de la pelouse. Louise et le Professeur regardèrent dans cette direction, pour voir deux gros chiens, des dobermans, qui couraient vers eux en silence.

- Oh non ! s’écria louise, Voilà autre chose !

Les deux molosses n’étaient plus qu’à trois ou quatre mètres d’eux et lançaient maintenant des aboiements menaçants, entrecoupés de grondements guère plus amicaux.

- Laissez-moi faire, dit le Professeur. Ils n’ont pas l’air si terribles que ça.

- Vous trouvez ? gémit Pascal.

- Vous allez voir…

Il s’agenouilla devant les deux dobermans et prononça doucement un chapelet de paroles que ni Louise ni Pascal ne comprenaient. Les aboiements des chiens se firent moins furieux, puis se muèrent en jappements avant que les deux gardiens ne se taisent tout à fait et s’asseyent en regardant le Professeur avec des yeux presque tendres. L’un des chiens inclinait gentiment la tête tandis que l’autre remuait la queue, comme s’il était content de retrouver un vieil ami.

- Vous… vous les connaissez ? demanda Louise.

- Pas le moins du monde, mais j’ai déjà eu l’occasion de remarquer que les chiens étaient sensibles à certaines paroles. Je n’ai pas grand mérite, à vrai dire…

- Mais qu’est-ce que vous leur avez dit ? demanda Pascal. C’était quoi, ces formules ?

- Oh, ce ne sont pas des formules, répondit le Professeur en caressant la tête du doberman le plus proche de lui, certainement pas des formules magiques en tout cas. C’est un poème.

- Un poème ! Mais c’est quoi comme langue ?

- Eh bien c’est du sanskrit, une vieille langue indo-européenne. Je ne sais pas trop pourquoi, mais il semblerait que les chiens soient sensibles à ce poème en sanskrit. Ce sont peut être les sonorités, ou alors le rythme… enfin il semblerait qu’il y ait là dedans quelque chose qui leur plaise.

- C’est extraordinaire, ce truc là, dit Pascal. Vous êtes "l’homme qui murmure à l’oreille des chiens". Et ça parle de quoi, ce poème ?

- Oh, rien de bien intéressant pour les chiens : ce sont les peines de cœur d’un prince qui s’est entiché d’une jeune fille qui n’est pas de sa caste. Il décide de renier son rang et d’enlever sa bien-aimée pour partir vivre avec elle sur les hauts plateaux désertiques du Pamir. Je crois qu’en fait, comme je vous le disais, ce sont les sonorités qui plaisent aux chiens : le poème est en sanskrit védique, le plus ancien, et il est assez riche en fricatives palatales et en…

- C’est passionnant, Professeur, mais je crois qu’il vaudrait mieux que vous nous expliquiez tout ça plus tard. Pour le moment, je crois que le mieux serait que nous sortions d’ici et que Pascal puisse voir un médecin pour sa cheville.

- Peut être aussi qu’on pourrait signaler aux carabinieri qu’un chauffard a tenté de nous écraser, intervint le jeune homme. Je… je ne suis pas certain de pouvoir sauter encore une fois par-dessus ce mur.

La conversation en français sembla déplaire aux deux dobermans, qui commençaient à donner de nouveaux signes de nervosité : ils s’étaient levés et l’un d’eux commençait à gronder. Le Professeur reprit sa mélopée :

- Grithaman theina ni skinitagh, Shheïm shamstitha rhankth, Thrighita nidhhamda skighenim, Vhata sheïthom mithtagh… Vous pouvez marcher ? demanda-t-il à Pascal. Ces braves bêtes vont nous conduire jusqu’à leurs maîtres. Gharamtha throgharamda athagothim

Le trio se mit en route vers la maison, Louise soutenant Pascal qui clopinait à ses côtés, le Professeur psalmodiant son poème d’amour sanskrit à l’adresse des deux molosses.

- Les volets de la porte fenêtre tout à fait à droite ne sont pas fermés remarqua Louise. Il y a peut être quelqu’un.

En quelques pas, elle fut devant le carreau, sur lequel elle frappa quelques coups brefs. Ne recevant aucune réponse, elle frappa un peu plus fort.

Elle allait se retourner vers ses compagnons pour leur dire qu’il n’y avait personne, lorsqu’un jeune homme aux joues mal rasées et aux cheveux en bataille, vêtu seulement d’un caleçon décoré de poissons multicolores, passa la tête par l’ouverture.

- Qu’est-ce que vous fichez là ? demanda-t-il en italien, l’air passablement irrité.

Louise rassembla ses quelques connaissances dans cette langue pour tenter d’expliquer qu’on venait de leur foncer dessus en voiture et que son compagnon s’était foulé la cheville en passant par-dessus le muret.

- Qu’est ce que vous avez fait aux chiens ? demanda le jeune homme d’un air horrifié en voyant ceux-ci gambader joyeusement autour du Professeur Campagnolo, qui leur récitait pour la troisième fois le fabliau galant du Prince Mahalingham.

- Ne vous inquiétez pas pour eux, répondit le Professeur, qui venait d’arriver près de Louise. Ils ont décidé que nous n’étions pas dangereux. Après tout, ce sont eux, les gardiens de cette propriété. J’imagine que vous faites confiance à leur jugement.

- Vous êtes qui ? demanda le jeune romain d’un air soupçonneux.

- Nous sommes des voisins. Nous marchions tranquillement dans la rue pour aller vers le ghetto lorsqu’un chauffard a failli nous écraser. Nous avons eu la chance de pouvoir passer par-dessus votre mur et à travers la haie.

- Des voisins ? Je ne vous ai jamais vus…

- Je vous crois sans problème, mon jeune ami. L’habitude qu’ont les occupants de ce quartier de se calfeutrer derrière leurs volets n’est certes pas des plus propices à d’harmonieuses relations de voisinage.

- Hein ? demanda le jeune homme qui semblait déconcerté par le vocabulaire du Professeur.

- Je veux dire qu’on ne se voit pas beaucoup entre voisins, par ici.

- Ah ! Oui, c’est vrai, ça ! acquiesça l’autre, rassuré par des mots à sa portée.

- Ma sœur habite la grande maison ocre sur la Piazza Sant’Anselmo.

Comme l’autre ne semblait pas voir de quoi il s’agissait, il ajouta :

- Juste au dessus des couturiers.

- Ah, oui ! Bien sûr. J’ai été invité chez eux une fois. Mais votre sœur n’était pas là, je crois.

- Non, probablement pas : elle se couche tôt et peut être même qu’elle était sortie.

- Farfalino, c’est qui ? cria une voix féminine au timbre assez vulgaire depuis la salle de bain.

- Des voisins, répondit le surnommé Farfalino. Ils ont eu un petit problème… de circulation.

- Et alors ? Qu’est ce que ça a à voir avec nous ? T’es pas docteur.

- Non, circulation automobile…

- C’est pareil : t’es pas garagiste non plus.

- Justement, intervint le Professeur Campagnolo, nous souhaiterions aller rapporter cet incident au poste de police le plus proche…

- Bon, écoutez, coupa Farfalino, le plus simple serait que je vous appelle un taxi. Je crois que c’est aussi bien si vous allez voir les flics par vos propres moyens.

- Auriez-vous le numéro d’une compagnie de taxis ?

L’annuaire leur livra le renseignement qu’ils cherchaient, et quinze minutes plus tard, ils quittaient la propriété par la grande grille pour monter dans un taxi. Les chiens avaient été un peu mélancoliques de voir partir le Professeur. Farfalino, quant à lui, semblait soulagé de voir partir le petit groupe et de ne pas recevoir la visite des autorités.

Dans une pharmacie de la Via Giulia, Pascal fit examiner sa cheville et reçut l’assurance qu’il n’avait qu’une simple foulure. La pharmacienne lui vendit une pommade et quelques bandages qui étaient censés faire des miracles.

Les agents de permanence au poste de police ne se montrèrent pas d’un grand secours : sans le numéro de la voiture et avec une description approximative, ils déclarèrent qu’il n’y avait pas grand chose à faire. Louise essaya de faire valoir le fait que le véhicule en question avait probablement perdu une aile ou au moins un enjoliveur, le policier ne voulut rien entendre et déclara que la pièce en question avait probablement déjà été ramassée. Peut-être même repeinte et revendue, à l’heure qu’il était.

- En tout cas, affirma le policier, pas question de dépêcher une équipe sur place : avec le match qui va commencer… il faut être vigilants.

Pascal apercevait effectivement, dans une pièce attenante au bureau, quelques policiers qui avaient déjà commencé leur mission de surveillance : un téléviseur était allumé et le jeune homme crut reconnaître le logo de la RAI. Deux groupes de sportifs, les un en vert et les autres en rouge, semblaient sautiller sur une pelouse.

- Mais c’est important ! insista Louise. Ces gens ont déjà essayé de nous tuer lorsque nous étions en France, et nous avons de bonnes raisons de croire que ce sont les mêmes qui ont recommencé aujourd’hui.

- Les délits qui ont été commis à l’étranger ne sont pas de notre ressort, répondit l’agent. Je vous conseille de demander assistance à votre ambassade.

Comme les autres membres de la brigade appelaient leur collègue avec insistance, Louise comprit qu’il serait inutile de palabrer davantage. Elle remercia sèchement le policier et sortit du commissariat, accompagnée de ses deux amis.

- Tu crois que ça a quelque chose à voir avec Yboulados ? demanda-t-elle à Pascal lorsqu’ils furent dans la rue.

- Ça en a bien l’air. On ne peut être sûrs de rien, mais ce ne serait pas la première fois qu’ils agressent quelqu’un : d’abord Sylvain, puis cette voiture qui nous a poursuivis à Montpellier, sans compter l’enlèvement…

- J’ai bien envie d’appeler le Commandant Jamin, déclara la jeune fille.

- Tu es certaine que c’est ce qu’il faut faire ? Je croyais que tu avais des doutes sur elle.

- Justement, c’est peut être l’occasion d’être fixés. Maintenant qu’on sait que cette grosse pouffe de Karine est à Rome, je crois qu’on n’a pas grand-chose à perdre…

- Elle n’est pas grosse… voulut protester Pascal.

- C’est ça : défends là ! Je te rappelle tout de même que c’est à cause d’elle que nous sommes poursuivis par cette bande d’allumés, et encore à cause d’elle que nous avons été kidnappés…

- Bon, OK, j’ai eu tort de lui faire confiance la semaine dernière. Mais quand même : si la voiture de tout à l’heure n’avait rien à voir avec toute cette histoire ? Je veux dire si ceux qui sont à notre poursuite ne savaient pas encore que nous sommes ici ? Est-ce que ça ne serait pas leur donner une indication si on lui racontait ce qui s’est passé ?

- Tu rêves ! Les italiens conduisent un peu sec, mais pas au point de foncer sur les gens en faisant demi-tour dans des rues en sens interdit. Crois-moi, ça n’avait rien d’un hasard, tout à l’heure.

Elle composa le numéro du commissariat de Montpellier et demanda à parler au Commandant Jamin. Celle-ci prit la communication au bout de quelques secondes.

- Ah, Mademoiselle Robinson ! Ça faisait un moment que je n’avais plus de vos nouvelles. Je pensais ne plus entendre parler de vous !